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Ceux que personne ne voit

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Après avoir traversé la Méditerranée pour travailler en France, les ouvriers maghrébins sont restés et ont vieilli. Dans l’humiliation et l’oubli. Nasser Djemaï donne corps sur scène à leurs confidences.

« Quand je suis sur un banc, je suis au spectacle. Mais moi, personne ne me voit », affirme un des personnages. Les Invisibles, ce sont les Chibanis (les anciens, en arabe), ces ouvriers maghrébins venus construire la France des Trente Glorieuses et qui vieillissent aujourd’hui dans des foyers sans âme, « leurs souvenirs enfouis sous des tonnes de silence ». Quand le jeune metteur en scène Nasser Djemaï a annoncé qu’il souhaitait leur consacrer une pièce, ses amis d’enfance ont éclaté de rire : « Tu veux faire parler nos pères ? Bonne chance ! » De ses mois de recherche, de recueil de témoignages, d’écriture, est pourtant née une pièce intense, émouvante, souvent drôle, et toujours juste. Bousculés par les questions d’un jeune homme à la recherche de son père, les résidents d’un foyer Sonacotra, « blottis dans l’inconfort des habitudes », dévoilent par bribes une vie d’humiliation, d’espoirs déçus et de renoncements. « Ma femme, ça fait quarante ans qu’elle ne me voit qu’en juillet et en août », confie l’un d’eux en pleurant une vie de famille sacrifiée. Un autre raconte le massacre de sa famille, aux premières heures des « événements » d’Algérie. « Les métiers à nous, y’a rien à dire, c’est pas intéressant », tranche le plus taiseux aux questions du jeune homme sur leur passé de travailleurs. Avant de conclure : « Aujourd’hui, les papiers, la santé, la mosquée, c’est tout ce qui reste. » Loin d’une simple collection de témoignages, Invisibles dessine, par petites touches, le portrait d’hommes « doublement reniés, en tant qu’ouvriers et en tant qu’immigrés », d’une génération « jetée par-dessus bord », dont même la retraite s’apparente à un combat perdu d’avance. « Ils pensaient pas qu’on pourrait vieillir un jour, constate ainsi, amer, l’un des personnages, obsédé par la recherche de ses anciens contrats de travail pour faire valoir ses droits. Parce qu’ils pensaient pas qu’on était des hommes. »

Invisibles – Mise en scène de Nasser Djemaï – 1 h 50 – Samedi 18 février à Paris ; les 22 et 23 février à Bourges ; le 13 mars à Aurillac ; du 20 au 22 mars à Cergy-Pontoise ; le 29 mars à Saint-Nazaire ; du 25 avril au 6 mai à Vidy-Lausanne (Suisse) – Plus d’infos sur www.nasserdjemai.com – Texte paru aux éditions Actes Sud-Papiers

Culture

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