En 2009, 8,2 millions de personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté monétaire fixé à 60 % du revenu médian – c’est-à-dire avec moins de 950 € par mois pour une personne seule –, ce qui représentait 13,5 % de la population. Contrairement au gouvernement qui estime que la pauvreté s’est stabilisée malgré la crise économique (1), l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) s’inquiète, lui, de l’aggravation du phénomène, qui touche encore plus aujourd’hui les publics les plus fragiles (jeunes, personnes âgées, familles monoparentales…) et les personnes en emploi. Dans son VIIe rapport, rendu public le 29 mars (2), il étaye son point de vue et apporte plus particulièrement un éclairage sur les effets de la crise économique sur le travail, l’emploi et le chômage.
La pauvreté touche aujourd’hui davantage certaines catégories de la population, comme les jeunes. En effet, leur taux de pauvreté « reste à un niveau important » : il atteint 17,7 % en 2009, ce qui représente 2,4 millions d’enfants (3). Celui des jeunes adultes (18-24 ans) est, lui, désormais une « préoccupation majeure » puisqu’il est passé de 17,6 % en 2004 à 22,5 % en 2009. En cause notamment : le décrochage scolaire, le faible niveau d’études, les obstacles à l’accès au marché du travail ou encore les ruptures familiales. Et la crise économique a eu un « rôle amplificateur de ce phénomène », souligne l’ONPES, les jeunes étant les plus touchés par la hausse du chômage. Autre public fortement affecté par la pauvreté : les femmes de plus de 75 ans. Leur taux de pauvreté était proche de 15 % en 2009. Pour l’observatoire, « deux facteurs principaux peuvent expliquer ce phénomène : la perte du conjoint et le bas niveau des pensions en raison d’une carrière incomplète qui n’est qu’insuffisamment compensée par [l’allocation de solidarité aux personnes âgées] ».
Quant à la « grande pauvreté », qui affiche une « hausse lente et progressive », note l’ONPES, elle est « difficilement enrayée par notre système de protection sociale ». Pour preuve, selon lui, près de 2 millions de personnes étaient en situation de grande pauvreté en 2009 (soit 3,3 % de la population, après 3,1 % en 2006 et 2,7 % en 2000), si l’on retient le seuil de 40 % du revenu médian (640 € par mois pour une personne seule). Certes, admet l’observatoire, « les minima sociaux, complétés par l’accès à une couverture santé et une aide au logement, offrent un filet de sécurité aux personnes les plus pauvres. Mais la plupart ne permettent pas à eux seuls d’aller au-delà du seuil de pauvreté à 40 % ». Les prestations sociales représentent 33 % du revenu disponible de ces personnes, contre 4 % pour l’ensemble de la population, relève l’instance. A l’inverse, les salaires ne comptent que pour un tiers du revenu des ménages les plus pauvres, contre deux tiers pour l’ensemble de la population. Ainsi, « si l’emploi reste un rempart contre la pauvreté, disposer d’un emploi n’est plus une condition suffisante pour franchir le seuil de pauvreté ». Et les chiffres l’attestent puisque le taux de pauvreté en emploi était de 6,7 % en 2009. Il était plus particulièrement élevé pour les jeunes (7,2 %), les personnes isolées (9,1 % pour les hommes et 9,3 % pour les femmes) et les femmes seules avec enfants (15,5 %).
Comme le comité national d’évaluation du revenu de solidarité active (RSA) (4), l’ONPES considère que l’allocation ne remplit que partiellement son rôle, qui est de lutter contre la pauvreté des personnes en emploi et d’inciter au retour à l’emploi. En effet, « le RSA aurait permis de réduire légèrement en 2010 le nombre de personnes pauvres (- 2 %, soit 150 000 personnes) et le taux de pauvreté (- 0,2 point) ». Cet « effet relativement faible » sur la baisse de la pauvreté « s’explique en partie par l’importance du non-recours » à l’allocation, selon l’observatoire. Ajoutant que, « si l’ensemble des personnes potentiellement bénéficiaires avaient demandé à [la percevoir], elles auraient été 400 000 à franchir le seuil de pauvreté ».
Selon le comité d’évaluation, le non-recours au RSA s’élève à près de 35 % pour le RSA « socle » et à 68 % pour le RSA « activité seul ». Principales raisons selon lui : le « manque de connaissances précises du dispositif », un « sentiment de se débrouiller autrement financièrement » et, dans une moindre mesure, la volonté de ne pas dépendre d’une aide sociale ou la complexité des démarches administratives. En pratique, analyse l’ONPES, « les personnes ne recourant pas à ce dispositif sont éligibles au RSA pour des montants plus faibles en moyenne et sont également plus proches de l’emploi, même si elles connaissent une fréquence élevée d’entrées-sorties d’éligibilité ». Aussi estime-t-il « essentiel d’initier des campagnes d’information à l’adresse des publics concernés et d’améliorer l’évaluation de l’éligibilité ». Il réitère sa demande auprès des pouvoirs publics de voir « poursuivre les efforts de simplification du dispositif [5] et renforcer l’incitation financière par une revalorisation des barèmes ». Comme pour l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ONPES appelle de nouveau à une revalorisation de 25 % du RSA (6). De façon générale, l’instance déplore que, « en 20 ans, le RMI/RSA, l’allocation spécifique de solidarité et l’AAH [aient] tous trois décroché de manière significative par rapport au SMIC ». A titre d’exemple, illustre-t-elle, le RSA « socle » non majoré (ex-RMI) a perdu plus de cinq points entre 1990 et 2011 et l’AAH trois points entre 1990 et 2000.
« La crise économique a mis sous tension les acteurs de l’accompagnement », relève par ailleurs le rapport. En effet, Pôle emploi est aujourd’hui « en difficulté » pour accompagner les demandeurs d’emploi en raison d’« insuffisances » persistantes du service public de l’emploi. Cette situation devrait même s’aggraver au regard de l’accélération de la hausse du chômage en 2011, et probablement en 2012, qui risque de faire peser une « pression supplémentaire » sur cet organisme.
Face à la gravité de la crise, les acteurs locaux (personnes en situation de précarité, employeurs, professionnels de l’emploi et de l’insertion sociale, intervenants sociaux, élus) ont donc dû s’adapter. Pour en avoir la mesure, l’ONPES a lancé une étude qualitative visant à recueillir leurs opinions et leurs représentations dans trois zones contrastées (Montbéliard, Grenoble et Périgueux). Résultats : ils témoignent d’une « extension de la pauvreté et de l’exclusion à des publics inconnus jusqu’alors, et d’une intensification pour des personnes déjà fortement touchées ». La crise s’est également traduite par une « inquiétude grandissante découlant de l’absence de perspectives à court et moyen terme ».
En raison de la hausse du nombre de chômeurs et des titulaires du RSA, les professionnels de l’accompagnement ont été « contraints de mettre en place une “gestion industrielle de l’accompagnement” et de gérer l’urgence ». Ce qui a affecté la qualité de l’accompagnement individualisé. « Dans ce contexte de décalage entre les objectifs de l’accompagnement à long terme et la gestion de l’urgence, les difficultés croissantes des personnes à s’inscrire dans un parcours d’insertion par l’activité économique, qui constitue traditionnellement une des solutions offertes aux personnes les plus éloignées de l’emploi », sont le signe d’une « démobilisation », selon les professionnels interrogés. S’agissant des structures d’insertion par l’activité économique, « la crise se double d’objectifs de résultats exprimés en taux de sortie positive vers l’emploi des bénéficiaires, ce qui pousse les professionnels à privilégier la prise en charge des personnes les plus proches de l’emploi au détriment des plus exclus », critique en outre l’observatoire.
(2) Rapport prochainement disponible sur
(3) Sur la pauvreté des enfants, voir ASH n° 2746 du 10-02-12, p. 30.
(5) Sur les premiers axes de simplification, voir ASH n° 2681 du 5-11-10, p. 13.