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« La raison première du chômage reste le manque de travail »

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Soumettre à référendum une réforme visant à durcir les conditions d’indemnisation du chômage, telle est l’une des propositions avancées par Nicolas Sarkozy dans le cadre de la campagne présidentielle. Reste que le durcissement de ces règles, mais aussi de celles de l’attribution des minima sociaux, ne date pas d’aujourd’hui. Et pas seulement en France. L’analyse de l’économiste Christine Erhel, spécialiste des politiques de l’emploi.

Observez-vous une montée en puissance des obligations faites aux chômeurs et, au-delà, aux allocataires de prestations sociales ?

La plupart des pays affichent en effet actuellement une plus grande fermeté à l’égard des chômeurs, notamment en raison des difficultés financières liées à la crise. Toutefois, sur le terrain, on s’aperçoit qu’il est difficile de mettre en œuvre des sanctions. D’abord parce qu’il est très coûteux de développer une capacité de contrôle suffisante. Ensuite parce que les cas de fraude avérés sont finalement très rares. Très peu de chômeurs ne souhaitent pas retrouver un travail. Plus globalement, la tendance à l’activation des politiques de l’emploi et, de manière plus générale, des politiques sociales, remonte en France et dans d’autres pays à la fin des années 1980. Elle repose sur l’idée que ces politiques comportent des risques importants de désincitation au travail. Il faut alors chercher à contrer cet effet, soit par des mécanismes financiers, soit en exerçant un contrôle accru sur les bénéficiaires des prestations sociales et de l’assurance-chômage.

Quelles sont les différentes formes d’activation des politiques de l’emploi ?

Les systèmes diffèrent, bien sûr, selon les pays et les philosophies qui les sous-tendent. On trouve d’abord les incitations financières directes visant, notamment, à augmenter les gains liés au retour à l’emploi. C’est l’un des mécanismes mis en œuvre dans le cadre du RSA et, auparavant, de la prime pour l’emploi. Les personnes reprenant un travail cumulent pendant un certain temps leur salaire et une partie de l’allocation. Ces mécanismes peuvent également fonctionner de manière négative avec une dégressivité des allocations au-delà d’une certaine période d’inactivité. Ce n’est pas le cas en France actuellement mais rien n’exclut que l’on n’y revienne pas un jour. Un deuxième type d’activation passe par des contrôles et des sanctions accrues, comme l’obligation de se présenter à échéance régulière auprès des services de l’emploi ou encore de participer à des dispositifs d’aide à la recherche d’emploi. La sanction consiste, le plus souvent, au retrait temporaire de l’allocation. Ce type de dispositif existe, entre autres, en Grande-Bretagne. Un troisième mécanisme repose sur la mise en œuvre d’un accompagnement vers l’emploi renforcé avec des programmes de formation et un accompagnement individualisé. C’est ce qui existe au Danemark, qui consacre un effort financier important à ces mesures, soit environ 3 % de son produit intérieur brut. Par comparaison, la Grande-Bretagne se situe en dessous de 1 %.

En France, le RSA repose sur une incitation forte au retour à l’emploi. Mais est-ce efficace ?

Il faut se rappeler que, pendant longtemps, le taux de signature des contrats d’insertion du RMI était très faible, moins de la moitié du nombre total des allocataires. Mais cela correspondait plutôt au fait que les moyens administratifs étaient insuffisants par rapport aux besoins nécessaires pour mettre réellement en œuvre le volet insertion du dispositif. Le RSA était censé améliorer les démarches d’insertion des allocataires mais les évaluations en cours montrent que cela ne fonctionne pas bien. Ce qui n’est d’ailleurs pas une surprise dans la mesure où les freins au retour à l’emploi, qui sont connus, n’ont pas été levés. Tout d’abord, la période de récession actuelle ne facilite évidemment pas le retour à l’emploi. En outre, un certain nombre d’allocataires du RSA continuent de rencontrer des obstacles très concrets pour accéder au travail, comme le manque de moyens de transport, l’absence d’un logement fixe, les problèmes de garde d’enfants… Enfin, une partie de la population au RSA, comme autrefois celle du RMI, se trouve très loin de l’emploi. Pour ces personnes, il s’agit d’abord d’une question d’insertion sociale.

Depuis 2008, en France, les chômeurs peuvent être radiés provisoirement de Pôle emploi pour refus successifs de deux offres d’emploi raisonnables. Cette mesure a-t-elle eu un impact ?

Les dernières publications montrent que si ce dispositif n’est pas resté complètement lettre-morte, globalement il ne s’est pas traduit par une augmentation massive du nombre des sanctions. L’une des difficultés est que, à ma connaissance, il n’existe pas d’accord clair sur ce qu’est une offre d’emploi raisonnable. Cette réflexion a été mise entre parenthèses avec la crise. Un critère d’éloignement par rapport au domicile existe, avec une limite de deux heures au maximum de transport quotidien. Quant à l’adéquation entre le niveau de formation de la personne et la qualification du poste proposé, là non plus, autant que je sache, rien n’a été clairement défini.

On montre souvent l’Allemagne en exemple, mais le durcissement, dans ce pays, des règles du chômage semble avoir favorisé le développement d’emplois peu attractifs ?

De fait, ce système a contribué au développement d’emplois à bas salaire, d’autant qu’il n’existe pas en Allemagne de salaire minimum légal national, seulement par branche et de montants relativement faibles. Il y a en Allemagne, comme en France, un système à deux étages. Un étage assurantiel dépendant des cotisations liées aux revenus du travail, puis un étage assistantiel avec des allocations en fonction de la situation sociale et financière des ménages. Ce qui a été fait en Allemagne entre 2003 et 2005, dans le cadre des réformes Hartz, a été de raccourcir la période d’assurance qui n’est plus que de douze mois (sauf pour les seniors, pour lesquels elle demeure un peu plus longue). On bascule ensuite directement dans l’assistance. Ce changement est évidemment considérable car cela se traduit rapidement par une perte importante de revenus. Le deuxième type de restrictions concerne les bénéficiaires du système d’assistance, qui sont dans l’obligation d’accepter des emplois aidés avec un faible nombre d’heures de travail et une rémunération minime. En outre, ces emplois n’ouvrent pas tous droit à une protection sociale. Ce sont en général des femmes qui acceptent ces emplois quand elles peuvent bénéficier de la protection sociale de leur conjoint.

Un système de contraintes plus fort à l’encontre des chômeurs ne devrait-il pas s’accompagner d’un soutien renforcé ?

C’est ce que montre l’exemple danois. Il faut commencer par développer des politiques de l’emploi de qualité en sécurisant les parcours professionnels, avant de renforcer les obligations faites aux chômeurs et aux allocataires de minima sociaux. Sinon, cela n’a pas réellement de sens. Si l’on considère que l’objectif de l’intégration dans l’emploi, c’est d’abord l’autonomie de la personne, on ne peut pas se satisfaire d’un système débouchant sur la création de petits boulots à temps partiel et faiblement rémunérés. Bien sûr, la justification souvent avancée est que ces emplois sont censés servir de tremplin vers des emplois plus pérennes et de meilleure qualité. Mais en réalité le fonctionnement du marché du travail montre que lorsque l’on s’engage dans un emploi faiblement qualifié, il est très difficile d’en sortir. Une logique d’enfermement est à l’œuvre dans ces emplois.

Nicolas Sarkozy propose de renforcer l’obligation des chômeurs de se former et d’accepter des offres d’emploi. Est-ce, selon vous, une solution adéquate ?

Encore une fois, la raison première du chômage reste le manque de travail. On voit bien que ce qui fait défaut, ce sont d’abord les propositions d’emplois, de l’aveu même des professionnels de Pôle emploi. La preuve en est que lorsque la situation s’améliore, les sorties du chômage se font beaucoup plus rapidement. La conjoncture joue un rôle fondamental. Par ailleurs, dans le contexte budgétaire actuel, il paraît peu crédible de dire que l’on va proposer une formation à tous les chômeurs compte tenu du niveau du chômage et du fait qu’une formation de bonne qualité, donc qualifiante, coûte cher. A mon avis, la première chose à faire serait d’augmenter les moyens de Pôle emploi afin d’aider davantage les chômeurs dans leur recherche d’emploi. Et, au-delà, ce sont toutes les fonctions d’accompagnement social qui me paraissent devoir être soutenues et développées afin d’éviter un éloignement trop grand des personnes par rapport au marché du travail.

REPÈRES

Christine Erhel est économiste au Centre d’études de l’emploi. Elle codirige une unité de recherche sur les politiques publiques de l’emploi. Elle a collaboré au dossier « L’accompagnement social vers l’emploi », paru dans Informations sociales n° 169 (janvier-février 2012). Elle est également l’auteure de Les politiques de l’emploi (Ed. PUF, « Que sais-je ? », 2009) et a contribué à l’ouvrage des Economistes atterrés, Changer d’économie (Ed. Les liens qui libèrent, 2012).

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