En décryptant les conséquences des politiques de l’immigration menées ces dernières années, la Cimade veut démontrer l’échec d’une logique. « Celle qui vise à réprimer l’immigration irrégulière au prétexte de favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière, et qui a montré son inefficacité sur les deux plans », a expliqué Jérôme Martinez, son secrétaire général, lors de la présentation de l’« état des lieux 2012 » de l’association (1). Une logique, détaille la Cimade, caractérisée par la mise en place d’un « arsenal sécuritaire » et de pratiques dissuasives à l’entrée et au séjour des étrangers en France. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, s’est d’ailleurs félicité du résultat : le nombre de premiers titres de séjour est passé de 189 455 en 2010 à 182 595 en 2011, soit une baisse de près de 4 % (2).
« Les dernières réformes ont durci l’immigration familiale, réduit les hypothèses de régularisation et augmenté les obstacles dans les procédures », précise Marie Hénocq, responsable de la commission « migrants » à la Cimade. Problèmes d’accès aux guichets, exigence excessive de pièces justificatives, refus d’enregistrement infondés… Autant de barrières qui limitent l’accès aux droits et précarisent le statut des étrangers. Et l’association s’attend à un durcissement des pratiques depuis que le ministre de l’Intérieur a annoncé son intention de continuer à faire baisser les chiffres de l’immigration légale. Déjà, « la loi de finances pour 2012 a introduit un changement de culture pour le droit au séjour, souligne Marie Hénocq. Il faut désormais s’acquitter d’une taxe de 110 € pour une demande de régularisation », partie non remboursable du montant total du droit de visa… Sans compter que « l’obsession de la fraude » altère aussi les procédures de demande d’asile.
Pour les reconduites à la frontière, la politique du chiffre conduit en outre à des pratiques « à la limite de la légalité », ajoute Gérard Sadik, responsable de la commission « asile », comme le montrent plusieurs condamnations récentes de la France par la justice européenne. Dernière décision de poids : l’arrêt du 19 janvier de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui condamne la France pour avoir placé, avec leurs parents, deux enfants en bas âge dans un centre de rétention (voir ce numéro, page 19). Certes, ses conséquences sont, selon Gérard Sadik, à mesurer avec prudence : « La CEDH dit qu’il n’y a pas de base légale au placement des enfants en rétention, alors que le Conseil d’Etat avait justifié jusqu’alors qu’ils ne faisaient qu’accompagner des adultes. La France peut combler ce vide juridique en décidant que l’on peut éloigner un enfant du territoire et le placer en centre de rétention [ce qui poserait néanmoins un problème de compatibilité avec la Convention internationale des droits de l’enfant] ou bien privilégier des solutions alternatives, comme le prévoit la “directive retour”. » En attendant, la Cimade espère bien que les magistrats s’empareront de cette décision.
Dans un contexte qui contribue à stigmatiser les étrangers, l’intégration tend, par ailleurs, à être présentée comme un « problème insoluble », regrette la Cimade.Elle apparaît comme « une injonction, au lieu d’être présentée comme une dynamique d’échange entre les étrangers et la société d’accueil ». Ainsi, les conditions d’accès à la nationalité française (dont le taux a chuté de 30 % en un an) se sont durcies. Depuis le 1er janvier 2012, les étrangers voulant être naturalisés doivent attester d’un niveau de français équivalent à celui d’un élève en fin d’année de 3e. Une exigence qui exclut ceux qui n’ont pas pu être scolarisés dans leur pays d’origine. L’intégration « est devenue une condition et la langue française un outil de sélection ».
A l’approche des échéances électorales, la Cimade veut interpeller les candidats à l’Elysée et les élus sur ses 40 propositions pour « une politique d’hospitalité » rendues publiques en juin dernier. Parmi ses idées-forces : mettre en place une procédure unique de demande d’asile avec droit au travail, rendre exceptionnel le placement en rétention administrative et interdire celui des familles et des personnes vulnérables, attribuer un visa de plein droit à toutes les personnes pouvant se prévaloir du droit au respect de la vie privée et familiale. « Nous voulons montrer qu’il est possible de retourner le logiciel à l’œuvre depuis plus de 30 ans », précise Jérôme Martinez, qui espère « populariser les questions d’immigration pour ne pas les réduire aux arguments électoralistes et les clivages gauche-droite stériles ».
(1) Migrations. Etat des lieux 2012 – Disponible sur