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Le bilan de la réforme des tutelles demeure « mitigé », estime la Cour des comptes

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Les magistrats financiers font deux constats principaux : la « déjudiciariation » des mesures de protection n’a pas vraiment eu lieu et la mesure d’accompagnement social personnalisé, dont la montée en charge est très lente, coûte cher aux départements.

La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs n’a pas tenu ses promesses : une décharge des tribunaux « extrêmement faible », une « montée en puissance très lente » de la mesure d’accompagnement social personnalisé (MASP) – qui doit à terme se substituer à la tutelle aux prestations sociales adultes –, des « coûts d’ores et déjà supérieurs aux prévisions »… Tels sont les constats de la Cour des comptes résultant d’une enquête qu’elle a effectuée pour le Sénat deux ans après l’entrée en vigueur de la réforme le 1er janvier 2009(1).

Accroissement de la charge de travail des juges des tutelles…

L’un des objectifs de la réforme des tutelles était de décharger les juges des tutelles des dossiers qui ne relevaient pas de leur compétence. Pour ce faire, les signalements doivent maintenant passer par le procureur de la République. Toutefois, cela n’a pas suffit puisque de nouvelles tâches s’imposent à ces magistrats, telles que l’agrément des mandataires judiciaires, l’intervention en cas de difficultés dans l’exécution du mandat ou encore la révision quinquennale des mesures de tutelle, celle-ci devant intervenir au plus tard fin 2013 au risque, pour les majeurs protégés de ne plus l’être (2). Un sujet sur lequel la Cour des comptes tire la sonnette d’alarme. De façon générale, la juridiction financière invite les pouvoirs publics à « mesurer les inconvénients qui résultent de la limitation systématique à cinq ans de la durée des mesures, en particulier pour les personnes souffrant d’une altération de leur capacité mentale non susceptible de connaître une amélioration ». Pour la cour, « ces nombreuses interventions nouvelles entraînent une grande dispersion de l’activité du juge sur un ensemble de petites tâches, rendant impossible le recentrage sur ses missions visé par la réforme ». Par exemple, elles rendent « quasi impossible la prise de mesures d’urgence alors que la sauvegarde du patrimoine peut exiger l’accomplissement immédiat de certains actes ». Les magistrats financiers demandent donc que des procédures d’urgence soient instaurées à cet effet. Enfin, la charge de travail des juges des tutelles est d’autant plus forte que le nombre de demandes nouvelles de protection continue de croître, constate la Cour des comptes : elles sont passées de près de 140 000 en 2007 à un peu plus de 181 000 en 2010. Tout comme le médiateur de la République (3), elle explique pour partie cette croissance par une méconnaissance de la loi, notamment de l’existence et du contenu des MASP (4). Aussi recommande-t-elle de « mettre en œuvre une information des familles des majeurs protégés sur les modalités de financement des mesures de protection et leurs incidences ».

… « à moyens constants »

Pour la Cour des comptes, l’insuffisance de moyens financiers et humains constitue un autre obstacle à une mise en œuvre effective et efficace de la loi de 2007. S’il manque des juges des tutelles, les médecins experts, en particulier les médecins psychiatres, sont aussi en nombre « très insuffisant » (5). S’y ajoutent « l’augmentation du nombre de mesures prises en charge par mandataire [entre 58 et 90, sans limitation en ce qui concerne les mandataires exerçant à titre individuel], l’effectif réduit de ces mandataires et l’accroissement des formalités administratives auquel ils se trouvent confrontés », qui nuisent à une bonne prise en charge de la personne, en ce qu’ils réduisent le temps que ces professionnels peuvent consacrer aux rencontres et visites.

Des carences dans la mise en œuvre de la MASP

Selon l’étude d’impact de la loi du 5 mars 2007, la mesure d’accompagnement social personnalisé était présumée moins coûteuse que la tutelle aux prestations sociales adultes. Or, au regard des estimations 2011 de la direction générale de la cohésion sociale, le coût de mise en œuvre de la loi pour les départements s’élèverait à près de 46,88 millions d’euros, « largement supérieur à son niveau avant la réforme (29,2 millions d’euros en 2007 pour 68 000 mesures) et très proche des évaluations faites pour 2013 (44,88 millions dont 46,7 millions pour les MASP) ». Ce, alors même que le nombre de mesures ouvertes n’a pas atteint les objectifs escomptés : seules 4 700 MASP ont en effet été décidées en 2009, au lieu des 9 800 prévues par l’étude d’impact de la loi de 2007. Un constat partagé par un récent avis de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale (6).

Globalement, note la cour, « la mise en œuvre du volet social de la MASP a connu des modalités et des calendriers très divers d’un département à un autre ». La majorité des mesures sont des MASP de niveau 2 (environ 70 %), qui permettent au département de gérer directement les prestations sociales de l’intéressé avec son accord. Les MASP de niveau1, simple aide à l’élaboration du budget familial, ne représentent que près de 30 % des mesures décidées. Une faible proportion qui, selon la juridiction financière, s’explique par le fait que la MASP de niveau 1 est « perçue comme redondante avec certain dispositifs existants ». Enfin, rapporte-t-elle, on recense « très peu » de MASP de niveau 3, qui associent une gestion directe sous contrainte et un accompagnement social, « en raison de l’incompatibilité ressentie entre accompagnement social et contrainte juridique ». Par ailleurs, la Cour des comptes constate que les MASP sont plus utilisées pour des faits de bonne gestion du budget familial que pour des faits révélant un risque de précarité lié à l’absence de ressources. Ces mesures ne sont donc « utilisées que de manière subsidiaire, c’est-à-dire une fois que les autres dispositifs et procédures ont été utilisés, qu’il s’agisse de dispositifs sociaux (du département) ou financiers (de la Banque de France) », conclut-elle.

Selon la juridiction financière, les difficultés de mise en œuvre des MASP s’expliquent surtout par « des politiques insuffisamment volontaristes dans certains départements ». Un état de fait en partie lié aux contraintes budgétaires auxquelles ils ont dû faire face et qui les a conduits à « adopter une définition restrictive des situations relevant d’une MASP, c’est-à-dire des cas où la mauvaise gestion des prestations sociales met en danger “la santé ou la sécurité” d’une personne » (7). Cette situation a ainsi amené les départements à « exclure certains publics vulnérables » de la MASP, tels que les personnes âgées ne touchant pas de prestations sociales mais percevant des petites retraites, les jeunes de moins de 25 ans et les personnes qui relevaient auparavant des « cas d’intempérance, d’oisiveté et prodigalité » – catégorie supprimée par la réforme des tutelles – et qui ne perçoivent pas de prestations sociales ou qui refusent de se soumettre à l’examen médical. Il est vrai, reconnaît la cour, que « la persistance de cette “zone grise” entre [la MASP et une mesure de protection judiciaire] est délicate à gérer, car elle dépend de la capacité du procureur [de la République] à se forger une opinion éclairée et à décider ou non de saisir le juge des tutelles sur la base d’un certificat médical circonstancié ». Aussi la cour invite-t-elle les services des conseils généraux et les juridictions à s’accorder sur des critères de signalement homogènes.

Disponible dans la docuthèque, rubrique « infos pratiques », sur www.ash.tm.fr}

Notes

(1) Signalons que cette enquête a été réalisée dans l’attente du premier rapport annuel d’évaluation de la loi, cette dernière ayant prévu qu’un tel document devait être remis chaque année jusqu’en 2015.

(2) Les juges des tutelles interrogés par la Cour des comptes ont estimé que « seulement 50 % environ des mesures de protection ouvertes auront pu faire l’objet d’une révision ».

(3) Voir ASH n° 2696 du 11-02-11, p. 8.

(4) Voir ASH n° 2504 du 20-04-07, p. 23.

(5) En cause surtout, selon les départements interrogés, l’insuffisance de la rémunération de ces professionnels compte tenu des contraintes qu’implique l’établissement des certificats médicaux constatant l’état de santé du majeur.

(6) Voir ASH n° 2733 du 18-11-11, p. 17.

(7) Par exemple, illustre la Cour des comptes, « une addiction n’est pas toujours considérée comme un risque pour la santé, ou une expulsion locative, comme un risque pour la sécurité ».

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