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Un moteur à trois temps

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A Pontoise, l’association Vivre parmi les autres aide de jeunes adultes souffrant d’une déficience intellectuelle légère à s’insérer socioprofessionnellement, par la recherche d’un travail en milieu ordinaire et d’un logement indépendant. Et a créé pour ce faire trois structures complémentaires.

Les jeunes se sont rassemblés autour de leur éducateur, devant le capot ouvert du minibus. La température s’est rafraîchie, et ils dansent d’un pied sur l’autre pour se réchauffer. « Que vérifie-t-on en premier ? », les interroge Alain Baudenaille, l’éducateur technique spécialisé (ETS) qui les encadre. « Le liquide de refroidissement », suggère une jeune fille. Les mains dans le moteur, elle dévisse les bouchons, contrôle les niveaux. « Là, il manque un peu d’huile. » Alain Baudenaille regarde sa montre. Il doit accompagner une jeune fille à son rendez-vous au centre médico-psychologique. Le petit groupe regagne donc les locaux de l’association Vivre parmi les autres (VPA 95) (1), au cœur du quartier des Larris, à Pontoise (Val-d’Oise). Là, une délicieuse odeur s’échappe des cuisines. Une charlotte sur la tête, d’autres usagers de l’association préparent le repas de midi. « Je n’ai plus de place pour éplucher les carottes », se plaint un jeune homme. « Attends un peu, il faut d’abord que les autres aient rangé les courses », le rassure Blandine Camus, conseillère en économie sociale et familiale (CESF), qui pilote les opérations ce jour-là.

Cette effervescence, c’est le quotidien du centre d’adaptation à la vie et au travail (CAVT) de VPA 95. Fondée en 1988, cette UPAIS (voir encadré page 38) vise l’insertion socioprofessionnelle de jeunes adultes handicapés mentaux légers, via un travail en milieu ordinaire et un appartement indépendant. Cette ambition repose sur trois services. En premier lieu, le CAVT accompagne depuis 1991 les jeunes dans la construction de leur projet professionnel. Parallèlement, le service Etap’appart, créé en 2004, regroupe des logements collectifs éclatés, permettant aux usagers d’expérimenter l’autonomie. Et à l’issue de cette double prise en charge, le relais peut être transmis au service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), qui fonctionne depuis 1993.

A l’entrée au CAVT, la durée initiale de suivi des jeunes est de deux ans. Orientés par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), les 24 usagers du CAVT – hommes et femmes à parts égales, âgés de 18 à 25 ans – sont tous reconnus comme travailleurs handicapés, aptes à travailler en milieu ordinaire. Beaucoup ont déjà vécu un parcours institutionnel : institut médico-professionnel ou médico-éducatif, section d’enseignement général adapté… En moyenne, la plupart affichent un quotient intellectuel inférieur à 90 et présentent des troubles cognitifs, relationnels ou sociaux d’origines diverses. De cette diversité de profils découlent des compétences, des capacités d’adaptation et des besoins d’accompagnement variés. L’autonomie dans les actes simples de la vie quotidienne, et en particulier dans les transports, reste cependant un prérequis imposé à tous.

D’abord, un stage de contact

Au CAVT, les six premiers mois sont consacrés à l’évaluation des compétences et à l’acquisition « d’un socle de connaissances, mais surtout de savoir-faire et de savoir-être exploitables dans le futur métier », explique Valérie Hervieu, la directrice du pôle handicap de VPA 95. Pour les six professionnels – un éducateur spécialisé, un ETS, un moniteur-éducateur, une animatrice, une CESF et une chargée d’insertion, sans compter la psychologue qui intervient également sur Etap’appart –, l’observation commence dès le stage de contact. Préalable à l’intégration proprement dite, ce stage de 15 jours permet aux candidats de valider leur projet en s’immergeant de façon intense dans des ateliers professionnels (blanchisserie, entretien de locaux, espaces verts, informatique, menuiserie, cuisine, etc.), portant sur la vie quotidienne (citoyenneté, santé, estime de soi, etc.) et de remise à niveau scolaire. Des séances de sport, des groupes de parole et des demi-journées d’« autonomie » complètent le programme. Quel que soit le support, les objectifs professionnels, personnels et l’acquisition de l’autonomie s’entremêlent en permanence. Johan Marchadé, éducateur spécialisé, anime les ateliers « formation générale » et « culture et citoyenneté ». « La plupart de nos usagers ont connu une scolarité mouvementée, émaillée de ruptures et de décrochage, précise-t-il. Pas question, donc, de recréer une petite école. » Outre l’ouverture à un « autre imaginaire », les projets culturels offrent un support ludique à l’acquisition de compétences d’ordre scolaire. La composition de chansons favorise, par exemple, un travail sur la structure syntaxique des phrases. « En fait, il s’agit surtout de trouver la bonne méthode pour chacun, souvent par des biais détournés. »

La brièveté du passage des jeunes dans les ateliers – de six mois au maximum – oblige cependant l’éducateur à « repérer très vite la problématique de l’usager ». Pour ce faire, il peut s’appuyer sur les observations de ses collègues. Depuis le début de l’année, l’équipe expérimente d’ailleurs une grille d’évaluation maison. « Tous les ateliers exigent les mêmes grandes compétences : organiser son travail, prendre l’information et la traiter, réaliser une tâche, communiquer, développer des comportements socioprofessionnels appropriés », indique Christophe Pastor, ancien ETS, passé chef de service éducatif. Chaque atelier a ainsi été décortiqué en grandes fonctions, elles-mêmes détaillées en tâches, évaluées en degrés d’autonomie. Remplies par l’ensemble des professionnels et confrontées au cours de synthèses bisannuelles, ces grilles doivent aider à mesurer les progrès accomplis ou attendus, mais aussi « l’adéquation entre ce que nous, éducateurs, estimons intéressant de travailler avec un jeune et ce qu’exige le milieu ordinaire », complète Christophe Pastor.

Des simulations de recrutement

Car c’est bien l’emploi en milieu ordinaire qui constitue la finalité du projet. Cet après-midi, l’atelier de techniques de recherche d’emploi est consacré aux entretiens d’embauche. Après avoir répété en binômes, les jeunes doivent simuler un recrutement devant le groupe. « Bon, je vous le dis tout de suite, les vacances, la première année, il n’y en a pas », annonce ainsi un jeune homme en feignant de parcourir le curriculum vitae de son camarade. « C’est illégal », glisse en souriant la chargée d’insertion, Laurence Riahi. Le jeune homme ne se départit pas de son rôle. « Ah bon, eh bien alors je suis un patron véreux. » Rires dans la salle.

Des entretiens d’embauche, en réalité, les jeunes de VPA 95 en passeront peu. Quand elle présente un candidat à un employeur, Laurence Riahi a effectué toute une préparation en amont. Avec de vrais résultats : en 2010, le CAVT affichait 83 % d’insertion en milieu ordinaire de travail, principalement dans la restauration, les espaces verts, les commerces en libre-service ou la logistique. Pour y parvenir, la méthode de la chargée d’insertion est simple : connaître parfaitement ses candidats et rassurer les employeurs potentiels. Après les six mois d’ateliers, le projet d’établissement prévoit une période de stages en entreprise, destinés à placer les usagers en situation d’emploi. « Il s’agit de valider le projet professionnel, mais aussi de placer les jeunes face aux réalités du monde du travail, et parfois de leur rappeler que le but de la prise en charge reste de trouver un emploi, percevoir un salaire et pouvoir habiter chez soi au bout de deux ans », souligne Laurence Riahi. Non rémunérées, ces sessions servent d’« appâts » pour les employeurs. Toujours en 2010, neuf jeunes ont ainsi reçu une proposition d’embauche à la suite d’un stage. « Le stage nous permet d’évaluer la productivité, la rapidité d’exécution, la capacité à s’insérer dans l’équipe », témoigne Emmanuelle Villette, assistante du personnel du centre Elis de Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), qui a recruté en contrat à durée indéterminée un agent de production polyvalent et un magasinier issus de VPA 95, et qui reçoit régulièrement des stagiaires. L’accompagnement dans l’emploi et sur le long terme – au moins six mois après la signature du contrat, et de fait bien plus longtemps, sur un mode informel – revêt un aspect rassurant. « Chez les personnes handicapées mentales, la moindre contrariété peut prendre de grandes proportions, conclut Emmanuelle Villette. Là, au moins, je sais que les jeunes sont soutenus et que VPA 95 peut les aider s’ils rencontrent un problème, y compris dans leur vie personnelle. »

Amorcé au CAVT, le travail sur la vie quotidienne et personnelle est approfondi par le service hébergement, créé en 2004. « Depuis 1993, le SAVS accompagnait les jeunes qui quittaient le CAVT, retrace Paul Cahen, ancien directeur et désormais administrateur de VPA 95. Mais nous nous sommes aperçu qu’il manquait une étape intermédiaire, un sas entre la vie familiale ou institutionnelle et la vie autonome dans son propre appartement. Etap’appart permet donc d’apprendre à habiter, par le biais de la semi-collectivité. » Au total, ce foyer éclaté – une maison éducative et une petite dizaine d’appartements associatifs équipés, où chaque jeune dispose d’une chambre individuelle – comporte 18 places. Tous les usagers du CAVT n’y sont donc pas logés : certains figurent sur liste d’attente, d’autres ne sont pas prêts ou ne le désirent pas. La répartition s’effectue selon les places disponibles, mais aussi en fonction des personnalités et des affinités. « En mai dernier, il a fallu effectuer un grand remaniement, indique ainsi Audrey Chaline, la CESF du service. Nous avions constaté des soucis d’addiction, peut-être un peu de trafic, en tout cas des caractères qui ne fonctionnaient pas bien ensemble. » La mission des six professionnels d’Etap’appart – deux éducateurs spécialisés, deux CESF et deux animateurs, dont un d’internat – commence en fin d’après-midi, lorsque les jeunes quittent le CAVT ou leur lieu de stage. Leur bureau se trouve dans la maison éducative, dans un quartier pavillonnaire de Cergy. Ce soir-là, une jeune femme passe déposer sa fiche de sortie : elle rentre chez sa mère pour le week-end. Audrey Chaline en profite pour l’aider à souscrire une mutuelle. Le téléphone sonne. C’est une autre jeune femme qui appelle pour raconter sa journée et se plaindre qu’un de ses colocataires a effectué le ménage à sa place.

Gérer son budget : un enjeu

En dépit de taux d’invalidité atteignant rarement les 80 %, les usagers de VPA 95 perçoivent l’allocation aux adultes handicapés au titre de l’insertion professionnelle. Elle leur permet notamment de payer leur loyer, la superficie des chambres ouvrant par ailleurs droit à l’aide au logement. Pour les éducateurs, la gestion du budget représente un enjeu à la fois important et délicat : les jeunes usagers étant majeurs, la marge de manœuvre reste limitée. « Certains ne savent pas très bien compter, d’autres font des achats compulsifs. Nous proposons de garder les moyens de paiement dans un coffre, de les accompagner pour les courses, mais s’ils refusent, nous avons assez peu de pouvoirs », admet Nelly Beaufils, éducatrice spécialisée. Le cas échéant, l’équipe peut être amenée à demander des mesures de protection. Dans tous les domaines (hygiène corporelle ou de l’appartement, santé, alimentation, présentation…), le lien est constamment établi avec l’insertion professionnelle, les compétences acquises au CAVT et les exigences du monde ordinaire. Reste la question de la solitude. De fait, constatent les professionnels, « beaucoup de jeunes n’ont pas vraiment de relations en dehors de VPA ». Ils sont donc incités à s’inscrire dans des clubs, à participer aux loisirs et aux sorties organisés par l’association, ou à planifier des vacances. Ce qui nécessite une certaine vigilance, eu égard à la vulnérabilité du public. « Les risques existent, par exemple, que les appartements soient squattés par des fréquentations mal intentionnées, que les jeunes soient entraînés dans la consommation ou le trafic de produits illicites, ou qu’on leur soutire de l’argent », confie Valérie Hervieu, directrice du pôle handicap de VPA 95.

La durée d’accompagnement, en principe de deux ans, varie d’un individu à l’autre. Certains, plus proches de l’emploi, trouvent rapidement à s’insérer en milieu ordinaire. Pour d’autres, le projet professionnel et l’autonomie requièrent plus de temps. C’est le cas d’une jeune femme suivie depuis quatre ans. Après une formation diplômante, elle a « mis en échec tout ce qui lui avait été proposé », résume Valérie Hervieu, et notamment l’emploi stable qu’elle avait trouvé. Puis, petit à petit, ses capacités ont faibli. Plus fatigable, moins motivée, elle a finalement trouvé sa place en milieu protégé. Mais l’éloignement entre son établissement et service d’aide par le travail (ESAT) et son appartement génère de la fatigue, occasionnant de fréquentes absences. En outre, il se révèle impossible de lui obtenir une place dans le foyer d’hébergement de l’ESAT. La directrice a fini par lui dénicher un établissement plus proche de son logement, « de façon à ne pas trop l’éloigner de son cercle, de ses repères ». Pour Xavier Desanne, chef de service éducatif d’Etap’appart et du SAVS, il importe de ne pas sous-estimer cette vulnérabilité des usagers : « Nous les recevons entre 18 et 25 ans, à l’âge où la décompensation peut arriver, souligne-t-il. Donner de l’autonomie, c’est toujours risqué. Nous leur demandons de passer un palier énorme, cela touche des points de fragilité très forts. » D’autant que, depuis quelques années, les troubles cognitifs cèdent la place aux troubles psychiques, « même s’il est parfois difficile de distinguer vraiment de quel ordre sont les fragilités ».

Une supervision mensuelle commune

Dans un tel contexte, l’efficacité de l’accompagnement repose sur une coordination rigoureuse entre les deux équipes. Au quotidien, les informations circulent entre le CAVT et Etap’appart, qui opèrent selon des rythmes et des horaires différents, via un forum privé. Mais surtout, les professionnels se retrouvent une fois par mois pour une supervision commune. L’occasion d’échanger sur les pratiques, les ressentis, « et de dédramatiser la vision que chaque équipe peut avoir du travail de l’autre », glisse Christophe Pastor. Autre ressort de l’association : sa souplesse. « L’idée centrale reste de coller au plus près au projet de chaque usager, à partir du moment où les demandes ont du sens et ont été formulées », affirme Xavier Desanne. Avec un jeune couple né au CAVT, les professionnels ont ainsi décidé de « faire un grand pari ». « La symbiose dans leur relation rend leur séparation insupportable, reprend le chef de service. Tous les aspects pathologiques qu’ils rencontrent se rejouent dans leur lien. Sans céder sur les conditions – d’emploi, essentiellement –, nous avons fait le pari que leur permettre de vivre ensemble dans un appartement du , alors que le jeune homme relève encore d’Etap’appart, permettra d’asseoir leur insertion. » Et parce que, pour beaucoup, les besoins de soutien demeurent, la sortie du dispositif ne signifie pas la fin de tout accompagnement. Après le CAVT, après Etap’appart, ceux qui le souhaitent peuvent être orientés vers le SAVS de l’association, dont les 35 places sont majoritairement occupées par des usagers de VPA 95.

Unique en son genre dans le département, l’association affiche en permanence une longue liste d’attente. Pour répondre à ces demandes, un projet d’extension a été élaboré, qui prévoit l’ouverture d’un établissement à l’autre bout du Val-d’Oise, à un jet de pierre de la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle, vivier potentiel d’emplois. Pour l’heure, seul manque le financement. Mais d’autres sujets figurent au programme de travail des professionnels, tel le soutien à la parentalité des usagers, ou encore une réflexion sur l’accompagnement de leur vieillissement.

FOCUS
Les UPAIS, un outil méconnu

Avec d’autres structures au fonctionnement proche, VPA 95 a créé la Fédération nationale des unités de préparation et d’accompagnement à l’insertion sociale (UPAIS) (2), un terme générique recouvrant des établissements aux noms variés. Objectifs : échanger entre professionnels, proposer des transferts aux jeunes, mais aussi défendre « un outil méconnu », « fragile en termes de reconnaissance ». Ces unités, en effet, ne rentrent dans aucune case, et si VPA 95 est financé par le conseil général, tous n’ont pas cette chance, témoigne Richard Guérin, directeur du centre d’adaptation et de redynamisation par le travail (CART) de Châtellerault, structure dépendant de l’ADSEA 86 : « Sur la partie redynamisation, nous émargeons au budget des ESAT, avec un souci de convergence tarifaire : comme nous mobilisons beaucoup de moyens sur une durée réduite, le coût à la place est quasiment le double. La réduction de notre budget nous a déjà coûté un poste de cadre. Et nous craignons qu’on nous impose un objectif de production, ce qui dévoierait le projet. » Une modélisation de leur fonctionnement pourrait permettre aux UPAIS, espèrent-elles, d’asseoir leurs spécificités et d’« exercer plus sereinement ».

Notes

(1) Vivre parmi les autres (VPA 95) : 9, Les Larris pourpres, avenue de l’Est – 95 000 Pontoise – Tél. 01 30 32 57 40 – www.vpa95.fr.

(2) UPAIS : 44, rue de Slovénie – 86 000 Poitiers – Tél. 05 49 45 72 02 fede.upais@wanadoo.fr

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