Est-ce ainsi que les enfants vivent ? On aimerait pouvoir répondre par la négative, pourtant il faut l’admettre : fin 2009, en France métropolitaine, plus de trois millions d’enfants grandissaient dans une famille disposant de ressources inférieures au seuil de bas revenus (voir encadrés ci-dessous et page 31), soit près d’un quart des moins de 18 ans. C’est une étude réalisée par la branche famille de la sécurité sociale avec le dispositif régional d’observation sociale Provence-Alpes-Côte d’Azur (DROS), la Mission régionale d’information sur l’exclusion en Rhône-Alpes (MRIE), la Mission d’information sur la pauvreté et l’exclusion sociale en Ile-de-France (MIPES) et l’INSEE Ile-de-France qui attire l’attention sur ce phénomène aussi consternant que méconnu (1). Et qui risque fort de le rester au vu du silence dont il est entouré.
En 2004, dans son rapport pionnier sur les enfants pauvres (2), le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) – supprimé en 2010 par Nicolas Sarkozy – avait insisté sur la nécessité d’approfondir la connaissance de cette question. Sans avoir été vraiment entendu. « Même l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale n’a pas engagé de travaux spécifiques en dix ans d’existence », regrette Michel Dollé, économiste et ancien rapporteur général du CERC. C’est précisément pour en savoir plus sur la pauvreté enfantine dans la société contemporaine qu’une réflexion a été engagée en Ile-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et en Rhône-Alpes – soit les régions les plus peuplées et abritant les plus importantes agglomérations de l’Hexagone (3). Plus d’un tiers des enfants pauvres (36 %) y vivent, avec toutefois de fortes disparités territoriales. Ainsi, alors qu’à l’échelle nationale (4) le taux de pauvreté des enfants est de 24 %, la région PACA a une proportion d’enfants pauvres plus élevée (29,1 %) – avec une forte surreprésentation de ces derniers à Marseille (44 %) et à Avignon (45 %), ainsi que sur le pourtour de l’étang de Berre (63 % à Port-de-Bouc, par exemple). De leur côté, l’Ile-de-France et Rhône-Alpes connaissent des taux de pauvreté enfantine inférieurs à la moyenne nationale (21,5 % et 20 %). Au niveau départemental, les écarts sont encore plus marqués, en particulier dans la région parisienne où l’on trouve à la fois la plus forte et la plus faible proportion d’enfants pauvres des trois régions étudiées : 37 % des enfants résidant dans la Seine-Saint-Denis et 13 % dans les Yvelines sont concernés.
Les enfants les plus affectés par la pauvreté vivent dans une famille monoparentale, très nombreuse ou d’origine étrangère (hors Union européenne). Ce constat se vérifie grosso modo dans les mêmes proportions au plan national et des régions étudiées. Ainsi, à l’échelle de la France, entre quatre et cinq enfants pauvres sur dix grandissent dans une famille monoparentale contre deux sur dix pour l’ensemble des enfants. Par ailleurs, 22 % des enfants pauvres appartiennent à une fratrie de plus de trois enfants, contre 12 % pour les enfants en général. Enfin, les enfants dont le parent allocataire est de nationalité étrangère (non communautaire) représentent, selon les régions, entre 7 et 17 % des enfants. Leur proportion est deux fois plus élevée dans les familles disposant de ressources inférieures au seuil de bas revenus.
C’est avant tout à l’absence d’activité professionnelle des parents qu’est due la pauvreté familiale : plus de quatre enfants pauvres sur dix vivent dans un foyer mono– ou bi-parental où aucun parent n’a d’emploi. Ces adultes se heurtent souvent à un obstacle majeur pour se présenter sur le marché du travail : l’absence de moyens de faire garder leurs enfants. Dans les familles pauvres, en effet, le recours à un mode d’accueil payant est très rare (5). « Le reste à charge est trop considérable et ce problème-là n’est pas traité », déplore Michel Dollé, qui plaide pour le développement de l’accueil collectif, levier privilégié d’une politique d’égalité des chances et de lutte contre l’exclusion. « Il manquerait 350 000 à 400 000 places pour que les enfants des familles pauvres puissent être accueillis en structures collectives », confirme Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. De fait, les enfants des foyers situés au plus bas de l’échelle des revenus ne sont que 4 % à avoir accès à une crèche, contre 16 % de leurs contemporains des familles les plus riches (6). Or, en termes de rapport au langage et aux apprentissages comme de socialisation, les tout-petits économiquement défavorisés sont ceux qui gagneraient le plus à fréquenter des services collectifs de qualité.
Faute de revenus du travail, les ressources des familles d’enfants pauvres sont largement inférieures au seuil de bas revenus défini par les caisses d’allocations familiales (CAF), soit 942 € mensuels par unité de consommation (UC) en 2009. Elles s’élèvent en moyenne à 671 € par mois et par UC pour les trois régions étudiées (684 € au plan national). Cela signifie qu’une femme seule avec deux enfants de moins de 14 ans dispose de 1 075 € par mois, et un couple avec quatre enfants de moins de 14 ans d’un peu plus de 1 800 €. « A Avignon et à Orange, les revenus de nos familles les plus pauvres sont de 300 € par unité de consommation », signale Isabelle Delaunay, chef de service de l’Observatoire départemental des politiques sociales au conseil général du Vaucluse. « La réalité est tellement effrayante que vous vous demandez ce que vous pouvez mettre en place. » Il ne faut pas noyer les cas extrêmes dans des moyennes et oublier, ipso facto, les plus pauvres, renchérit Pierre-Yves Madignier, président d’ATD quart monde. En particulier, « au niveau des minima sociaux, il s’agit de situations d’une telle précarité que le maintien d’une dynamique vitale est extrêmement compliqué », souligne-t-il. Or plus de quatre enfants pauvres sur dix (contre un sur dix pour l’ensemble des enfants connus des CAF) vivent dans une famille percevant un minimum social (41 % le RSA – deux fois sur trois le RSA socle seul –, 3 % l’allocation aux adultes handicapés). On peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles se construisent ces enfants alors même qu’ils sont en plein développement. En effet, pour la France comme pour les trois régions étudiées, les enfants les plus exposés à la pauvreté sont les 3-5 ans. Le fait d’accumuler les problèmes à cette période très sensible de l’existence n’est évidemment pas sans conséquences sur les parcours ultérieurs (voir encadré, page 32). Après les 3-5 ans, la deuxième tranche d’âge la moins bien lotie diffère selon les régions : en Ile-de-France et en PACA, c’est celle des moins de 3 ans, alors qu’en Rhône-Alpes et au plan national, ce sont les adolescents de 13 à 17 ans.
Quand on les interroge sur leurs conditions de vie, ces jeunes manifestent pourtant une bonne dose d’optimisme et beaucoup d’énergie. Tel est aussi l’un des enseignements de cette étude où les enfants ont eu l’occasion de s’exprimer sur leur quotidien lors d’entretiens en face à face. « Ce qui est sans doute une première », se félicite Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la CNAF. Complétant les données chiffrées, ce volet qualitatif du travail interrégional montre que derrière des statistiques accablantes, il y a des enfants comme les autres. Ceux qui ont été rencontrés appartiennent à différentes catégories de populations précaires. En Ile-de-France, l’enquête qualitative a prioritairement visé des familles qui, compte tenu de leur situation administrative, ne sont pas nécessairement connues des CAF : plusieurs des 14 entretiens réalisés auprès des 5-17 ans ont été menés auprès d’enfants rom vivant dans un village d’insertion de Seine-Saint-Denis, auprès de mineurs étrangers isolés pris en charge par une association opérant dans le même département et auprès d’enfants de familles logées en hôtel social à Paris. En Rhône-Alpes, les 35 enfants, tous âgés de plus de 10 ans, qui ont été interrogés, résident majoritairement en milieu urbain et bénéficient d’une certaine stabilité résidentielle et d’une bonne intégration sociale. Pour la région PACA enfin, les entretiens ont concerné une trentaine d’enfants de 4 à 17 ans habitant soit les quartiers nord de Marseille, soit des territoires plus ruraux du Vaucluse. Il s’agit de jeunes Provençaux qui ont un toit, sont scolarisés et vivent en famille.
Ces enfants d’horizons très divers font tous montre d’un grand dynamisme et d’une réelle joie de vivre. « Parfois, même, ils ont été étonnés des questions qui leur ont été posées et y ont assez souvent répondu sur un ton d’évidence : “comme tout le monde !” », notent les sociologues qui ont effectué les entretiens auprès d’enfants franciliens. De fait, la pauvreté perçue ne reflète pas forcément la pauvreté vécue. De nombreuses réflexions sur la question du logement en témoignent. Les logements sont souvent étriqués et sur-occupés, mais si le qualificatif « petit » revient fréquemment dans la bouche des enfants, les situations de surpeuplement ne sont pas toujours mal ressenties. En Rhône-Alpes, Océane, 12 ans, apprécie de partager sa chambre avec sa sœur qui est autiste, cependant que sa grand-mère et sa mère vivent dans l’autre pièce : « comme ça, c’est bien, je peux m’occuper de ma sœur et je peux profiter de ma grand-mère. Je sais qu’elle est malade et qu’elle peut mourir ». Pour Sofiane, Marseillais de 13 ans, la situation ne paraît pas non plus problématique. Il dort avec sa grand-mère et un de ses frères, ne dispose pas de bureau pour travailler ni de pièce pour jouer avec ses cinq frères et sœurs. Le soir, le salon est transformé en chambre pour ses parents et il devient compliqué de circuler. Mais Sofiane semble apprécier ce « vivre ensemble » et la qualité des liens qui s’y créent.
Si les enfants, surtout les plus jeunes, donnent le sentiment d’évoluer dans un univers relativement préservé, c’est aussi parce que leur environnement « invisibilise » la pauvreté, commentent les chercheurs de la MRIE. « Les enfants sont entourés de personnes qui vivent la même situation qu’eux, ce qui leur donne à penser que celle-ci est normale », précisent-ils. De plus, les parents jouent un rôle protecteur. Des mères interrogées dans le cadre d’un groupe de parole en Isère expliquent faire en sorte que leurs enfants ne ressentent pas les soucis qu’elles connaissent. Pour un certain nombre d’enfants, cependant, une prise de conscience de la pauvreté familiale semble émerger en grandissant. Ils notent alors des contraintes et privations de différents ordres. S’il avait de l’argent, Zoran, 13 ans, fils d’une famille rom de Seine-Saint-Denis, achèterait un jeu vidéo et son frère Mano, 15 ans, « de la nourriture et des boissons pour partager avec les copains ». A Marseille, Hakim, 13 ans, et Yoann, 15 ans, deux ados de familles monoparentales, aimeraient bien faire du foot en club : le premier dit « attendre que [sa] maman ait terminé de payer les crédits », le second préfère renoncer pour économiser le prix de la licence – « c’est pour ma mère, pour pas la mettre en galère ». Les habits, les chaussures de marque, « avoir de belles affaires » tenterait aussi bien des ados précaires. Mais ces derniers semblent assez facilement faire une croix sur leurs desiderata – du moins en paroles. Comme l’affirme Anna, 12 ans, qui juge le sac de ses rêves trop cher : « Pour ce prix-là, il ne faut pas que cela soit que pour moi, ça doit servir à tout le monde. »
Résignation ? Fatalisme ? Le fait que les enfants en âge de le faire n’aient « jamais qualifié leur situation en termes d’injustice peut être vu comme un signe d’absence de lecture collective de la réalité sociale dans leur environnement », estiment les rapporteurs. Ils ne notent pas non plus de rancœurs individuelles : les jeunes n’imputent pas à leurs parents la responsabilité des manques qu’ils subissent. Eux-mêmes paraissent avoir du mal à s’imaginer un avenir différent du leur. « La panne de l’ascenseur social semble suffisamment intégrée dans les milieux modestes pour que l’avancée en âge s’accompagne d’un rétrécissement des perspectives envisagées par les enfants », font observer les chercheurs. Il est vrai que, dans leur entourage, les intéressés manquent de modèles de réussite, en particulier d’exemples où l’apprentissage scolaire soit la clé du succès. Pour les jeunes rencontrés, ça ne se passe d’ailleurs pas toujours bien à l’école. Et, si tous les parcours d’insertion ne sont pas académiques, on connaît, néanmoins, l’impact du niveau de formation initiale sur l’accès à l’emploi et à un revenu suffisant (7). C’est également en cela que la pauvreté des enfants est particulièrement scandaleuse : elle les frappe dans une double temporalité, l’ici et maintenant et l’avenir, c’est-à-dire « le bien-être, mais aussi le bien devenir, les deux aspects étant naturellement très liés », résume Michel Dollé.
Or il y a tout lieu de craindre que la crise ne précipite toujours davantage de familles dans les difficultés. Pour Pierre-Yves Madignier, le choix est clair : « Soit remonter les minima sociaux et les allocations familiales, soit accepter que des enfants en très grand nombre soient élevés dans la pauvreté. »
Réalisée à partir des données issues des fichiers des caisses d’allocations familiales (CAF), l’étude conduite par la branche famille de la sécurité sociale et plusieurs institutions régionales porte sur les enfants de moins de 18 ans à la charge d’un foyer allocataire d’une ou de plusieurs prestations versées par les CAF. Un certain nombre d’enfants en sont donc exclus : c’est le cas d’un peu plus du tiers des enfants uniques ainsi que des enfants de familles en grande précarité qui ne font pas valoir leurs droits ou sont en situation irrégulière.
Au total, les CAF couvrent près de neuf enfants sur dix. Parmi eux, au 31 décembre 2009, 3 136 000 sont en situation de pauvreté.
Les données utilisées dans cette étude étant celles du régime général, les allocataires du régime agricole ne sont pas pris en compte. En 2009, 429 000 enfants de moins de 18 ans vivaient dans des familles couvertes par la Mutualité sociale agricole (MSA). 36 % d’entre eux – soit 155 000 enfants – grandissaient dans des familles à bas revenus. Ajoutés à ceux qui sont connus des CAF, ce sont, fin 2009 en France, 3 291 000 enfants qui appartenaient à des familles aux ressources inférieures au seuil de bas revenus.
L’étude sur la pauvreté enfantine réalisée avec la branche famille de la sécurité sociale porte sur les enfants de moins de 18 ans vivant dans une famille allocataire dont les ressources sont inférieures au seuil de bas revenus. Celui-ci est calculé à partir des fichiers des caisses d’allocations familiales (CAF). Il s’élevait en 2009 à 942 € par mois et par unité de consommation.
Pour les CAF, une famille comprend le ou les parents (ou le beau-parent) ainsi que l’ensemble des enfants de moins de 25 ans qui sont effectivement présents sous le même toit (demi– et quasi-frères et sœurs compris).
Pour connaître le niveau du seuil de bas revenus d’une famille, une échelle d’équivalence des unités de consommation (UC) est appliquée aux différents membres du foyer. En raison des économies d’échelle liées à la vie en commun, le premier adulte du ménage compte pour 1 UC, puis les autres personnes de 14 ans et plus pour 0,5 UC et enfin les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC. En outre, la CAF ajoute 0,2 UC supplémentaire aux ménages monoparentaux, quels que soient l’âge et le nombre des enfants, car les coefficients de l’échelle utilisée sous-estiment les besoins de ces foyers, notamment dans le domaine du logement (8). Ainsi, pour une famille monoparentale avec deux enfants de moins de 14 ans, le seuil de bas revenus s’établissait à 1 695,60 € nets par mois en 2009. A titre de comparaison, la même année, le montant forfaitaire du RSA socle pour un parent isolé sans activité avec deux enfants à charge était de 818,34 €.
Le seuil de bas revenus défini par les CAF est différent du seuil de pauvreté déterminé par l’INSEE, la population de référence et les modalités de calcul n’étant pas identiques. Au final, cependant, les deux seuils sont à peu près équivalents : en effet, en 2009, l’INSEE a fixé le seuil de pauvreté à 954 € mensuels par unité de consommation.
Selon les données d’Eurostat, office de statistiques de la Commission européenne, la pauvreté des tout-petits a bondi en France entre 2007 et 2010 : passant de 714 000 à 927 000, le nombre d’enfants pauvres de moins de 6 ans a crû de près d’un tiers – ce qui constitue, de loin, la plus forte hausse pour un Etat de l’Union européenne. Or des recherches menées dans les pays anglo-saxons mettent l’accent sur l’impact de la pauvreté subie dans les premières années de la vie. Le développement de l’enfant étant un processus très cumulatif, les handicaps ne font en général que s’approfondir, notamment en matière comportementale et dans le domaine scolaire – sauf si des interventions fortement correctrices sont engagées, explique l’économiste Michel Dollé (9). « Les inégalités entre enfants, décelables dès l’entrée en école maternelle, ne font que s’accroître tout au long du cursus », précise-t-il. Comme en atteste une récente étude de l’INSEE, les difficultés scolaires précoces, qui se manifestent par des redoublements à l’école primaire, apparaissent comme un facteur particulièrement déterminant de la sortie du système scolaire sans diplôme (10). Or la principale caractéristique des jeunes qui quittent l’école sans aucun diplôme ou avec uniquement le brevet des collèges est leur appartenance à des milieux sociaux défavorisés. Ainsi, les non-diplômés ont 2,4 fois plus de chances d’avoir un père ouvrier et aussi 2,4 fois plus de chances d’avoir une mère sans aucun diplôme. Les non-diplômés sont également plus souvent issus de familles nombreuses ou monoparentales : 41,9 % d’entre eux (contre 23,5 % des diplômés) ont au moins trois frères et sœurs ; 23,4 % d’entre eux (contre 12,8 % des diplômés) vivent avec un seul parent.
« Eu égard à ce que l’on sait du développement du cerveau de l’enfant et du quotient intellectuel », vivre pauvre au milieu et à la fin de l’enfance est sans doute moins préjudiciable aux résultats cognitifs, estiment des experts de l’OCDE (11). Mais les enfants plus âgés se heurtent à un autre problème : dans les familles défavorisées, on attend d’eux qu’ils contribuent matériellement à la vie du foyer, en exerçant un emploi rémunéré ou en participant davantage aux tâches domestiques. Ainsi peuvent-ils être contraints de rogner leurs ambitions et de renoncer à leurs études.
Grandir dans un logement décent constitue une condition essentielle de la construction des enfants. Pour des centaines de milliers d’entre eux, celle-ci n’est pas remplie.
Les familles à bas revenus rencontrent d’importantes difficultés liées au poids grandissant des dépenses de logement, notamment celles qui n’accèdent pas à un logement du parc locatif social, loin de leur bénéficier prioritairement (12). Pour le quart de la population française aux niveaux de vie les plus faibles, cette charge représente plus du tiers des revenus (34 %) – contre 20 % pour le quart de la population aux niveaux de vie les plus élevés (11). Particulièrement touchés par la pauvreté, les enfants qui vivent avec un seul de leurs parents – leur mère dans 84 % des cas – sont les plus exposés à des conditions de logement difficiles. En 2006, 7,3 % des enfants de famille monoparentale sont privés d’un minimum de confort (installations sanitaires et électriques absentes, infiltrations d’eau, sensation de froid, etc.) – contre 4,2 % de la moyenne des enfants (14). A cet égard, la taille des familles joue aussi un rôle majeur : les enfants issus d’une fratrie d’au moins quatre enfants sont 2 à 2,5 fois plus souvent privés de confort que ceux de fratries plus petites. 20 % des enfants de familles monoparentales et 30 % de ceux de familles très nombreuses habitent également un logement surpeuplé (contre 11 % de la moyenne des enfants).
En 2010, la Fondation Abbé-Pierre a estimé à 600 000 le nombre d’enfants victimes de différentes formes de mal-logement (15). Environ la moitié d’entre eux vivent dans un logement surpeuplé ou sans confort ; près de 200 000 résident dans un meublé (en location ou sous-location) ou dans un logement occupé sans droit ni titre suite à une décision d’expulsion ; près de 52 000 sont hébergés chez des tiers, en centres d’hébergement (CHRS ou centres maternels) ou à l’hôtel ; 22 000 habitent dans un camping ou un mobile home ; enfin, près de 21 000 sont sans domicile fixe ou vivent dans un habitat de fortune (cabane, cave, garage). Tout en reconnaissant que les conséquences du mal-logement sur les enfants appartiennent à de nombreux registres, qui ne sont pas forcément hiérarchisables, les experts de la fondation estiment néanmoins que « l’habitat indigne ou insalubre nuit gravement à la santé de l’enfant ». Et de pointer le saturnisme, lié à la présence de plomb, les maladies respiratoires et les affections dermatologiques dues à des problèmes de ventilation, d’humidité et de chauffage, les accidents domestiques provoqués, par exemple par la vétusté des installations électriques, ou encore les répercussions d’une mauvaise alimentation en termes de surpoids ou d’obésité. Par ailleurs, la piètre qualité des sanitaires ou la nécessité de les partager avec d’autres, y compris avec des personnes qui ne font pas partie de la famille comme c’est le cas pour les familles hébergées chez des tiers, peuvent empêcher ou décourager l’enfant – ou ses parents – de prendre soin de son corps. Avec les retombées de ce manque d’hygiène sur le bien-être quotidien et la propension ultérieure à développer des maladies infectieuses. Vivre dans un logement surpeuplé pèse aussi sur la durée et/ou la qualité du sommeil. D’où un état de fatigue générale avec une kyrielle d’effets immédiats (maux de tête, troubles de l’attention, etc.) et un impact à plus long terme sur la croissance et la maturation du système nerveux.
Au-delà de ces effets sur la santé physique, le mal-logement place aussi les enfants dans un climat d’insécurité et/ou d’instabilité peu propice à un équilibre psychique harmonieux et il obère la qualité de la vie familiale, qui connaît des situations de tension parfois extrêmes. La vie sociale des enfants, dont les possibilités de recevoir leurs amis sont mises à mal, se trouve également amoindrie. Quant à leurs apprentissages scolaires, ils pâtissent du fait que les intéressés ne disposent pas d’un endroit tranquille pour travailler.
(1) Intitulée « Vivre la pauvreté quand on est un enfant : Photographie de la pauvreté infantile en régions Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes », cette étude a donné lieu à un colloque le 21 novembre 2011 à Paris et sera présentée le 14 février prochain à Lyon – Rens. :
(3) Ces trois régions concentrent 35 % de la population française, dont 21 % vivant dans les unités urbaines de Paris, Lyon et Marseille.
(4) Toutes les données indiquées au plan national concernent la France métropolitaine.
(5) 91 % des enfants des ménages les plus pauvres sont gardés par leur ou un de leurs parents (contre 31 % des plus aisés) – Voir Etudes et résultats n° 678 – DREES – Février 2009.
(6) Voir Etudes et résultats n° 678 – DREES – Février 2009.
(7) En 2010, parmi les jeunes actifs sortis du système éducatif depuis moins de cinq ans, 11 % des diplômés du supérieur sont au chômage, contre 23 % des diplômés du secondaire et 44 % de ceux qui n’ont aucun diplôme ou seulement le brevet des collèges – « Diplômes et insertion professionnelle » par B. Le Rhun et P. Pollet, in France, portrait social – INSEE, édition 2011.
(8) Voir Politiques sociales et familiales n° 98 – Décembre 2009 – CNAF.
(9) In « La transmission intergénérationnelle de la pauvreté » – Regards croisés sur l’économie n° 4 – Septembre 2008 – Ed. La Découverte.
(10) Voir « Etre sans diplôme aujourd’hui en France : quelles caractéristiques, quel parcours et quel destin ? » par R. Bouhia, M. Garrouste, A. Lebrère, L. Ricroch et Th. De Saint Pol – Economie et statistique n° 443 – INSEE, 2011.
(11) Assurer le bien-être des familles – OCDE, 2011.
(12) Selon les données de la CNAF, la part des enfants pauvres vivant dans le parc social est de 50 % contre 43 % pour l’ensemble des enfants allocataires.
(13) Voir France, portrait social – INSEE, édition 2010.
(14) Voir France, portrait social – INSEE, édition 2011.