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SSIG : malgré le « paquet Almunia-Barnier », la marchandisation du social continue

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Les décisions relatives aux services sociaux d’intérêt général (SSIG) qu’a adoptées en décembre la Commission européenne – connues sous le nom de « paquet Almunia-Barnier » (1) – ont été généralement bien accueillies par le secteur associatif. Mais pour Michel Chauvière, sociologue, directeur de recherche au CNRS (2), et Joël Henry, ancien président et cofondateur du Cnaemo et d’Eurocef (3), tous deux membres du collectif MP4-champ social (4), les avancées saluées sont en réalité en trompe l’œil.

« La journée du 2 février dernier organisée à Paris par le Collectif SSIG et le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale a donné l’onction aux dispositions nouvelles contenues dans le “paquet Almunia-Barnier”, ensemble de cinq textes de la Commission européenne centrés sur les services sociaux relativement à la compatibilité des aides d’Etat, au seuil de minimis pour les petits services locaux, à certaines modulations techniques des dispositions des marchés publics et des concessions, à une plus grande éligibilité au Fonds social européen pour des actions concernant les SSIG.

Salués comme autant d’avancées, ces différents textes doivent toutefois d’être regardés de manière plus attentive, voire critique, en raison de leur perspective en trompe l’œil.

L’énoncé péremptoire par des fonctionnaires européens de la doctrine nouvelle et les questionnements généralement connivents des organisateurs et des participants des tables rondes ont généré des monologues techniques devant une assemblée, semble-t-il, foncièrement d’accord et studieuse.

Cependant, nombreux restent les angles morts. Avec quelques autres participants, nous sommes restés dubitatifs sur le contenu et le déroulement de cette “grand-messe” dont l’objectif essentiel et préoccupant à nos yeux n’a pourtant pas été affiché, à savoir la confirmation de l’assignation des services sociaux à la catégorie des services d’intérêt économique général.

Le “paquet Almunia-Barnier” vise d’une part à exempter la plupart des services sociaux – mais pas tous – de l’obligation d’autorisation préalable accordée par Bruxelles au titre du contrôle des aides d’Etat et, d’autre part, à homologuer leur spécificité à travers des seuils plus élevés et des modalités procédurales allégées en matière de marchés publics. Avancées, certes et tant mieux, facilitation – toute relative – sans doute, mais qui ne vont pas jusqu’à la promulgation d’un instrument législatif spécifique aux SSIG et, surtout, qui cantonnent ces derniers dans la sphère économique des marchés publics et de la concurrence. Nous avons évoqué la perspective en trompe l’œil, elle se vérifie. On peut aussi caractériser l’initiative de la Commission comme un lâcher de lest sur l’accessoire aux fins de préserver l’essentiel que constituent le marché et la concurrence non faussée. En ce sens, pour les opérateurs sociaux, ne s’agit-il pas d’une victoire à la Pyrrhus ?

Vers une logique de prestations de services

Pour la commission, de quel social est-il question s’agissant des SSIG ? Visiblement, elle s’écarte de la problématique historique des droits créances, plus ou moins universalistes, non contributifs et idéalement inconditionnels, fondatrice de l’Etat providence pour aller sans plus aucun doute vers une problématique des prestations de services mises en œuvre par des opérateurs. La définition du service a définitivement basculé et l’opérateur est désormais au centre de la représentation.

Ce social-là n’est plus universaliste, mais ciblé. Les propositions faites en réponse aux appels à projets exigés par les marchés publics doivent définir des problèmes, des populations, des résultats à atteindre, des ressources additionnelles, humaines, matérielles et financières, et des chiffres partout ou presque. La société dans sa globalité (“faire société”, “vivre ensemble”) n’est plus évoquée.

Ce sont les pauvres et leurs avatars qui sont visés, requalifiés de vulnérables (un euphémisme à cette place). C’est donc un social d’intervention résiduel, sur ceux qui font tache dans la société postmoderne (numérique, binaire, concurrentielle, subjectiviste, compassionnelle) et non un social de développement, s’appuyant sur les contradictions du social et de l’économique pour les dépasser (dialectique). Ce social-là est d’emblée dans l’économique étant devenu économique à son tour, via les services et surtout leur gestion, le tout constituant désormais un nouveau marché. CQFD.

Les professionnels et leurs professions instituées, comme “intellectuels collectifs”, sont les grands absents de ce débat. Ils ont perdu la légitimité que leur donnait leur face-à-face avec l’usager.

Réduits à l’état de ressources humaines pour la mise en œuvre des projets présentés et portés par les opérateurs, publics, privés associatifs ou lucratifs, en concurrence les uns avec les autres, mais le plus souvent hors d’eux, sauf dans les rares montages coopératifs.

Remettre les SSIG à leur juste place

La part organique et concrète, c’est-à-dire institutionnelle, qu’implique le “service public” est complètement oubliée. Ce dernier n’est plus abordé que comme un ensemble d’objectifs généraux et abstraits, allant de soi, presque naturalisés, parmi d’autres objectifs en lice, qui font la matière des délégations de service public caractérisées par un transfert du risque d’exploitation. La locution “intérêt général” connaît le même traitement. Elle s’écarte de la définition substantielle et organique à la française pour n’être plus qu’un idéal ou un objectif supérieur de type vertueux, à respecter dans le développement des affaires (sociales).

Le non-économique caractérisant les services non économiques d’intérêt général (SNEIG), pourtant reconnus dans le droit primaire communautaire par le protocole 26 (article 2) relatif aux services d’intérêt général, n’est toujours pas pensé par les instances communautaires, malgré leurs promesses. Il n’a été qu’à peine évoqué par un participant à l’une des tables rondes.

Evidemment, il est difficile pour les néolibéraux et leurs alliés de penser la négation du tout économique et de lui reconnaître un périmètre et des fondements politiques, juridiques spécifiques plus précis et bien plus larges que les seuls exemples fournis par la Cour de justice européenne concernant les seules prestations de sécurité sociale et la scolarité obligatoire. C’est pourtant dans cette catégorie que se trouve la juste place des SSIG et nous avons bien du mal à le faire admettre mais nous ne désespérons pas d’y parvenir.

Dans le principe fondamental de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisant les aides d’Etat puis dans l’exception concédée par l’article 106-2 concernant l’intérêt général, l’Etat est vu comme une instance extérieure à l’action, laquelle se légitime au contraire ou bien par le projet en réponse à des besoins constatés, ou bien par les parts de marché conquises de haute lutte, dans tous les cas par le fait d’entreprendre (entreprise sociale).

L’appareil d’Etat devient alors une ressource à concurrence des autres ressources (tarificateur), une source de complexité administrative (explosion réglementaire) mais aussi un risque de sanction pénale (sur le fondement de l’“erreur manifeste”). Il n’est plus ni représentant du peuple, ni garant des valeurs fondatrices, ni même protecteur. Quand c’est nécessaire, il délègue (concède) ou il achète (marché public); bref, il externalise, pour faire moderne.

Le régime de la subvention est devenu résiduel, avec un effet de seuil. L’eurodéputé Pascal Canfin (Verts/ALE) étudie avec l’Uniopss et la CPCA (5) une nouvelle forme de convention de subvention. Il s’agirait d’un acte de mandatement eurocompatible, grâce auquel les associations éviteraient de passer sous les fourches caudines des appels d’offres, sans courir le risque d’être bernées par les dits appels à projets qui ne sont, le plus souvent, que des appels d’offres déguisés.

Dans les documents remis en séance ou déjà proposés aux collectivités territoriales, le projet élaboré par le Collectif SSIG d’un code européen des SSIG doit être regardé comme un élément pour graver plus profondément encore dans le marbre et dans l’inconscient des différents acteurs le caractère censé être sérieux, légal, inéluctable et sain de services sociaux considérés comme des services économiques, c’est-à-dire, pour nous, en l’état libéral de l’Union européenne, comme ouverts dangereusement à la marchandisation et à la concurrence contraires aux finalités de solidarité et aux nécessités des pratiques sur le terrain.

Finalement, ce colloque du 2 février nous conforte dans la détermination d’encore résister à la marchandisation des services sociaux. En faisant connaître nos arguments et études ainsi qu’en contribuant à une mobilisation plus grande, il reste possible et nécessaire de reclasser les SSIG à leur juste place de services non économiques d’intérêt général. »

Contacts : mchauviere@noos.fr et jhenry1@dbmail.com

Notes

(1) Voir ASH n° 2739 du 30-12-11, p. 16, 17 et 23.

(2) Et auteur de L’intelligence sociale en danger, Ed. La Découverte, 2011 (voir ASH n° 2736 du 9-12-11, p. 44) et de Trop de gestion tue le social, Ed. La Découverte, 2007 (voir ASH n° 2533 du 30-11-07, p. 37).

(3) Respectivement Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert et Comité européen d’action spécialisée pour l’enfant et la famille dans leur milieu de vie. Joël Henry est aussi l’auteur de Du social en Europe, Ed. Cheminements, 2006.

(4) Mouvement pour une parole politique des professionnels du champ social.

(5) Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux et Conférence permanente des coordinations associatives.

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