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Des seniors à l’œuvre

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A Claye-Souilly, en Seine-et-Marne, le Centre de la Gabrielle a ouvert depuis plus de six mois l’accueil de jour Couleurs et création. Destiné à des personnes de plus de 45 ans qui souffrent de handicap mental, ce lieu leur propose de nombreux ateliers de création artistique pour les aider à « mieux vieillir ».

Jean-Claude Ressent s’applique. Après avoir tracé un cercle sur son support en carton, il le colorie tout en noir. Il a une idée bien précise de l’œuvre qu’il veut réaliser. Gaël Lecerf, le moniteur artistique, lui a simplement donné quelques indications et la thématique de la semaine : « le cercle du temps ». Il surveille d’un œil son travail, vérifie le respect des proportions, puis retourne donner des conseils à Charles Cattiaux et à Philippe LeTaillanter, les autres participants à son atelier, tous handicapés mentaux. Après l’activité de dessin, Jean-Claude Ressent pourra poursuivre sa journée en prenant part aux ateliers « plâtre et moulages », « vidéo » ou encore « écriture et chorégraphie ». Tout un éventail d’activités que propose Couleurs et création, le nouvel accueil de jour ouvert en septembre dernier par le Centre de la Gabrielle de Claye-Souilly (Seine-et-Marne) (1) et qui reçoit ses premiers résidents, âgés de 45ans et plus.

« L’espérance de vie des personnes en situation de handicap mental s’allonge, mais leur vieillissement reste prématuré : à 45 ans, un travailleur en ESAT [établissement et service d’aide par le travail] peut ne plus avoir la possibilité de travailler. Il doit pouvoir trouver un établissement ou un service en mesure de l’accompagner en journée qui ne soit pas un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes », fait valoir Bernadette Gros­yeux, directrice générale du Centre de la Gabrielle. Et Karima Aknouche, psychologue, qui intervient huit heures par semaine dans la structure, ajoute : « Beaucoup de personnes handicapées mentales se retrouvent à côtoyer des personnes de plus de 85 ans, parfois désorientées. Non seulement on leur fait quitter très jeunes et de façon radicale leur environnement, mais les activités d’une maison de retraite ne sont pas non plus adaptées, si bien qu’elles perdent de leur autonomie. Or nos usagers ont besoin d’être stimulés, d’apprendre et de continuer à faire par eux-mêmes. Tout cela contribue à la prévention du vieillissement pathologique et au maintien des capacités existantes. » Le projet de Couleurs et création a donc été conçu autour de la dimension du vieillissement et de la création. « Ce lieu doit permettre aux usagers de continuer à s’enrichir pour “mieux vieillir” », résume Renata Chinalska-Chomat, directrice de la structure. Sachant que, pour les travailleurs en ESAT, cette “retraite anticipée” signifie faire le deuil d’une activité professionnelle qui rythmait leur vie, leur donnait un statut et était souvent très valorisante pour eux. »

Alors, pour que ne s’ajoute pas à ce choc un changement de lieu de résidence, Couleurs et création accueille chaque jour des personnes qui continuent par ailleurs leur prise en charge habituelle – en foyer, en service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés, en service d’accompagnement à la vie sociale, ou tout simplement avec leur famille, du moment qu’elles vivent dans un périmètre géographique de 30 kilomètres autour de Claye-Souilly. Certains usagers peuvent même maintenir une activité professionnelle à temps partiel. Ils sont déjà 16 dans la structure. La montée en charge étant progressive, à terme, ils devraient être une vingtaine en équivalent temps plein.

Replacer l’homme au cœur de son action

Depuis plusieurs années déjà, le Centre de la Gabrielle a développé des services s’articulant autour du thème de la création. Le foyer Art et vie, ouvert il y a douze ans, propose par exemple à 15 jeunes adultes des activités artistiques afin de favoriser l’expression et la communication. Les réalisations des artistes en herbe ont révélé une grande richesse, une diversité, et ont fait l’objet de plusieurs expositions et éditions (2). Cette expérience a nourri le concept de Couleurs et création, qui est donc très loin d’un « club du troisième âge ». Bernadette Gros­yeux observe : « Parce que le comportement créatif replace l’homme au cœur de son action, parce que celle-ci est valorisante et qu’elle focalise le regard sur la capacité et non plus sur le handicap, l’expression faite à travers les arts visuels crée un dialogue pour lequel le nouvel atelier a été conçu. » La directrice générale insiste : « C’est un lieu où la création est de qualité et multiple. Les ateliers de danse, de théâtre, de peinture, de sculpture, d’arts numériques… sont suivis avec rigueur et animés par une équipe de travailleurs sociaux recrutés en fonction de leur attrait et de leurs compétences en matière artistique. » Moniteur artistique issu des Beaux-Arts de Paris, Gaël Lecerf complète donc l’équipe, qui a été formée au vieillissement par un gériatre, mais aussi au processus de création ainsi qu’à la propriété artistique du point de vue juridique.

Qualité et exigence artistiques

L’idée a jailli voici près de cinq ans. Il a fallu à Bernadette Grosyeux et son équipe beaucoup d’énergie pour monter le projet – financé par le conseil général de Seine-et-Marne – et faire émerger le lieu idéal. « Nous voulions une architecture qui se démarque de l’environnement médico-social », explique-t-elle. Le nouveau bâtiment de 350 m2 comprend un lieu d’accueil et d’expérimentation, grande salle de 70 m2 jugée plus conviviale qu’une multitude de petites salles, recouverte d’un sol rouge et éclairée par une immense baie vitrée pouvant s’ouvrir aux beaux jours sur un jardin. Surtout, bien que l’établissement soit situé sur le terrain du Centre de la Gabrielle, la volonté était que l’entrée se fasse par l’extérieur, dans l’une des grandes artères de Claye-Souilly. « Ainsi, les passants se demandent de quoi il s’agit et peuvent même avoir la curiosité d’en franchir le seuil. » L’objectif est, bien entendu, de décloisonner le monde du handicap en ouvrant la structure sur la ville. Couleurs et création doit devenir « un lieu de création pour le bassin de population, avec l’accueil d’artistes en résidence ».

Les artistes n’ont cependant pas encore investi l’accueil de jour. Les faire venir est l’une des missions d’Audrey Posada, médiatrice culturelle. « Je recherche des artistes qui pourront faire des résidences à Couleurs et création sans être des électrons libres. Ils devront pouvoir “coller” avec notre projet, tout en permettant aux personnes handicapées d’accéder à un nouvel univers. Des établissements qui utilisent l’art comme activité ludique, on en compte énormément, mais ici l’objectif est d’aller plus loin. Nous ne sommes pas dans l’occupationnel, mais dans la qualité et l’exigence. L’artiste doit se nourrir de sa rencontre pour produire une œuvre. » Un travail collectif qui sera exposé tantôt à l’intérieur de l’établissement, tantôt dans des centres culturels comme celui que dirige Mohamed Zoubir, à Villeparisis. « Le centre Jacques-Prévert accueille depuis longtemps des personnes handicapées dans ses ateliers de danse, de dessin ou de langue des signes. Nous leur permettons aussi de sortir de l’exclusion en les invitant aux spectacles que nous organisons. Quand j’ai entendu parler du projet Couleurs et création, j’étais enthousiasmé par ce rapprochement entre le monde de la culture et celui du handicap. J’ai envie d’exposer dans ma galerie des œuvres de personnes handicapées mentales comme j’expose celles d’artistes connus. Je m’occupe également d’un centre social et j’envisage d’emmener des groupes de femmes voir les peintures et les sculptures des usagers exposées dans l’atelier. »

Audrey Posada pourra donc s’appuyer dans un premier temps sur quelques centres artistiques locaux, avant de consolider les liens avec d’autres acteurs extérieurs à l’institution : écoles, centres de loisirs, théâtres, etc. Elle compte également organiser, en fonction du travail de l’équipe, des sorties culturelles au musée ou dans des entreprises. « Je veux mettre en lien le travail plastique et le travail industriel ; les personnes handicapées pourront ainsi mieux comprendre le traitement de la matière. » Première sortie programmée dans une entreprise de cartonnage de Pontault-Combault. « Nous demanderons à repartir avec quelques échantillons qui serviront dans les ateliers », ajoute Audrey Posada. Avant d’obtenir ce premier contact, la médiatrice culturelle s’est heurtée à des résistances. « Il a été difficile de trouver des entreprises acceptant de recevoir un public handicapé mental. J’ai fini par trouver une parade en les présentant comme des travailleurs en ESAT. » Elle qui avait exercé jusqu’ici en tant que chef de projet culturel au musée des Arts naïfs est persuadée que l’art et la culture sont au service de l’épanouissement. Quand tout sera mis en place, elle aimerait préparer les visites en amont et en aval avec les usagers. « Pouvoir reparler des sorties avec eux me permettrait d’en mesurer l’impact. Même s’ils n’ont pas toujours les mots pour s’expliquer, ils peuvent très bien s’exprimer par le ressenti. »

Pour l’heure, c’est à l’éducatrice spécialisée Alice Lemaire que les personnes handicapées parlent des sorties et des activités. En effet, chaque jeudi après-midi, elle prépare avec eux le journal de bord de Couleurs et création. Un cahier qui sert aussi bien de boîte à souvenirs que d’outil de communication avec les familles. « Chaque atelier est un espace de découverte de sa propre créativité, une ouverture au plaisir d’inventer et de mettre en forme ses émotions, constate l’éducatrice. Et, de fait, toutes les personnes accueillies semblent ravies d’être là et participent plus ou moins activement aux ateliers selon leurs possibilités. L’exploration de divers matériaux et techniques, le travail collectif et la variété des contenus produits amènent les usagers à échanger entre eux. » Alice Lemaire a réuni devant l’écran d’ordinateur quelques résidents et leur explique comment enregistrer un document et télécharger une photo. Elle leur demande de se rappeler ce qu’ils ont fait cette semaine. Fabienne Balay, 50 ans, est la plus bavarde. Elle montre le journal du premier trimestre. On y voit des photos commentées d’ateliers de sirtaki, de cours de step, de la visite du centre Beaubourg, de parties de jeux de société, de badminton et de pétanque, d’une promenade de santé, d’une sortie en médiathèque, etc. Un programme d’une richesse inattendue, quand on sait que la structure n’accueille les personnes handicapées que de 9 h 30 à 16 h 30 en semaine et ferme pendant la majeure partie des vacances scolaires. Aurélie Galant, chef de service de l’accueil de jour, se réjouit : « C’est l’enthousiasme des usagers qui permet cela ! Bien qu’ils n’aient généralement jamais touché à l’art auparavant, ils sont hyperimpliqués. Certains d’entre eux sortent pourtant d’ESAT, où on leur demandait d’exécuter des gestes répétitifs en blanchisserie ou en conditionnement – un monde très formaté, donc –, et arrivent dans un univers où un large espace de créativité leur est offert et où leur personnalité est mise en valeur. Ils apprennent progressivement à s’écouter, à écouter leur corps. Il faut respecter leur rythme mais aussi les motiver. »

Formés aux arts numériques

C’est Gaël Lecerf, le moniteur artistique, qui a été le plus surpris. Même s’il était sensibilisé à la problématique du handicap, il n’avait jamais travaillé avec ce public. Il apprécie d’autant plus son travail qu’il a découvert à Couleurs et création un « terrain vierge ». « Les usagers n’ont aucun a priori sur l’art. De plus, ils ont une bonne concentration car ils ont déjà travaillé. Ils sont participatifs et enthousiastes. » Expérience peu commune dans les établissements médico-sociaux, l’accueil de jour propose un atelier « arts numériques ». Le bâtiment est équipé d’une salle informatique où Gaël Lecerf propose aux usagers de faire de la création artistique sans crayon ni pinceau. L’objectif est de familiariser les personnes handicapées mentales aux nouvelles technologies tout en créant des œuvres uniques et modernes.

Les autres ateliers se sont créés au gré des désirs des participants et de leurs possibilités. « Au fur et à mesure de leur vieillissement, nous nous adapterons. Jusqu’au jour où notre accompagnement ne sera plus pertinent et que nous devrons passer le relais à un EHPAD. Nous aurons servi d’intermédiaire », souligne Aurélie Galant.

Sophie Vrel, monitrice-éducatrice, prend un petit groupe avec elle pour l’activité « écriture et chorégraphie ». Assis autour d’une table, Guy Langlois, 45 ans, Jean-Claude Ressent, 53 ans, et Fabienne Balay proposent des mots qui forment une histoire. Une fois quelques phrases rédigées, à eux de chorégraphier cette drôle d’histoire ! Les rires fusent quand Jean-Claude mime un arbre déraciné par le vent, ou quand Guy prend une mine désespérée pour représenter le mot « pauvre ». « Ces personnes n’ont pas l’habitude de travailler avec leur corps. Grâce à l’aspect ludique des activités, nous exerçons de façon simple leur psychomotricité et leur attention. A terme, nous espérons faire venir des chorégraphes professionnels en résidence. Ces petits exercices familiarisent d’ores et déjà nos usagers à cette pratique », développe Sophie Vrel. Auparavant, cette professionnelle, également éducatrice sportive adaptée, travaillait au foyer Art et vie du Centre de la Gabrielle, où elle animait des ateliers de danse. « Couleurs et création est dans la continuité de cette expérience. La différence est que les jeunes dont je m’occupais avaient beaucoup plus d’énergie. Je propose ici des exercices d’éveil corporel tous les matins, un atelier de danse collective le lundi avec quelques petits jeux d’improvisation liés au thème de la semaine ; le mardi, nous nous rendons dans une salle de psychomotricité et, parfois, nous sortons au club UCPA de la ville pour jouer au badminton. Si l’on reste dans le ludique, on évite cependant les activités puériles. »

Mettre des mots sur les activités

Les personnes inscrites à Couleurs et création s’engagent à venir au minimum deux jours par semaine et à s’intéresser à des ateliers dans trois domaines d’activité – arts, nouveaux médias et activités physiques – selon leur état de santé et leurs préférences.

« La cohésion d’ensemble est un enjeu essentiel, ajoute Renata Chinalska-Chomat, la directrice de l’accueil de jour. Elle s’opère concrètement par un travail autour des thèmes communs et par des échanges constants entre les professionnels qui permettent de relier les pratiques et les projets. »

Une fois par semaine, les usagers rencontrent aussi Karima Aknouche, la psychologue, pour un atelier mémoire. « Je leur fais prendre conscience qu’ils ont une mémoire, qu’ils peuvent la travailler et qu’elle est efficiente. » Elle leur propose des jeux avec des images ou autour des cinq sens, qui peuvent avoir ou non un lien avec les sorties ou les ateliers de la semaine. Le groupe de parole qu’elle anime le vendredi a pour objectif de les amener à mettre des mots sur leurs activités artistiques. « Ce qui les a marqués, ce qui leur a plu ou déplu. Comme je ne suis pas là durant le reste de la semaine, c’est vraiment une découverte pour moi. Même ceux qui ont du mal à s’exprimer participent à leur manière. Récemment, je sais qu’ils ont visité une exposition présentant de grandes statues en bois. J’ai demandé à Guy de retranscrire ses impressions. Cela lui a demandé un effort d’élaboration mais il y est arrivé. Dans un domaine culturel, qui ne relève pas de l’ordre des besoins primaires, je trouve cela remarquable ! »

Si Karima Aknouche – qui peut, au coup par coup, apporter aux professionnels un éclairage du point de vue psychique sur des situations précises – a postulé à Couleurs et création, c’est pour le caractère innovant de cette structure : « Le terme même de création signifie transformer les choses, même mentalement. Dans un accompagnement du vieillissement, qu’on associe d’ordinaire à la fin, au déclin d’une personne, j’ai trouvé que c’était très intéressant du point de vue clinique. »

ASSOCIATION EG’ART
Promouvoir les talents avérés

Si toutes les personnes handicapées mentales accueillies à Couleurs et création s’y expriment de façon artistique, elles ne sont pas toutes des artistes pour autant. Mais, de temps en temps, on déniche parmi elles un talent. C’est pour cela qu’a été créée l’association Eg’Art-Pour un égal accès à l’art (3), qui permet aux personnes autodidactes ayant un talent avéré dans le domaine des arts visuels d’exposer et de vendre leurs œuvres (peinture, dessin, sculpture, installation, photographie, vidéo…). L’association offre un conseil (informations juridiques ou concernant le fonctionnement des milieux artistiques et culturels) et un soutien personnalisé en aidant à la recherche des lieux d’exposition et de vente (par le biais d’un contrat de mandat). En octobre dernier, était ainsi exposé un premier artiste, Luca Blood, au centre culturel Christiane-Peugeot, à Paris.

Notes

(1) Ouvert en 1972 à Claye-Souilly et géré par la Mutualité fonction publique action santé social, le Centre de la Gabrielle est composé de 11 établissements et services médico-sociaux privés à but non lucratif ainsi que d’une entreprise adaptée (les Ateliers du Parc de Claye). Il accompagne plus de 450 enfants, adolescents et adultes en situation de handicap mental. Couleurs et création : Centre de la Gabrielle – 6, rue de la Gabrielle – BP15 – 77411 Claye-Souilly cedex – Tél. 01 60 27 68 04 – lagabrielle@mpf.frwww.centredelagabrielle.fr.

(2) Dernier ouvrage : Expressions premières – Textes de Bernadette Grosyeux – Ed.Pascal (www.editionspascal.com) – 24,50 €. Une part des produits de la vente de ce livre sera versée au financement des activités artistiques du Centre de la Gabrielle.

(3) www.egart.fr – Contact : info@egart.fr.

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