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Première demande d’asile : la CEDH condamne la procédure prioritaire de la France

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La Cour européenne pointe les difficultés que rencontrent les étrangers dont la première demande est instruite selon cette procédure à faire valoir son bien-fondé.

Les obstacles rencontrés par un ressortissant étranger placé en rétention pour exercer les recours en théorie disponibles en droit français dans le cadre d’une première demande d’asile constituent une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, a jugé la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans un arrêt du 2 février. Une décision dont se félicitent les associations de défense des droits des étrangers (voir ce numéro, page 25). La Haute Juridiction européenne dénonce tout particulièrement le classement automatique de la demande du requérant en procédure prioritaire et, en conséquence, la brièveté des délais de recours à sa disposition ainsi que les difficultés matérielles et procédurales qu’il a rencontrées pour prouver le bien-fondé de sa demande alors qu’il se trouvait en détention ou en rétention. Pour mémoire, en effet, la procédure prioritaire (1) se caractérise par un examen de la demande d’asile dans des délais plus rapides et l’absence, par dérogation aux règles du droit commun, de recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

L’absence de recours effectifs viole la Convention des droits de l’Homme

Les faits sont les suivants : un Soudanais fuit son pays en 2008 à la suite des persécutions dont il fait l’objet du fait de ses activités au sein d’un mouvement étudiant. Arrêté à son arrivée à la frontière franco-espagnole, il est placé en détention provisoire pour entrée irrégulière sur le territoire national et faux et usage de faux. Il affirme avoir exprimé, dès ce moment, son souhait de déposer une demande d’asile, sans qu’il en soit tenu compte. Il est ensuite condamné par le tribunal de grande instance de Perpignan à un mois d’emprisonnement pour infraction à la législation sur le séjour des étrangers. L’intéressé dit avoir réitéré durant l’audience son intention de solliciter l’asile, à laquelle aucune suite n’aurait été donnée. Lors de sa détention, il conteste devant le tribunal administratif l’arrêté de reconduite à la frontière pris entretemps à son encontre par la préfecture. Placé en rétention administrative en vue de son éloignement, il a pu finalement déposer une demande d’asile, examinée selon la procédure prioritaire et rejetée une dizaine de jours plus tard.

Dans son arrêt, la Cour européenne relève tout d’abord que les procès-verbaux de garde à vue du requérant paraissent fournir des éléments, même partiels, quant aux tentatives de demandes d’asile qu’il allègue avoir faites dès son arrivée en France.

Elle constate par ailleurs que sa demande d’asile a été automatiquement classée en procédure prioritaire au seul motif qu’elle était postérieure à l’arrêté de reconduite à la frontière, ce qui « a suffi aux autorités pour considérer qu’elle reposait sur une “fraude délibérée” ou constituait un “recours abusif” ». Si, admet la CEDH, la procédure d’asile accélérée peut faciliter le traitement des demandes clairement abusives et ne prive pas l’étranger en rétention d’un examen circonstancié de sa situation dès lors qu’une première demande d’asile a fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure normale, tel n’était pas le cas du requérant soudanais qui n’avait jamais effectué de demande d’asile sur le territoire français avant son placement en rétention. Pour la Cour, le classement en procédure prioritaire de sa demande a en effet « induit des conséquences substantielles quant au déroulement de la procédure ». Le délai qui lui a été laissé pour présenter sa demande une fois placé en centre de rétention a ainsi été réduit de 21 à 5 jours. Un délai « particulièrement bref et contraignant » qui ne lui a pas permis « de préparer […] une demande d’asile complète et documentée en langue française, soumise à des exigences identiques à celles prévues pour les demandes déposées hors rétention selon la procédure normale », déplorent les juges européens. La Cour pointe également le fait que, dans le cadre de la procédure prioritaire, le recours formé devant la CNDA contre la décision de refus de l’OFPRA de la demande d’asile est dénué de tout caractère suspensif.

S’agissant de la saisine du tribunal administratif contre l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, là aussi l’intéressé « s’est heurté en pratique à des obstacles conséquents », relève la juridiction qui met en exergue notamment « le caractère extrêmement bref du délai de 48 heures imparti au requérant pour préparer son recours, en particulier par rapport au délai de droit commun de deux mois en vigueur devant les tribunaux administratifs ».

Au final, conclut la CEDH, « le requérant n’a pas disposé en pratique de recours effectifs lui permettant de faire valoir le bien-fondé » de sa demande, ce qui constitue une violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

[CEDH, 2 février 2012, requête n° 9152/09, aff. I.M. c/France, disp. sur http://goo.gl/WefUj]
Notes

(1) Selon le rapport annuel 2010 de l’OFPRA, en France, les demandes d’asile traitées en procédure prioritaire constituent 24 % de la demande globale et les premières demandes constituent 62,5 % des procédures prioritaires.

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