Il est 8 h 30. Comme chaque matin, Emilie Collery, éducatrice spécialisée, amène le petit Sany, 5 ans, à son école maternelle du XXe arrondissement de Paris. A la différence des parents des autres élèves, elle monte dans la classe, s’installe sur une petite chaise tout près du garçonnet et l’accompagne toute la matinée : animations avec l’institutrice, chorale, emprunt de livre à la bibliothèque, récréation, etc. Emilie est employée par Autrepar (1), un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) destiné aux enfants autistes et présentant des troubles envahissants du développement. A l’école, elle aide Sany à faire les gestes qui illustrent la comptine des doigts, tente de le soustraire aux distractions, lui répète les instructions de la maîtresse en insistant sur certains mots, l’encourage à se concentrer et, au besoin, le canalise. Elle le ramène ensuite à son domicile pour le déjeuner, puis repart l’après-midi au Sessad afin que l’enfant prenne part à l’atelier organisé pour son groupe. Un tel accompagnement individualisé est l’une des caractéristiques de ce service expérimental.
Le Sessad Autrepar (Autisme relais parents) a été créé en 2010 par l’association de parents éponyme, elle-même fondée en 1997. A l’origine, celle-ci avait mis en place une structure autorisant une prise de relais en fin de journée pour les enfants sortant de l’hôpital de jour. « D’abord, c’était des bénévoles qui allaient chercher l’enfant, le ramenaient chez lui, le faisaient goûter et travaillaient avec lui à domicile », résume Jean-Luc Caradec, actuel directeur du Sessad. Puis le projet s’est professionnalisé. Des subventions lui ont permis de fonctionner avec des travailleurs sociaux salariés jusqu’en 2007, date à laquelle la direction départementale des affaires sanitaires et sociales a supprimé sa dotation, soit 40 % de son budget. L’association élabore alors un autre projet. « L’institution ne voulait plus financer notre intervention à domicile, mais elle nous a suggéré de réfléchir à un centre d’accueil de jour », raconte Jean-Luc Caradec. Pourtant, deux années consécutives, le projet est refusé en comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale – « probablement pour des raisons de coûts », devine le responsable. Jusqu’à ce que, devant le manque criant de places en institution dans la capitale pour les jeunes autistes, la préfecture parisienne ordonne l’ouverture expérimentale du Sessad à la fin 2009 pour une durée de cinq ans. « On ne s’y attendait plus. Il nous a fallu trouver rapidement des locaux, constituer une équipe de professionnels, mais nous avons finalement pu ouvrir en juin 2010 avec un financement de l’agence régionale de santé. »
La nouvelle structure s’adresse en priorité aux enfants et aux adolescents n’ayant bénéficié d’aucun suivi ou seulement d’une prise en charge très partielle. Ces jeunes n’ont souvent pas trouvé de place en institut médico-éducatif (IME) ou en hôpital de jour parce qu’ils présentent des troubles du comportement importants ou des déficiences associées sévères. « Dès l’ouverture, nous avons adressé trois enfants à l’équipe, se souvient Jeanne Plottu, assistante de service social au centre médico-psychologique (CMP) Rebeval. Nous avions des enfants sans structure depuis assez longtemps. Souvent, à l’issue d’une prise en charge à l’hôpital de jour, ils ne trouvent pas de lieu d’accueil… » Outre par les CMP, les familles sont adressées par le centre de ressources autisme Ile-de-France (CRAIF), par des hôpitaux de jour ou encore par le bouche-à-oreille, et toujours sur orientation de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
A l’image de Mageye, le fils de Boubacar M’Bodj. Agé aujourd’hui de 16 ans, son autisme a été diagnostiqué dès l’entrée en maternelle, mais il n’a jamais bénéficié de plus de deux heures de prise en charge hebdomadaire en guidance infantile avant son arrivée au Sessad. Il a très vite été écarté de toute scolarisation. « Nous avions une orientation de la MDPH dès 2002, mais aucun hôpital de jour ni IME ne nous a attribué de place, explique le père de Mageye. Alors il est resté à la maison avec mon épouse, qui avait quitté son emploi. » Une situation que rencontrent beaucoup de familles d’enfants autistes. « C’est vraiment choquant, cette impossibilité de trouver des structures pour nos enfants, s’insurge Boubacar M’Bodj. A tel point qu’on serait prêt parfois à mettre son enfant dans une structure inadaptée, comme un internat ou un hôpital de jour. »
Agés de 3 à 19 ans, les 24 bénéficiaires du Sessad sont répartis en quatre groupes d’âge : « Loulous », « Bonsaïs », « Lions » et « Apprentis ». A l’image de Sany, chacune de leur journée est décomposée en trois phases : une demi-journée au Sessad pour un atelier en groupe, le déjeuner pris soit au domicile, soit à la cantine de l’école voisine, soit au Sessad, une demi-journée à l’école ou au domicile, incluant les rendez-vous de suivi au CMP ou les autres soins. L’ordre des phases est variable en fonction du projet éducatif individuel élaboré pour chaque enfant par l’équipe. « Ce projet est rédigé après trois à six mois d’observation, un bilan psychologique, psychomoteur et orthophonique, détaille Jean-Luc Caradec. Il est ensuite discuté avec la famille et validé par notre pédopsychiatre. »
L’équipe du Sessad est, elle, constituée de 19 personnes : deux aides médico-psychologiques diplômés (AMP), trois moniteurs-éducateurs, dix éducateurs spécialisés ainsi que quatre éducateurs ou AMP faisant fonction. « Lorsque nous étions financés par la DDASS, nous devions avoir neuf AMP et neuféducateurs spécialisés. Aujourd’hui, je pense qu’il nous faut aller vers davantage d’éducateurs, indique le directeur, lui-même ancien chef d’entreprise. D’ailleurs, un certain nombre de nos personnels se sont engagés dans une validation des acquis de l’expérience [VAE]. » Et 90 % des professionnels d’Autrepar peuvent faire valoir une expérience antérieure avec des jeunes autistes et beaucoup connaissent tout ou partie des méthodes employées avec ce type de public : Teacch, PECS, Makaton, ABA (voir encadré page XX). « Mais nous ne sommes soumis à aucun courant en particulier, prévient Jean-Luc Caradec. Ce qui compte, c’est que la prise en charge soit adaptée au besoin de chaque enfant. » Outre l’équipe éducative, le Sessad compte également, à plein temps, un intendant comptable et une psychologue clinicienne et, à temps partiel, une assistante sociale, une psychomotricienne, une orthophoniste et un pédopsychiatre.
Compte tenu de l’organisation des activités et des ateliers, les jeunes pris en charge ne sont jamais plus de 12 en même temps dans les locaux. Ainsi, pendant qu’Emilie Collery est à l’école avec Sany, Saint-Clair Elanga et Thierry Jérôme, tous deux en VAE en tant qu’aides médico-psychologiques, ont pris la direction de la piscine. « En temps normal, nous sommes trois pour accompagner cinq jeunes en sortie », explique Thierry Jérôme. Mais ce jour-là, ils ne sont que deux avec Kevin et Youssouf, les autres membres du groupe des « Apprentis » étant absents. Agés de 15 ans, les adolescents ne sont pas scolarisés. Sur le trajet en bus, tout se passe bien. « Ce moment-là aussi est important. Il nous permet de travailler la tenue dans un lieu public, l’attention à l’entourage, la circulation dans la rue », souligne Thierry Jérôme. De son côté, Saint-Clair Elanga s’est investi pour intégrer le sport dans les activités du Sessad : « J’ai toujours pratiqué beaucoup de sport, affirme-t-il. Cela donne une vraie confiance en soi et aide à développer des capacités physiques et mentales. Alors je me suis dit, pourquoi pas ici ? » Le Sessad a ainsi signé une convention avec la Mairie de Paris, qui lui donne l’accès à un gymnase et à des cours de karaté en présence d’un éducateur spécialisé en sport adapté. Pour la piscine, il a fallu chercher l’établissement idéal, en termes d’accessibilité par les transports en commun, de diversité des types et des profondeurs de bassins. « Nous allons dans une piscine où il y a plusieurs bains, mais nous pouvons utiliser celui dans lequel on peut nager tout en ayant pied, commente Thierry Jérôme. Et il y a un bain bouillonnant pour se relaxer après la piscine, c’est un intérêt supplémentaire. » L’activité physique est recommandée pour certains jeunes ayant tendance à prendre du poids, notamment ceux sous traitement médicamenteux. Mais au-delà, le sport peut être un réel support éducatif qui favorise un travail sur l’hygiène ou l’habillage, et qui provoque parfois un véritable déclic. « Pour Kevin, par exemple, la piscine, c’est très important, il adore ça, souligne Thierry Jérôme. Cela lui a permis de développer son autonomie. Maintenant, il prépare son sac tout seul et arrive à supporter le contact physique. »
De retour au Sessad, en début d’après-midi, le groupe des « Lions » commence son atelier par un petit rituel. Les enfants donnent la date du jour, identifient par l’intermédiaire de photos toutes les personnes présentes et absentes, puis prennent connaissance du planning des activités matérialisées par des images. Cet après-midi, il y a un travail en autonomie à partir d’exercices préparés pour chacun par les éducateurs, un temps de loisir, un travail sur les cinq sens, et enfin le goûter. Pour l’heure, ils sont trois jeunes à se pencher sur de petites tables tournées contre le mur. Les exercices qu’ils doivent accomplir sont disposés sur une étagère à leur gauche, puis, une fois réalisés, ils les déposent sur une autre étagère à leur droite. « Là, nous travaillons surtout sur le maintien des acquis », explique Sandra Wakali, AMP.
Ce mode de prise en charge, intensif et très individualisé, semble porter ses fruits. « Lorsque nous avons ouvert, seuls deux enfants étaient scolarisés, se souvient Jean-Luc Caradec. Maintenant, ils sont quatorze. Au début, un seul verbalisait. Aujourd’hui, ils sont sept. C’est surtout avec les enfants les plus jeunes qu’il y a le plus d’émergences possibles. » Un jeune adulte suivi est pourtant déjà sorti du dispositif : Benoît, qui présentait un syndrome d’Asperger, était inscrit en CAP mais menacé d’exclusion quand il est arrivé au Sessad. Il a finalement obtenu son diplôme et est désormais pris en charge en service d’accompagnement à la vie sociale. Il envisage d’entrer à la RATP.
Babacar M’Bodj décèle lui aussi une évolution chez son fils de 16 ans, qui fait partie du groupe des « Apprentis » : « Je vois qu’il a vraiment envie d’aller au Sessad, chaque jour. Désormais il se lève, prend sa douche – je l’aide un peu – s’habille et attend l’éducateur. Il dit des mots également, même s’il n’est pas dans l’échange. » Véronique Delalin, maman de Hugues, 19 ans, affiche également une certaine satisfaction du suivi dont bénéficie son fils : « Ici, on voit que les gens sont compétents et savent de quoi ils parlent en ce qui concerne l’autisme. Ils vont même au-delà de nos demandes. » Une convention a en effet été signée avec l’hôpital de la Salpêtrière pour que chaque jeune puisse bénéficier d’un bilan de santé somatique individuel. Et un accord a été mis en place avec le réseau Rhapsodif pour orienter les jeunes autistes vers des dentistes formés à la prise en charge du handicap. Autre initiative : à la rentrée 2011, un groupe de parole destiné aux parents a été mis en place deux fois par mois, sous la supervision d’une psychologue libérale, Nathalie Brianne. « Le Sessad prend en charge l’enfant, pas la famille, relève celle-ci. Or le handicap bouleverse la vie de la famille pour toujours et leur désarroi n’est accueilli nulle part. » Différents sujets sont abordés dans la confidentialité absolue par rapport à l’équipe du Sessad. « On évoque le diagnostic, les difficultés de vie, les parents s’échangent les trucs et astuces qu’ils peuvent mobiliser au quotidien, résume la psychologue. C’est un endroit où on peut souffler, où on a le droit d’être pas content, d’avoir envie de jeter son enfant par la fenêtre ou de craquer… » Depuis la mise en place de ce groupe, certaines mères se sont même échangé leurs numéros de téléphone pour discuter en dehors du groupe. Les familles des jeunes pris en charge sont souvent monoparentales et marquées par l’isolement. « C’est la raison pour laquelle nous avons voulu ouvrir 234 jours par an, précise Jean-Luc Caradec. Cela permet aux mamans de reprendre une activité professionnelle ou d’avoir simplement une vie sociale. »
Angèle Poisson, l’assistante de service social, est également à la disposition des familles. « On ne peut pas offrir un bon suivi s’il n’y a pas un suivi social global, justifie le directeur. 80 % de nos familles sont en difficulté. Même lorsqu’elles sont suivies en CMP, où les services sont très engorgés. » A l’ouverture du Sessad, Angèle Poisson a ainsi dû gérer beaucoup d’ouvertures de droit (sécurité sociale, CMU, Pôle emploi, allocation d’éducation d’enfant handicapé). « A présent, les familles viennent davantage me voir pour des problèmes de ressources, des recherches d’aide à domicile ou de centres de loisirs adaptés. » L’assistante sociale joue également un rôle important en matière d’écoute. Et pour les demandes de logement social, elle travaille souvent en lien avec les assistantes sociales de secteur, voire avec celles du CMP. « Tout dépend de la demande des familles, souligne pour sa part Jeanne Plottu. Comme l’enfant est pris en charge à plein temps au Sessad, c’est plus facile pour les familles de s’adresser à lui. »
La principale difficulté de la structure réside dans son budget serré. Dans la salle de réunion, trois éducatrices passent en revue des catalogues de matériel éducatif et préparent une commande. « On le fait, mais bon, on ne rêve pas trop, note Sandra Wakali. Tout est à plus de 50 €, et puis il y a les autres groupes. Pourtant, le manque de matériel et de mobilier adaptés au développement des enfants va poser un réel problème au fur et à mesure qu’ils progressent. » Les locaux ne sont pas non plus tout à fait appropriés à la prise en charge de jeunes autistes. « C’est très sonore, ici, ça résonne. Or les enfants autistes ont une hypersensibilité auditive, explique une éducatrice. Et nous n’avons pas de pièce blanche ou de cour pour isoler un enfant en crise. » Autre contrainte : les enfants n’étant pas présents aux mêmes horaires, plusieurs groupes se partagent une salle d’activité. « Nous nous occupons d’enfants de moins de 12 ans dans la même salle où travaillent les grands le matin, relève Sandra. Mais ils n’ont pas besoin des mêmes équipements, ne serait-ce que les petits sièges du coin repos. »
Et surtout, en dépit d’une équipe déjà importante, un manque cruel de personnel se fait sentir. L’association a d’ailleurs réclamé une augmentation de son budget afin de pouvoir inclure un chef de service et une secrétaire. « Nous avons le même budget que les autres Sessad parisiens, reconnaît Jean-Luc Caradec. Mais du fait de notre mode de prise en charge, nous effectuons 39 000 heures d’intervention annuelles, contre 10 000 en moyenne chez nos homologues. Il serait aussi intéressant que les postes d’orthophoniste et de psychomotricienne, qui représentent actuellement 0,6 équivalent temps plein, passent à plein temps. » Malgré ces difficultés, tous s’accrochent. « Nous avons ouvert ce Sessad et porté le projet ensemble, et c’est parce qu’on aime ce qu’on fait que l’on reste, assure Sandra Wakali. Même si tout le monde a pensé à partir à un moment ou un autre. » Jean-Luc Caradec n’a pas non plus l’intention de lâcher l’aventure : « Nous alerterons les ministères et les élus s’il le faut, mais il y a un réel besoin. Et puis nous permettons à des parents de reprendre un emploi et nous ne mobilisons pas d’auxiliaires de vie scolaire. »
Depuis les années 1960, plusieurs méthodes d’inspiration cognitive ou comportementale ont été développées pour améliorer la prise en charge éducative des jeunes autistes. D’origine anglo-saxonne, elles ont été importées en France dans les années 1980 avec plus ou moins de succès, un vif débat opposant leurs promoteurs avec les tenants de l’approche psychanalytique, alors dominante.
Le Teacch est un programme éducatif structuré spécialisé, développé aux Etats-Unis par les universitaires Ric Schopler et Robert Reichler. Il s’appuie notamment sur l’organisation physique, la gestion de l’emploi du temps, des systèmes de travail individuels, le repérage visuel, dans le cadre d’une collaboration étroite entre parents et professionnels.
L’ABA est une approche éducative inspirée du béhaviorisme, créée par le psychologue Ivar Lovaas aux Etats-Unis. Elle consiste en une analyse du comportement, associée à une intervention intensive auprès de l’enfant. L’objectif consiste à obtenir une meilleure intégration sociale en encourageant les comportements jugés les plus adaptés.
Système de communication par échange d’images, le PECS a été développé aux Etats-Unis à partir de 1985, dans le cadre d’un programme éducatif proposé à des enfants autistes par le psychologue Andrew Bondy et l’orthophoniste Lori Frost.
Enfin, le Makaton fut conçu en 1972 en Grande-Bretagne par Margaret Walker, orthophoniste, pour des adultes sourds présentant des difficultés d’apprentissage. Ce programme de langage alliant des signes et des symboles répond aux besoins d’un large spectre d’utilisateurs, adultes ou enfants. Il peut être intégré à d’autres programmes (PECS, Teacch…).
(1) Sessad Autrepar : 97, rue Pelleport – 75020 Paris – Tél. 01 43 61 48 43.