Le phénomène de l’accueil des mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) hors de leur département d’origine « apparaît pour une large part incontournable et doit, à ce titre, être reconnu, organisé et mieux maîtrisé », indique l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un récent rapport (1). Dressant un bilan chiffré de ce phénomène, elle formule 27 recommandations visant à limiter la part des placements hors département qui sont évitables, à organiser des possibilités de réponse aux besoins d’accueil dans un cadre supra-départemental et à améliorer le suivi et le contrôle des placements hors département.
Depuis 2007, le placement de jeunes accueillis au titre de l’ASE hors de leur département d’origine est « quantitativement marginal » et stable alors que, dans le même temps, l’ensemble des placements a augmenté de 4 %. En 2009, environ 15 000 jeunes étaient placés hors département, soit 10 % des jeunes accueillis au titre de l’ASE. Ce phénomène touche tous les départements et plus particulièrement ceux d’Ile-de-France, qui concentrent plus de la moitié des mineurs placés. Et les lieux de vie accueillent plus de la moitié des jeunes venant d’un autre département. L’IGAS souligne que « la notion juridique de placement hors département ne recouvre que très partiellement celle d’éloignement ». En effet, près des deux tiers des placements hors département sont réalisés dans des départements limitrophes. Les placements éloignés, c’est-à-dire dans un département non limitrophe, concernent environ 6 000 enfants, soit 4 % des mineurs accueillis au titre de l’ASE.
Le choix du lieu d’accueil se fonde « généralement » sur l’intérêt de l’enfant, estime l’IGAS. Il découle ainsi en premier lieu d’une évaluation individualisée de la situation du jeune et de sa famille. Mais, dans près de la moitié des cas, il résulte du manque de places (plus particulièrement dans les départements franciliens) ou de l’absence d’accueil adapté en termes d’âge, de sexe, de prestation… Parmi les mineurs placés hors département, les garçons, les grands adolescents, les jeunes dits « incasables » en raison des échecs répétés de leurs placements et les mineurs sans attache parentale dans le département (essentiellement des mineurs étrangers isolés) sont surreprésentés.
Selon l’IGAS, les placements hors département évitables sont de l’ordre de un sur cinq au maximum. Certains éloignements pourraient être évités si les travailleurs sociaux de l’ASE avaient une meilleure connaissance des lieux d’accueil situés dans leur propre département. Elle suggère donc de développer les visites sur place et les rencontres avec les équipes des structures. Elle recommande aussi de passer des conventions avec les structures de proximité ou encore de limiter les placements familiaux éloignés à ceux justifiés par la continuité éducative. L’inspection plaide en outre en faveur d’un redéploiement des capacités d’accueil existantes pour mieux répondre aux besoins, notamment pour les jeunes « difficiles ».
En cas de placement hors département, le suivi individuel du jeune au plan socio-éducatif est réalisé par le département d’origine. « Faute de moyens, la désignation d’un référent éducatif en mesure d’assurer un suivi rapproché pour tous les mineurs confiés reste un objectif à atteindre pour de nombreux départements qui font appel à diverses mesures de substitution, comme par exemple la délégation de ce suivi aux équipes éducatives des établissements. » Cette situation, qui est un facteur de fragilité pour tous les enfants confiés, engendre des « risques accrus » pour les jeunes placés dans un autre département. L’IGAS recommande donc d’intégrer dans des référentiels nationaux et départementaux la dimension spécifique du suivi socio-éducatif en cas de placement hors département (2).
Par ailleurs, le président du conseil général du département d’accueil n’étant pas systématiquement informé des placements effectués par d’autres départements, l’IGAS préconise que les lieux d’accueil soient tenus de lui transmettre la liste des enfants confiés par origines géographiques. Elle déplore en outre que, dans les lieux où les placements hors département prédominent, « le contrôle se limite pour l’essentiel aux aspects administratifs et financiers et ne bénéficie pas du regard des travailleurs sociaux du département sur les conditions d’accueil ». Et recommande plus particulièrement de renforcer le contrôle des assistants familiaux, résidant loin de leur département employeur, et des lieux de vie, car ces deux types d’accueil présentent des « risques spécifiques, différents et sans doute plus importants que les établissements collectifs » en raison de leur petite taille, de leur faible encadrement et de leur isolement géographique, notamment. D’une façon générale, l’IGAS préconise d’encourager les échanges d’information entre les conseils généraux et de les rendre obligatoires en cas d’incident dans un lieu d’accueil.
D’autres recommandations de l’IGAS visent à rééquilibrer l’offre d’accueil : améliorer l’articulation de la planification en matière sociale, médico-sociale et sanitaire, autoriser des structures d’accueil extraterritoriales, mettre en place avec les lieux d’accueil du département un dispositif de suivi et d’anticipation des capacités disponibles ou encore expérimenter un schéma interdépartemental des équipements de l’ASE, par exemple en Ile-de-France.
(1) Evaluation de l’accueil de mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance hors de leur département d’origine – Claire Aubin, Nicolas Durand, Patricia Sitruk, Olivia Sanson – Février 2012 – Disp. sur
(2) A ce titre, l’IGAS suggère notamment que l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux diffuse une recommandation sur la répartition des rôles entre l’équipe éducative du lieu d’accueil et le référent de l’ASE. L’actualisation des cinq guides d’accompagnement de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance devrait également tenir compte du facteur d’éloignement, estime-t-elle.