Le secteur hébergement-logement bouge encore ! Sur le terrain contentieux d’abord, la question relative à la nature du droit à l’hébergement d’urgence vient de recevoir une réponse (1). Alors que, se trouvant à la rue à la suite de l’incendie de son immeuble, il s’était retrouvé sans abri faute de solution proposée par les pouvoirs publics, M.F. a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris puis, ayant été débouté, la section du contentieux du Conseil d’Etat en appel. Cette dernière a affirmé « qu’il appartient aux autorités de l’Etat de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri[…]; qu’une carence dans l’accomplissement de cette tâche peut[…] faire apparaître une atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée »… Se trouve ainsi qualifié le droit à l’hébergement d’urgence : il s’agit d’une liberté fondamentale. Certes, cette qualification n’emporte pour le juge que des conséquences atténuées, dans la mesure où il précise ensuite « qu’il incombe au juge des référés d’apprécier dans chaque cas les diligences accomplies pour l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ». C’est dire que, reprenant une distinction bien connue des juristes, la puissance publique a, dans la mise en œuvre de cette liberté fondamentale, une obligation de moyens pondérée par la prise en compte des situations singulières, et non une obligation stricte de résultat… Du côté de l’administration, le secrétariat d’Etat chargé du logement a confirmé, par le truchement d’une circulaire, le choix politique du « logement d’abord » (2). L’objectif étant de favoriser l’accès direct des personnes concernées à un logement pérenne plutôt qu’à des solutions transitoires, cette stratégie impacte directement l’hébergement en le constituant en une solution en principe subsidiaire et uniquement dictée par la nécessité : loin d’être un point d’arrivée, l’accès à un vrai logement est présenté comme un point de départ.
Reste qu’on peut se demander si, pour le grand public, la crise du logement, question lancinante depuis trente ans, représente un des axes forts de la campagne présidentielle. La plupart des candidats ont avancé des propositions. Le président en exercice, après la surprise qu’a suscitée son idée de relever de 30 % les droits à construire, se centre sur des objectifs quantifiés situés autour de 130 000 logements sociaux par an dans le parc locatif social ; son principal adversaire, François Hollande, fixe à 2,5 millions le nombre de logements qu’il faut construire pour régler le problème, et évalue donc un besoin annuel de 500 000 logements neufs par an, dont 150 000 vraiment sociaux ; Jean-Luc Mélenchon place plutôt l’objectif à 200 000 logements sociaux publics par an sur cinq ans, quand le candidat du Modem évalue lui aussi le manque à un million au total ; Eva Joly, insistant sur la nécessité d’une politique décidée de réhabilitation de l’existant, avance le chiffre de 500 000 logements par an, dont 160 000 « sociaux ».
A rebours de ces évaluations quantitatives, nombre de spécialistes s’accordent pour considérer que le problème est plus compliqué. D’abord, il y a le constat des bons résultats des mises en chantier depuis plusieurs années (400 000 logements nouveaux par an, sauf en 2008 et 2009) sans que le mal-logement ait reculé, preuve qu’il n’y a pas de lien automatique entre augmentation de l’offre, baisse des prix et résorption du nombre des « non-logés » et des « mal-logés ». L’objectif purement quantitatif, qui oblige à favoriser les investisseurs, n’a pas d’effet sur les coûts et donc ne permet pas de produire les logements adaptés aux plus défavorisés. Outre la quantité, deux autres voies devraient être explorées : peut-être, et à titre d’hypothèse, un certain encadrement des loyers, même si la loi de 1948 qui les a réglementés passe pour être responsable du sous-entretien chronique et du sous-investissement qui a généré la crise des années 1950 ; surtout, une réflexion sur les conditions de production du parc social où, dans un contexte de pur marché, les organismes HLM sont contraints d’adopter des logiques qui obèrent parfois fortement leurs finalités sociales.
L’objectif quantitatif, s’il rime principalement avec attractivité de l’investissement immobilier, augmentera le parc, certes, mais sans effets sur l’accès de tous au logement. Une maîtrise des coûts pour les ménages suppose l’invention de mécanismes nouveaux et diversifiés, loin des mesures univoques de l’après-guerre, et le parc social attend une réforme d’ampleur qui ne le contraigne pas à choisir entre le parc très social et des logements pour les ménages « intégrés ». Sinon, malgré le DALO, le droit à l’hébergement et le « logement d’abord », on risque de rester dans l’incantation et les batailles de chiffres.