« Je pense, donc je suis », disait Descartes. Certes. Mais dans quelle mesure cette pensée et cet être au monde sont-ils déterminés par l’enveloppe qui leur donne corps ? Sans être posée en ces termes, cette question n’en est pas moins centrale dans les échanges entre Pierre Ancet, maître de conférences en philosophie à l’université de Bourgogne, et Marcel Nuss, écrivain et conférencier à l’esprit aussi délié que son corps est entravé. « Un chef-d’œuvre incarné de Picasso », se décrit-il. « Un corps à moitié couché, paralysé, trachéotomisé, sous respirateur », détaille son interlocuteur. De ces liens entre apparence physique et pouvoir de séduction, extrême dépendance et autorité, souffrance et élan vital, les deux hommes débattent sans fard. L’un, Pierre Ancet, est plutôt en position d’accoucheur, l’autre, Marcel Nuss, de témoin appelé à signifier ce qu’est la vie de qui a un handicap – « comme d’autres sont noirs ou diabétiques ». Par exemple, la vie d’un écrivain qui doit dicter lettre à lettre son ouvrage à un ordinateur à commande vocale, la vie d’un homme qui aime les femmes et refuse de se voir assigner une identité de genre « handicapé », la vie d’un père qui en impose à ses enfants par sa force de persuasion, pas par la raison du plus fort. Assez discret sur lui-même, Pierre Ancet rebondit de question en question, enrichissant la réflexion commune de ses apports plus distanciés. Sous forme dialoguée ou non, fera-t-il école ? Tel est en tout cas le souhait du philosophe. Ainsi espère-t-il voir à l’avenir les thématiques relatives au handicap traitées « de concert par les personnes handies et les personnes valides ».
Dialogue sur le handicap et l’altérité. Ressemblances dans la différence – Pierre Ancet et Marcel Nuss – Ed. Dunod – 22 €