Les classes moyennes (le pluriel est d’importance), auxquelles s’identifient majoritairement les Français, rassemblent les individus situés entre les moins bien lotis et les plus fortunés. Ces classes moyennes, ni prolétaires ni bourgeoises (pour prendre une tripartition plus traditionnelle), méritent leur pluriel, d’abord parce qu’il y a hétérogénéité des positions. Il est, en effet, bien impropre de vouloir condenser sous une appellation unique un ensemble de situations qui n’ont pas forcément toujours grand-chose à voir. Elles méritent également leur pluriel car les diverses études ne prennent pas en considération les mêmes périmètres.
Certains observateurs annoncent leur inéluctable déliquescence, après un retournement de tendance qui aujourd’hui devient déclassement. D’autres les dépeignent en catégories supérieures qui déguisent leurs privilèges. D’autres, encore, estiment qu’elles ne vivent ni rétraction, ni paupérisation mais, au contraire, ascension et extension. Tout dépend certainement de la définition retenue…
De quoi parle-t-on ? Il existe un nombre incalculable d’articles et de livres sur les classes moyennes, alimentant un nombre important de débats spécialisés et de controverses aussi bien techniques que politiques. On notera, d’abord, que le sentiment d’appartenance de classe a pu décroître en France au cours de la deuxième partie du XXe siècle, mais que le sentiment d’appartenir à une catégorie moyenne – c’est-à-dire au centre ou au cœur de l’échelle des revenus – reste très puissant.
Trois types de critères, qui ne se recoupent pas forcément mais qui peuvent se combiner, sont retenus pour définir ces groupes intermédiaires qui se trouvent entre les moins bien lotis et les plus favorisés : les appartenances socioprofessionnelles, les situations objectives (en termes de revenus) et l’adhésion subjective. On n’épuise pas, de la sorte, le sujet. Mais on le balise.
Les classes sociales, dans la tradition marxiste, ce ne sont pas seulement des positions dans la hiérarchie des revenus. Ce ne sont pas uniquement non plus des parties de nomenclature des catégories socioprofessionnelles. Ce sont aussi une conscience de classe, des modes de vie et des croyances en commun. Une entrée pour approcher ces classes est de passer par la profession, qui reste un critère important de classement. Selon la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles, les classes moyennes peuvent regrouper les « professions intermédiaires », une partie des « cadres supérieurs » et également des « employés ».
Le critère des revenus peut être utilisé en assimilant les classes moyennes au groupe de ménages situé au cœur de la distribution des revenus. Tout est, dès lors, affaire de convention sur ce qu’est le centre de la distribution des revenus. L’étendue de la classe moyenne varie ainsi fortement. Avec une définition extensive, on peut considérer que les classes moyennes rassemblent 80 % de la population, les 10 % les plus modestes et les 10 % les plus riches n’y appartenant pas. Si la population englobée paraît considérable, cette approche a une certaine pertinence en France. Un tel intervalle rassemble, en effet, la population dont les ressources proviennent essentiellement d’un revenu salarié. Avec une définition plus restrictive, on peut considérer que les classes moyennes rassemblent 60 % de la population. Les 20 % les plus modestes et les 20 % les plus riches en sont exclus. Toujours dans cette logique, une autre orientation, développée dans plusieurs travaux, consiste à distinguer les catégories aisées (les 20 % les plus favorisés), les catégories populaires (les 30 % les moins favorisés) et une classe moyenne rassemblant la moitié de la population totale. Sous cette hypothèse, les revenus disponibles de la classe moyenne (pour une personne seule) sont compris, en 2009, entre 1 200 et 2 200 € par mois.
Une dernière approche consiste à prendre au sérieux les perceptions des individus quant à leur propre position sociale. En France, les résultats de sondages d’opinion indiquent que deux personnes sur trois s’identifient spontanément aux classes moyennes. Cette importance subjective des classes moyennes, en France, se retrouve en comparaison internationale, européenne au moins. Dans une enquête Eurobaromètre de décembre 2010, il apparaît que 60 % (soit presque deux tiers) des Français estiment que leur ménage se trouve dans une situation « ni riche ni pauvre ». En moyenne, dans l’Union, c’est le cas de 49 % des ménages. La France, sur ce plan, est au premier rang européen.
Il y a là illustration de l’importance particulière que revêtent, en France, le sujet des classes moyennes, celui des constats qui peuvent être faits de leurs progrès ou de leurs difficultés, et celui des politiques qui les distinguent, les oublient ou les défavorisent (relativement).