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« Les travailleurs sociaux ne sont pas formés à la diversité sexuelle »

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Qui sont les jeunes homosexuels et lesbiennes ? Quelles sont leurs difficultés et leurs attentes ? En collaboration avec Isabelle Chollet, psychologue intervenant auprès de jeunes homosexuels, Michel Dorais, chercheur québécois spécialiste de la diversité sexuelle, tente de répondre à ces questions dans un ouvrage nourri de plus de 500témoignages. Il insiste sur la nécessité de former les intervenants sociaux à l’accompagnement des personnes homosexuelles.

Quel était l’objectif de cette enquête ?

En 2009, Isabelle Chollet, psychologue au sein du Refuge (1), avait mis en ligne sur le site de l’association un sondage destiné aux jeunes homosexuels. Au bout d’une semaine, il y avait déjà plus de 500 réponses émanant surtout de jeunes hommes urbains, avec toutefois 28 % de femmes et un tiers de plus de 35 ans. Comme je suis l’un des parrains du Refuge, on m’a proposé de travailler sur cette enquête. Le but était de mieux connaître la population des jeunes homosexuels et lesbiennes, car on ne dispose d’aucune photographie fiable de cette population. Notre point de comparaison est le Rapport gai publié en 1984 (2). En connaissant mieux les besoins des jeunes, nous espérons qu’il sera plus facile pour les thérapeutes ou les intervenants sociaux d’y répondre.

Votre étude montre que les jeunes homosexuels découvrent plus tôt qu’auparavant leur orientation sexuelle, mais qu’ils la révèlent plus tard. Comment l’expliquez-vous ?

C’est la grande surprise de cette recherche, qui demande à être confirmée car il existe peu d’études sur ce sujet. Je pense que la découverte plus précoce d’une orientation homosexuelle s’explique par le fait que les jeunes sont davantage au courant de la réalité de l’homosexualité. Il y a trente ans, on en parlait très peu dans les médias et dans les familles, ou alors de façon négative. Il était donc difficile de s’identifier positivement à cette orientation sexuelle. Aujourd’hui, des gens connus se déclarent homosexuels. Les jeunes peuvent plus facilement s’identifier à ces figures. Pour le recul de l’âge du dévoilement, le coming out selon l’expression anglophone, je pense que la crise économique y est pour quelque chose. Les jeunes demeurent plus longtemps chez leurs parents en raison de l’allongement de la durée des études et de difficultés à s’insérer professionnellement. Or il est plus difficile de dévoiler son orientation sexuelle tant qu’on est dépendant de ses parents. D’autant que presque tous les jeunes pensent, au départ, que cette annonce sera mal reçue. Ce qui n’est heureusement pas toujours vrai.

Vous expliquez que le coming out est un processus progressif. C’est-à-dire ?

Si on est Lady Gaga ou Elton John, une fois annoncée son homosexualité, tout le monde est au courant. Mais pour le commun des mortels, ça ne se passe pas comme ça. Quand quelqu’un s’est dévoilé auprès de son père, il lui faut encore le faire auprès de sa mère, de ses frères et sœurs, de ses amis, de ses collègues… Et quand il change d’école ou de travail, il faut recommencer. Le coming out est un processus réitératif et successif qui peut durer toute la vie. Ce dévoilement peut être libérateur mais aussi très anxiogène. De plus, avant de se dévoiler aux autres, il faut se dévoiler à soi-même. Il faut savoir qu’une personne sur quatre qui a régulièrement des relations avec un partenaire de même sexe dit ne pas être homosexuelle. Là aussi, il s’agit d’un processus complexe et progressif qui doit interpeller les thérapeutes et les travailleurs sociaux.

Les jeunes homosexuels sont-ils davantage en souffrance que les autres ?

Toutes les recherches sur les jeunes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) confirment que les tentatives de suicide sont parmi eux dix fois plus nombreuses que parmi les jeunes hétérosexuels. C’est très significatif. Pour les suicides menés à terme, on ne connaît pas le chiffre car il est hasardeux de s’appuyer sur le témoignage de proches qui soit ignoraient cet aspect de la personnalité du jeune, soit ne veulent pas en entendre parler. Evidemment, la difficulté à vivre son homosexualité n’explique pas à elle seule ces tendances suicidaires, mais c’est une angoisse qui s’ajoute aux autres.

Quel regard les personnes interrogées portent-elles sur la tolérance sociale à l’égard de l’homosexualité ?

Le tableau est plus optimiste qu’il y a vingt ou trente ans, mais les mentalités évoluent très lentement – même au Québec, où le mariage homosexuel existe depuis dix ans. Nous avons posé deux questions sur ce sujet. A la première : « Vous considérez-vous comme normal », 80 % des personnes ont répondu positivement. A la seconde : « Avez-vous déjà eu honte d’être homosexuel ? », la moitié ont répondu oui. Ce résultat montre bien que le problème est surtout celui du regard posé sur les personnes homosexuelles, et non la façon dont elles-mêmes se considèrent. Certes, c’est sans doute autant la crainte d’un regard négatif que sa réalité qui génèrent cette honte, mais un psychologue américain a dit que « les choses que l’on croit réelles ont des conséquences réelles ». Si vous croyez que vous allez être rejeté, vous vivez déjà ce rejet.

60 % des répondants souhaitent avoir des enfants. C’est une forte proportion…

Les jeunes homosexuels voient le couple beaucoup plus positivement que leurs aînés il y a trente ans. Avant, lorsqu’un garçon dévoilait son homosexualité, les parents s’exclamaient : « Nous ne serons jamais grands-parents ! » Aujourd’hui, ils ne peuvent plus le dire. Les homosexuels et les lesbiennes sont nombreux à avoir des enfants, même si le mariage et l’adoption homosexuels ne sont pas encore reconnus en France. Les jeunes savent que c’est possible, et cela peut faire partie de leur projet de vie. Ce qu’ils souhaitent, pour la plupart, c’est avoir une vie comme tout le monde, rencontrer l’être aimé et fonder une famille. La différence est qu’aujourd’hui ils s’autorisent à le penser. Dans l’enquête, quelqu’un parle du droit à la différence et à l’indifférence. Je crois que cela résume bien leurs attentes.

Combien, parmi les personnes enquêtées, disent avoir déjà sollicité une aide psychologique ou psychosociale ?

58 % disent avoir déjà fait cette démarche. Cela ne signifie cependant pas qu’ils ont consulté à cause de leur homosexualité, mais les problèmes ne sont jamais isolés les uns des autres. Si vous souffrez déjà de difficultés scolaires et d’un manque de confiance en vous-même, la découverte d’une orientation sexuelle différente risque de ne rien arranger. Ces jeunes peuvent donc être plus vulnérables, et cela souligne l’importance du rôle des intervenants sociaux. Tous les travailleurs sociaux et les thérapeutes croisent, tôt ou tard, des personnes homosexuelles. Malheureusement, ils n’ont, bien souvent, aucune formation sur ce sujet. Il y a vingt ans, j’ai créé pour le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec deux formations itinérantes visant à améliorer la prise en charge de la diversité sexuelle. Plus de 20 000 travailleurs sociaux, infirmiers, aides scolaires, policiers et enseignants les ont déjà suivies. Je souhaite reproduire cette expérience en France. Nous allons travailler avec Isabelle Chollet sur ce projet, qui pourrait être développé par le Refuge, j’espère en partenariat avec un institut régional du travail social.

Est-il préférable de créer des structures spécialisées ou d’accueillir les jeunes homosexuels dans le circuit classique ?

Dans la plupart des cas, les structures générales doivent pouvoir accueillir ces jeunes. Sachant que, généralement, ils n’ont pas besoin d’une thérapie mais d’une aide, d’un soutien. C’est la raison pour laquelle il faut former le plus de professionnels possible, sur la base du volontariat. Il existe néanmoins un certain nombre de cas exigeant une expertise plus pointue, à l’image de celle du Refuge. Un jeune qui se pose de profondes interrogations sur son orientation sexuelle, qui a des tendances suicidaires et qui souffre d’un fort rejet de la part de ses parents a besoin d’une prise en charge plus spécifique. Sinon, la grande majorité peut être aidée par n’importe quel travailleur social, sous réserve encore une fois que celui-ci soit formé à ces questions. Notre enquête montre que la seule véritable demande des personnes homosexuelles, c’est que le professionnel qui les accueille connaisse la réalité de l’homosexualité. Je crois que notre rôle, en tant qu’intervenants sociaux, consiste aussi à servir de modèle d’acceptation, en rappelant à leur entourage que ces jeunes ont les mêmes droits que les autres.

REPÈRES

Michel Dorais est sociologue, spécialiste du genre et des sexualités. Il enseigne à la faculté des sciences sociales de l’université de Laval, à Québec, et dirige la revue Service social. Il publie, en collaboration avec la psychologue Isabelle Chollet, Etre homo aujourd’hui en France (Ed. H&O, 2012).

Notes

(1) Le Refuge est une structure conventionnée par l’Etat qui propose un hébergement temporaire et un accompagnement social, médical et psychologique aux jeunes majeurs, filles et garçons, victimes d’homophobie – Voir ASH n° 2528 du 26-10-07, p. 29.

(2) Rapport gai. Enquête sur les modes de vie homosexuels en France – Jean Cavailhès, Pierre Dutey et Gérard Bach-Ignasse – Ed. Persona, 1984.

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