C’est un livre dur, violent, dans lequel on plonge pour une apnée de 380 pages et dont on émerge avec un sale goût dans la bouche. Celui de l’eau de mer où se noient les clandestins, des odeurs fétides de leurs squats, du sang des bagarres. Depuis ses 14 ans, Mehdi Sayed – un pseudonyme – brûle les frontières à la recherche d’une vie meilleure. Dans Ma vie de clandestin en France, il raconte dix-sept années d’errance dans une France inhospitalière, d’expulsions vers sa Tunisie natale et de retours clandestins. Entraîné dans le trafic de drogue, exploité par des employeurs sans vergogne, berné par de faux amis, emprisonné, rejeté de partout, accro au Subutex… Une vie de damné, dans laquelle seules quelques figures émergent, lumineuses et furtives : la famille d’un hôtelier, qui l’héberge quelques nuits, une policière souriante, une avocate impliquée… Puis Virginie Lydie, une journaliste à la recherche de témoignages de sans-papiers, la première à qui il parle de « cette boue qui a emporté [sa] vie ». Depuis sa dernière expulsion, en août 2009, Mehdi Sayed a tenté à plusieurs reprises de retraverser la mer. Pas poussé par l’espoir : voilà longtemps qu’il ne croit plus à la régularisation qui lui permettrait de retrouver son fils, né en France d’une mère française. Plutôt pour quitter à tout prix la Tunisie, les souvenirs d’une enfance malmenée, la honte d’être rentré plus misérable qu’il n’était parti, et l’angoisse d’une existence vouée au vide. « Il paraît que beaucoup de gens, en Europe, ne comprennent pas pourquoi les Tunisiens partent alors qu’ils ont fait la révolution et que, maintenant, ils devraient plutôt penser à construire, écrit-il dans l’épilogue de son récit. Mais c’est pour ça qu’ils partent. Pour gagner de quoi construire. Avec quoi tu construis quand tu n’as rien ? »
Ma vie de clandestin en France. 17 ans d’errance dans la France d’en dessous – Mehdi Sayed, avec la collaboration de Virginie Lydie – Ed. La Boîte à Pandore – 16,90 €