Il y a 30 ans, le 2 mars 1982, François Mitterrand promulguait la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, la première des lois de décentralisation. Que penser de ce texte aujourd’hui ? Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF) estime que cette loi « qui reconnaît des droits et des libertés aux collectivités locales aura marqué une révolution pour notre pays et pour la vitalité de sa démocratie ».
Un jugement toutefois nuancé par Robert Lafore, professeur de droit public : s’il reconnaît l’importance de ce texte – qui reflétait un consensus politique sur la nécessité de rééquilibrer les rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales –, celui-ci a néanmoins « ouvert le chantier de la décentralisation sans donner véritablement les plans de la future construction ». On a certes rendu les collectivités territoriales plus autonomes mais « sans régler la question de fond : faut-il passer du modèle communes-départements, hérité de la Troisième République, au modèle intercommunalités/métropoles/agglomérations-régions qu’on voit s’esquisser depuis les années 1970 ? » Et comme cette réforme s’est accompagnée d’un affaiblissement de l’Etat au niveau départemental, « lieu où étaient négociées les politiques nationales », sans qu’on prévoie « de lieu de concertation entre l’ensemble des acteurs », on a abouti au millefeuille actuel avec des concurrences entre les différents niveaux. La révision générale des politiques publiques (RGPP) n’a d’ailleurs pas permis de renforcer la coopération des acteurs aux niveaux départemental et régional (1).
Hubert Allier, directeur général de l’Uniopss, dresse également un « bilan mitigé » de la décentralisation. S’il reconnaît que, dans les premières années, celle-ci a permis d’obtenir des améliorations dans certains secteurs comme la protection de l’enfance, le handicap et la prise en charge des personnes âgées (pour les compétences transférées aux départements) et a obligé les associations – « où les directeurs généraux étaient parfois omniprésents » – à retrouver un positionnement politique, les choses ont changé à partir de 2004-2005. « Quand il y avait de l’argent, l’Etat a pu faire plaisir à tout le monde, mais ensuite, on a eu le sentiment qu’il reprenait d’une main ce qu’il avait donné de l’autre. Il n’a pas assumé jusqu’au bout le choix de la décentralisation », estime Hubert Allier. Si les raisons sont budgétaires, elles sont aussi, selon lui, identitaires : « On ne peut qu’être frappé par les mauvaises relations entre l’Etat et les collectivités territoriales alors que tous deux défendent l’intérêt général. J’ai toujours pensé personnellement que l’Etat français n’a jamais choisi entre déconcentration et décentralisation. »
Comment alors améliorer les choses ? Il est clair pour tous les trois qu’il n’y a rien à attendre de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010. « Au contraire, en créant un conseiller territorial et en maintenant les échelons départemental et régional, on complique au lieu de simplifier », souligne Hubert Allier. « Cette loi est un coup de pied dans la fourmilière. Comme on n’a pas les moyens politiques de changer de système, on fait des aménagements en espérant qu’ils pourront peut-être impulser des transformations ultérieures », analyse Robert Lafore.
Claudy Lebreton souhaite, pour sa part, « un nouvel élan ». Il passe, selon lui, par une clarification des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales d’un côté et entre collectivités de l’autre, par une réforme de la fiscalité locale afin de permettre à nouveau aux départements et aux régions de lever l’impôt et d’avoir de nouvelles ressources et par un raffermissement de la démocratie locale. Pour Robert Lafore, vouloir clarifier les compétences en gardant tous les acteurs est illusoire aujourd’hui tant ces compétences sont devenues imbriquées. Il juge, à titre personnel, le système communal-départemental « obsolète ». Et prône un système avec des intercommunalités fortes – leurs dirigeants seraient élus au suffrage universel – et des régions au pouvoir renforcé. Un schéma néanmoins qui fait disparaître les départements et a donc peu de chance de voir le jour.
Reste qu’au-delà des réorganisations que l’on peut proposer, la notion même de « décentralisation » pose problème, souligne Robert Lafore. « On a ouvert le chantier en 1982 parce que la situation n’était plus tenable. Cela fait 30 ans que l’on est à la recherche d’un nouvel équilibre entre l’Etat et les collectivités territoriales… »
(1) Voir aussi notre décryptage « Les collectivités territoriales au pied du mur » dans les ASH n° 2744 du 27-01-12, p. 30.