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Une escale pour les femmes

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A Paris, dans le XVe arrondissement, le centre d’hébergement et de réinsertion sociale Foyer Falret, héritage d’une œuvre de bienfaisance séculaire, a traversé les années avec une même mission : encourager l’insertion des femmes qui présentent des troubles psychiques.

« Bonjour, c’est la visite des chambres. » Comme chaque matin, Wahiba Khal et Julie Perseil, deux accompagnatrices du centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Foyer Falret, frappent aux sept portes qui donnent sur un couloir aveugle pour alerter les résidentes. Derrière chacune, une chambre d’une quinzaine de mètres carrés – avec les sanitaires sur le palier – où loge une femme en situation de souffrance psychique. « Bonjour Saïda [1], vous avez prévu quoi aujourd’hui ? interroge Julie Perseil. Vous n’oubliez pas notre rendez-vous tout à l’heure, d’accord ? » Toutes ne sont pas là. Certaines ont déjà laissé leur chambre pour se rendre au travail ou en hôpital de jour. D’autres ont des difficultés à se lever. Mais chaque porte doit être ouverte, et les accompagnatrices utilisent leur passe si le battant ne s’écarte pas de lui-même. « Ce tour des chambres, c’est un premier échange quotidien, une sorte de veille, explique Wahiba Khal, qui est conseillère en éducation sociale et familiale de formation. Les femmes ont besoin d’une présence. » Une façon aussi de prendre rapidement des nouvelles de chacune, de s’assurer que personne n’est malade et de se faire une petite idée de la manière dont la chambre est investie par son occupante.

Situé dans le XVe arrondissement de Paris, le Foyer Falret (2) est une institution vieille de 170 ans. Fondé par un psychiatre qui souhaitait favoriser l’insertion des femmes sortant de l’hôpital psychiatrique, il a longtemps été géré par une congrégation religieuse, œuvre de bienfaisance financée par des dons de particuliers. Depuis 1996, il est officiellement estampillé CHRS. Le bon vouloir des donateurs a été remplacé par des subventions de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL) et les religieuses ont cédé la place à une équipe de sept travailleuses sociales, ici rebaptisées accompagnatrices (3), un chef de service, une psychologue, une infirmière, deux animateurs, deux monitrices d’atelier et sept agents d’accueil. Vestiges du passé, subsistent dans la résidence une chapelle – toujours en activité, puisqu’une messe y est célébrée chaque semaine – et une aumônerie. « Nous sommes un établissement laïc, mais c’est un service que notre association gestionnaire a souhaité conserver, résume Daphné Borel, directrice du pôle social de l’Œuvre Falret (4). En tant que travailleurs sociaux nous n’intervenons pas dans cette activité, mais certaines de nos résidentes ont recours à ce soutien spirituel. »

Orientées par les hôpitaux ou les CMP

L’établissement compte 106 places. Il est réparti sur deux sites. Rue du Théâtre, un bâtiment compte 48 places réparties sur cinq étages. Contigu et communiquant au moyen d’une verrière qui sert d’espace de convivialité, un deuxième bâtiment héberge le service administratif du pôle, l’équipe éducative, les ateliers et le self-service. A 200 mètres de là, l’immeuble de la rue Saint-Charles comprend, lui, 68 chambres avec salle de bains privative, pour celles qui, ayant progressé vers l’autonomie, ont moins besoin de la présence permanente de l’équipe. « Ici, le tour des chambres n’est réalisé qu’une fois par semaine », souligne Daphné Borel.

Les critères d’admission sont précis : les candidates doivent toutes être préalablement suivies dans le cadre d’un secteur psychiatrique. Ce suivi sera maintenu pendant toute la durée de prise en charge. « Même si nous avons dans notre équipe une psychologue et une infirmière, elles ne se substituent pas au suivi psychiatrique préexistant », insiste Daphné Borel. Cette exigence explique que près de 90 % des orientations sont réalisées par des hôpitaux psychiatriques ou des centres médico-psychologiques. Le dossier d’admission comprend également un rapport social, un résumé des observations médicales incluant le diagnostic, le traitement prescrit, le secteur d’origine, ainsi que le projet socioprofessionnel succinct de la candidate. « Cela peut être un retour vers l’emploi, un projet de réaménagement dans un logement individuel, un retour dans la famille », précise Christine Nicolazo, chef de service.

Par ailleurs, la structure médicale d’origine ou le médecin doivent attester que la personne est apte à vivre hors de l’hôpital. « Nous leur demandons également de signer un engagement de réhospitalisation de leur patiente sans passer par les urgences psychiatriques, si cela s’avère nécessaire au cours du séjour », poursuit Christine Nicolazo. Un événement loin d’être rare dans l’établissement (54 résidentes ont ainsi été réhospitalisées en 2010), mais qui ne constitue pas systématiquement une fin de prise en charge. « Cela arrive fréquemment, notamment en cas de rupture de traitement », continue Christine Nicolazo. L’équipe éducative se rapproche alors de l’équipe médicale afin d’évaluer si l’hospitalisation est nécessaire, et s’il est besoin de mettre en place une hospitalisation sans consentement. « Il arrive souvent que le projet prioritaire de la personne rebascule sur le soin pendant une durée plus ou moins longue, souligne Julie Perseil. Ce n’est pas considéré comme un échec, cela correspond simplement au besoin de la personne à un instant précis. » La place de la résidente dans le dispositif pourra être réservée pendant deux mois, voire trois, en fonction des situations.

Le respect du droit à l’intimité

A leur arrivée, les résidentes sont d’abord installées dans une des trois chambres triples du bâtiment Théâtre. « Pour certaines, la cohabitation peut être rassurante », note Wahiba Khal. L’idée initiale consistait à favoriser ainsi leur intégration dans la collectivité. Mais les chambres triples sont amenées à disparaître à l’issue des travaux de rénovation actuellement en cours (ce que l’équipe appelle « humanisation »), qui permettront en particulier de privilégier le droit à l’intimité. Puis, au bout de trois mois environ, les résidentes intègrent une chambre simple. La durée de séjour peut varier de six mois jusqu’à cinq ou six ans pour certaines – la durée moyenne étant actuellement de trente mois. Tout dépend de chaque situation, de la maladie, de l’évolution de la personne, mais aussi des difficultés d’accès au logement, particulièrement fortes en Ile-de-France. « Nous disposons d’un agrément pour trois ans, mais nous pouvons solliciter une prolongation que nous obtenons généralement si la demande est bien argumentée, pointe Christine Nicolazo. Le problème, c’est que cette situation d’attente peut parfois déclencher une décompensation. »

Par une paroi vitrée, tous les bureaux des accompagnateurs sociaux ouvrent directement sur le lieu de convivialité du site Théâtre, la verrière. C’est là que se retrouvent les habitantes pour prendre un café autour d’une table ou discuter dans les canapés. Chaque résidente est suivie en rendez-vous hebdomadaire par son accompagnatrice sociale référente. « Après une période d’arrivée et d’adaptation, nous travaillons ensemble sur des objectifs sociaux (la vie en collectivité et le respect d’autrui, l’ouverture de droits, etc.), médicaux (tels le maintien de leur suivi et l’orientation vers le psychologue, même si elles peuvent le contacter directement) et, bien sûr, professionnels », développe Laure Jolly, accompagnante sociale et assistante de service social de formation.

Ainsi, pour Soumaya Zanary, ancienne gérante d’une boutique de prêt-à-porter de luxe qui a tout perdu à l’issue d’un long congé maladie lié à une profonde dépression, le premier objectif est de retrouver un emploi : « La MDPH m’a accordé un statut de travailleur handicapé, résume-t-elle. Mais je peux travailler en milieu ordinaire et je recherche un emploi de vendeuse, même à plein temps. » En parallèle, elle a cherché à engager une démarche « DALO », pour laquelle elle a reçu pour l’instant une réponse défavorable. « Mais avec mon accompagnatrice, on est en train de faire appel », confie-t-elle.

Au Foyer Falret, un grand nombre de femmes accueillies sont très loin de l’emploi, n’ayant pas travaillé depuis longtemps ou parce que la maladie les a installées dans une perte d’autonomie durable. Dans bon nombre de cas, cependant, un parcours progressif peut être construit. Le résultat est que si, à l’entrée dans le CHRS, 75 % des femmes sont sans emploi, ce n’est plus le cas que de 57 % des sortantes. « Il y a souvent un important travail à faire sur cette question de l’emploi car les femmes veulent redevenir ce qu’elles étaient avant, alors qu’elles sont sorties du monde du travail depuis longtemps et que l’environnement a changé, expose Wahiba Khal. Il est plus difficile de trouver un job aujourd’hui qu’il y a dix ans. Et puis il faut aussi désacraliser un peu cette idée qu’elles ont que si elles trouvent en emploi tout ira mieux. »

De nombreuses mesures de protection

Autre instrument parfois sollicité par les accompagnatrices sociales : les mesures de protection. « Même si notre objectif est d’amener les personnes à l’autonomie, nous constatons que l’insertion dans le logement se fait parfois plus facilement quand le budget de la personne est géré dans le cadre d’une telle mesure », explique Daphné Borel. Ainsi, alors que 84 % des usagères sont sans aucune mesure de protection à leur entrée au foyer, 32 % sont pourvues à leur sortie d’une tutelle, d’une curatelle ou d’une mesure d’accompagnement social personnalisé. « Ce sont principalement des curatelles renforcées, note Johanna Fabry, mandataire à la protection juridique de l’ATFPO, l’une des associations nommées par la justice lorsqu’une mesure de protection est demandée. Nous travaillons dans un partenariat très fort avec le Foyer Falret et, la plupart du temps, on sent très clairement le lien de confiance déjà créé entre les accompagnatrices et les résidentes. »

Car le travail des accompagnatrices sociales ne s’effectue pas uniquement sur entretien. « Il existe aussi une grande part d’informel, quand nous nous croisons sous la verrière pour prendre un café, quand nous les accompagnons dans certaines démarches – un rendez-vous à la préfecture pour des papiers ou une sortie pour aller acheter un téléphone portable, poursuit Laure Jolly. Là aussi, beaucoup de choses se disent, et c’est ainsi que se crée une relation de confiance essentielle pour favoriser l’évolution de la personne. » Wahiba Khal, elle, travaille d’une façon un peu différente. Elle n’a aucune résidente en référence et n’intervient que sur des problématiques ponctuelles : « Je réponds à des sollicitations précises, quand une difficulté est observée par une accompagnatrice ou par la femme elle-même. Je pense à des difficultés à entretenir la chambre ou à l’investir, à des problèmes d’hygiène alimentaire, à une appréhension à utiliser les transports en commun, à une aide pour rechercher un emploi, maîtriser Internet, travailler sur un CV… Mes interventions peuvent être très variées. »

Comme une part importante de l’accompagnement social consiste à remobiliser les personnes pour un retour vers l’activité, l’accompagnatrice sociale propose un emploi du temps individualisé, adapté à l’état de santé, aux objectifs, aux rendez-vous médicaux et aux démarches administratives de chacune. Et pour que nulle ne reste inactive, les résidentes qui ne fréquentent pas l’hôpital de jour et n’ont pas d’emploi se voient proposer de participer aux ateliers de redynamisation mis en place au sein de l’établissement. Gérés chaque matin et chaque après-midi par deux monitrices, des ateliers « arts plastiques » et « bois » permettent de miser sur la créativité de chacune pour les amener à regagner un rythme de vie régulier et à éviter l’isolement.

En attente d’un déclic

Ce matin-là, justement, SolangeB., Soumaya Zanary, Marie-Hélène Belrain sont réunies autour d’une table où elles peignent en discutant. « Il y a deux autres personnes inscrites mais qui ne sont pas encore venues pour l’instant, constate Brigitte Folliau, qui encadre l’atelier. C’est comme ça, il leur faut du temps et puis, un jour, il y a un déclic et on les voit arriver. » Julie Arcaro est également de passage. En janvier, elle est partie emménager dans une maison-relais, après deux ans et demi au Foyer Falret. « Il est possible de continuer à participer aux activités durant quelques mois, précise Daphné Borel, notamment si la personne n’a pas fini les créations sur lesquelles elle travaille. » En l’occurrence, Julie est passée pour vernir un petit chiffonnier en aggloméré qu’elle retape. « C’est peu de choses, mais nous récupérons ce genre de petit mobilier sur les trottoirs quand nous voyons qu’ils peuvent être remis en état, explique Wahiba Khal, qui est présente aussi sur cet atelier. Ensuite, elle peuvent conserver la pièce et l’emmener dans leur prochain logement. » Julie Arcaro assure avoir profité au mieux de tous les ateliers organisés. Outre ceux qui sont mis en place par les monitrices, parfois par les accompagnatrices, des bénévoles proposent également des séances de gymnastique douce, d’art floral, de théâtre, de cuisine, d’écriture… « Ici, on m’a tendu des perches que j’ai su saisir en participant à toutes ces activités, résume Julie Arcaro. Mais l’autre avantage est qu’on a des gens à notre écoute 24 heures sur 24. On se sent entourées, il y a toujours quelqu’un à qui parler, même la nuit. » Un agent d’accueil est en effet présent toute la nuit et quatre permanenciers se relaient dans les étages : ce sont des bénévoles logés à titre gratuit dans le foyer en échange d’une présence et d’un soutien à l’agent d’accueil de nuit. De plus, en fin de journée, les animateurs sont présents et une accompagnatrice sociale occupe également une permanence jusqu’à 19 h 30.

En cette fin de journée, Dominique Emery entame avec trois résidentes l’atelier « Se sentir bien chez-soi ». Il tend à faire parler les femmes de la décoration de leur intérieur, de ce qui leur manque, de petits éléments qu’elles pourraient ajouter pour le personnaliser. « Oh, si j’avais les moyens, je ferais une razzia dans un magasin de décoration ! affirme avec gourmandise Marie-Hélène Belrain. Je voudrais un couvre-lit, des bougeoirs – même si je sais qu’on n’a pas le droit aux bougies – et plein de coussins… » « Moi, ce qui me plaît, avance à son tour Lina C., c’est que la chambre est à moi, que je mets ce que je veux où je veux. Après, tant que c’est propre, ça me suffit. » Mais pendant que les femmes réfléchissent à leur intérieur, sous la verrière, soudain, le ton monte. Une altercation survient entre deux résidentes pour des raisons d’argent. L’atelier est interrompu et Dominique Emery part séparer les deux jeunes femmes, puis s’isole avec l’une d’elles. « Ça fait partie de la vie au foyer, avec les décompensations, les crises et les cris, note Laure Jolly. C’est ce qui fait la richesse de notre travail. Il y a beaucoup d’inattendu avec nos usagères, et aussi beaucoup de bonnes surprises. »

Le Foyer Falret peut s’enorgueillir du fait qu’un tiers des résidentes quittant l’établissement intègrent un logement individuel – le déménagement est d’ailleurs réalisé avec les travailleurs sociaux et les animateurs du foyer. Parmi les autres, 26 % sont réhospitalisées, 18 % sont hébergées par leur famille ou leurs amis et 9 % partent vers une structure relais ou une résidence sociale (sans compter quelques solutions de transition). Autre résultat positif, le suivi social permet de réduire la part des personnes sans ressources de 25 % à l’entrée à seulement 6 % à la sortie, grâce à la mise en place de l’allocation aux adultes handicapés ainsi qu’à un meilleur accès à l’emploi. « Notre expérience montre que la souffrance psychique n’est pas en soi un obstacle à l’employabilité, ni au logement, conclut Daphné Borel. Elles ont des capacités équivalentes à une personne de même profil sociologique. La diffi­culté de nos résidentes, c’est que leur parcours n’est pas linéaire et que leurs périodes de fatigue et de décompensation doivent être prises en compte. »

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

(2) CHRS Foyer Falret : 50, rue du Théâtre – 75015 Paris – Tél. 01 56 77 20 00 – dborel@oeuvre-falret.asso.fr.

(3) Les accompagnatrices sociales actuelles ont une formation initiale d’assistante de service social, d’éducatrice spécialisée, de psychologue, de conseillère en éducation sociale et familiale.

(4) L’Œuvre Falret réunit 24 établissements et services dans les secteurs de l’enfance, du médico-social, de l’emploi et du retour à l’emploi, de l’insertion-réadaptation sociale.

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