« Plus de dix ans après sa mise en œuvre, et dans un contexte de crise économique et financière, la loi CMU [couverture maladie universelle] demeure plus que jamais, et dans toutes ses composantes, un facteur déterminant dans la réduction des inégalités sociales de santé. » Toutefois, les assurés rencontrent encore trop de difficultés d’accès à la CMU complémentaire (CMU-C) et à l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire santé (ACS) (1). C’est ce qui ressort du cinquième rapport d’évaluation de la loi du 27 juillet 1999 que le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie – dit « Fonds CMU » – a rendu public le 5 mars (2). Pour l’instance, plusieurs questions se posent, notamment celle du ciblage des bénéficiaires potentiels de l’ACS et celle du niveau du plafond de ressources de la CMU-C. Et si elle juge ces dispositifs globalement « positifs », elle estime tout de même que « des marges de progrès sur l’accès aux soins sont encore possibles ».
Selon le fonds, au 31 décembre 2010, on dénombrait un peu plus de 4,32 millions de bénéficiaires de la CMU-C en métropole et dans les départements d’outre-mer (DOM), soit 3,5 % de plus par rapport à décembre 2009. Cette tendance à la hausse tend à se confirmer puisque, au 30 juin 2011, le nombre de titulaires de la CMU-C est passé à près de 4,41 millions (+ 1,9 %). Fin 2010, les assurés bénéficiant de la CMU-C représentaient près de 6 % de la population en métropole et de 30 % dans les DOM. Parmi eux, 44,3 % avaient moins de 20 ans et étaient, pour 91,3 % d’entre eux, des ayants droit. Les titulaires âgés de 20 à 59 ans rassemblaient 51 % des effectifs (3).
En tant que prestation sociale, la CMU-C « atteint pleinement son objectif », estime le fonds. « Pour autant, ajoute-t-il, les effets de la crise économique sur ces trois dernières années pèsent de plus en plus lourdement sur les ménages à faibles revenus. » Fixé à l’origine en référence au seuil de pauvreté (50 % du revenu médian) – chiffre qu’il n’avait d’ailleurs pas atteint –, le plafond de ressources de la CMU-C a été revalorisé depuis 11 ans selon l’évolution de l’indice des prix hors tabac. « Il en découle un décrochage qui interpelle et mérite réflexion », souligne le Fonds CMU. Sur le long terme, analyse l’instance, « le rapport entre le plafond CMU-C et le seuil de pauvreté […] est passé de 88 % en 2000 […] à 78,8 % en 2009 ». Si le plafond était réévalué de 15 % – ce qui le porterait à 745 € par mois pour une personne seule –, « cela permettrait de retrouver le rapport de 90 % initialement fixé par rapport au seuil de pauvreté, sans dépasser par ailleurs les montants des minima sociaux, tels que l’allocation aux adultes handicapés et l’allocation de solidarité aux personnes âgées, dont les allocataires continueraient de relever de l’ACS ». Coût de cette réévaluation : 418 millions d’euros pour la métropole.
Le nombre de titulaires de l’ACS a été stable en 2009 (+ 0,62 %) et a ensuite progressé de 5,5 % en 2010. Fin juillet 2011, près de 700 000 personnes s’étaient vu délivrer une attestation de droits à l’ACS (+ 17,6 %). En dépit du relèvement du plafond d’accès à l’ACS au 1er janvier 2011, l’augmentation est « un peu en deçà des prévisions » du Fonds CMU, qui tablait sur une hausse de 22 % entre novembre 2010 et novembre 2011.
Selon le rapport, « le problème déterminant pour l’ACS est celui de la non-demande par les publics potentiels » – le taux de non-recours s’élève en effet à 75 % – « et non celui du taux d’utilisation des attestations qui atteint un niveau remarquable de 85 % ». Il s’agit d’un dispositif « dont la relative complexité rend difficile une pénétration plus large au sein d’une population le plus souvent en difficulté face aux démarches administratives ». Pour le Fonds CMU, il faut donc « persévérer » dans l’information sur l’ACS « et sans doute lancer [des] actions nationales, tout en encourageant encore davantage les initiatives locales » pour promouvoir le dispositif.
Le Fonds CMU s’inquiète par ailleurs de l’importance du renoncement et des retards aux soins des bénéficiaires de la CMU-C (4). D’après une enquête qu’il a menée fin 2010 avec le Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé, 36,6 % d’entre eux ont renoncé à des soins pour des raisons financières au cours des 12 mois précédents, une décision qui « intervient le plus souvent avant même d’avoir consulté ». La proportion se monte à 45,5 % pour ceux bénéficiant de la CMU-C depuis moins d’un an. Principaux obstacles financiers : les soins ou produits non remboursés et la demande d’une participation financière en plus du montant pris en charge par la CMU-C. Le non-recours aux soins concerne le plus souvent les médicaments, le dentaire et les consultations de spécialistes. En outre, un quart des bénéficiaires de la CMU-C ont renoncé aux soins pour d’autres motifs avec, par ordre décroissant : des délais de rendez-vous trop longs, le manque de temps et le refus de la part du professionnel.
Afin de favoriser l’accès aux droits, le rapport préconise un certain nombre de mesures. Pour éviter toute rupture de droits dans la protection obligatoire des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), il propose notamment d’« affilier immédiatement à la CMU de base les bénéficiaires du RSA “socle” et “socle majoré” qui se retrouveraient en fin de droits à l’assurance maladie ». Le Fonds CMU suggère également d’accélérer et de généraliser la pré-instruction, par les caisses d’allocations familiales, des demandes de CMU-C des titulaires du RSA. En 2010, seulement 59 % des caisses avaient formé leurs agents à cet effet. Autre recommandation de l’instance : développer des accords entre les caisses d’assurance maladie et les départements afin que les centres communaux d’action sociale puissent constituer des « relais locaux » pour favoriser la promotion et l’accès à la CMU-C et à l’ACS.
A âge et sexe équivalents, les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) se disent en moins bonne santé que le reste de la population, déclarant être atteints de plus de pathologies, jusqu’à deux fois plus pour certaines affections comme la dépression et le diabète. C’est ce que montre une récente étude des ministères de la Santé et des Solidarités (1).
Les troubles mentaux, symptômes (douleur, toux, vertige, sans autres indications), maladie de l’appareil digestif, de l’oreille et du système nerveux central sont les groupes de pathologies qui concentrent les plus gros écarts de prévalence (2) entre les deux populations.
En revanche, les bénéficiaires de la CMU-C déclarent porter moins de lunettes et de prothèses dentaires que le reste de la population (respectivement 43 % contre 51 % et 26 % contre 30 %).
Ce, alors même qu’ils rencontrent des difficultés pour voir comparables et qu’ils « déclarent plus souvent des caries qui, n’étant pas ou mal soignées, auraient dû impliquer la pose de prothèses dentaires ».
Ce moindre appareillage « pourrait s’expliquer, selon l’étude, par un renoncement aux soins en lien avec le statut précaire et l’histoire des personnes bénéficiant de la CMU-C ».
(1) Depuis le 1er janvier 2012, l’ACS est réservée aux personnes dont les revenus ne dépassent pas de 35 % le plafond de ressources de la CMU-C.
(2) Rapport disponible sur
(3) Selon le Fonds CMU, la faible proportion des plus de 60 ans (4,7 %) s’explique par le fait que les personnes qui n’ont pas suffisamment cotisé aux régimes de retraite pour pouvoir bénéficier d’une pension de vieillesse suffisante se voient attribuer l’allocation de solidarité pour personnes âgées. Or, cette allocation dépassant légèrement le plafond de ressources pour l’octroi de la CMU-C, ce public est orienté vers l’ACS.
(4) Sur le renoncement aux soins, voir aussi ASH n° 2748 du 24-02-12, p. 22.
(1) DREES – Etudes et résultats n° 793 – Mars 2012 – Disp. sur
(2) Nombre de personnes atteintes d’une certaine maladie à un moment donné dans une population donnée.