Les associations de défense des droits des étrangers peuvent être déçues. Le Conseil constitutionnel a, le 3 février, déclaré conforme à la Constitution l’article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) sanctionnant d’une peine de prison le séjour irrégulier… tout en se déclarant incompétent pour juger de sa compatibilité avec le droit européen. Une décision rendue avec, en toile de fond, la question de la légalité des gardes à vue d’étrangers décidées sur le fondement de cette disposition, véritable enjeu de cette bataille juridique.
Au cœur de l’affaire : l’article L. 621-1 du Ceseda, qui punit d’une amende de 3 750 € et d’une peine d’emprisonnement de une année tout ressortissant d’un pays tiers à l’Union européenne qui a pénétré irrégulièrement en France, a séjourné sur le territoire sans titre de séjour ou s’y est maintenu au-delà de la durée autorisée par son visa. Défendant les intérêts d’un Algérien qui, à la suite d’un contrôle d’identité, avait été placé en garde à vue sur le fondement de cet article puis en rétention administrative, l’avocat à l’origine de la saisine estimait que cette disposition du Ceseda était non conforme à la Constitution et plus particulièrement à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Soutenu par plusieurs associations dont le GISTI (Groupement d’information et de soutien des immigrés) et la Cimade, il s’appuyait en particulier sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Dans deux arrêts rendus en 2011, celle-ci a en effet jugé que l’emprisonnement, au cours de la procédure de retour, d’un clandestin au seul motif de l’irrégularité du séjour est contraire au droit européen (1). Ainsi, selon son argumentaire, il n’y avait pas de « nécessité de la peine » puisque la CJUE en avait interdit le prononcé.
Le Conseil constitutionnel a été saisi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Sa décision était attendue car elle pouvait potentiellement remettre en cause le fondement légal des placements en garde à vue décidés sur le seul motif du séjour irrégulier. En effet, depuis la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, les officiers de police judiciaire ne peuvent placer en garde à vue que les personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. A cet égard, les décisions de la CJUE, de par leur formulation sybilline, ont donné lieu à des interprétations divergentes au sein des tribunaux français, certains jugeant que le placement en garde à vue de clandestins sur le fondement de l’article L. 621-1 du Ceseda constituait une entorse au droit européen tandis que d’autres – à l’instar de la chancellerie – validaient au contraire cette pratique (2).
Sur cette question de la conformité au droit européen, précisément, le Conseil constitutionnel s’est simplement déclaré incompétent. « Un grief tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité », expliquent les sages dans leur décision, considérant ainsi qu’il ne leur appartient pas d’examiner la compatibilité des dispositions contestées avec le droit de l’Union européenne. A leurs yeux, « l’examen d’un tel grief relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ».
Tout en considérant que, de la même façon, il ne dispose pas du pouvoir d’apprécier la « nécessité » des peines attachées aux infractions, le Conseil constitutionnel estime toutefois qu’il lui incombe de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. En l’occurrence, pour les sages, « eu égard à la nature de l’incrimination pour laquelle elles sont instituées », les peines fixées par l’article contesté du Ceseda ne sont pas « manifestement disproportionnées » et ne méconnaissent pas l’article 8 de la Déclaration de 1789.
Les espoirs des défenseurs des droits des étrangers reposent dorénavant sur la Cour de cassation, qui a d’ores et déjà été saisie d’une série de recours visant à contester la légalité des gardes à vue fondées sur l’article L. 621-1 du Ceseda. A charge pour la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français d’assumer maintenant son rôle de vérification de la conformité au droit européen.
(2) Sur l’argumentaire du garde des Sceaux, voir ASH n° 2738 du 23-12-11, p. 20.