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Les collectivités territoriales et l’Etat au pied du mur

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La réforme de l’Etat sur les territoires a conduit à opposer le département à la région. Deux modèles d’organisation cheminent désormais en parallèle, conduisant à un imbroglio des politiques publiques. Pour sortir de l’impasse, les acteurs de tous les bords politiques en appellent à une organisation différente adaptée aux spécificités locales.

Depuis 2009, la liste des départements ayant engagé des recours contre l’Etat n’a cessé de s’allonger. D’abord circonscrite à l’insuffisance des compensations des prestations transférées – revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d’autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH) –, la contestation s’est étendue à l’ensemble des compétences décentralisées. En 2010, le conseil général du Val-de-Marne engageait ainsi quatre recours contre l’Etat : deux pour le manque de financement de la mesure d’accompagnement social personnalisé des majeurs protégés (MASP) et des nouvelles compétences issues de la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance; deux autres pour l’insuffisance des compensations des dépenses liées aux transferts au conseil général des personnels techniques des collèges et de ceux de la maison départementale des personnes handicapées. Un département rural comme la Saône-et-Loire estime l’ardoise de l’Etat en sa défaveur à 400 millions d’euros depuis 2003, tous transferts confondus! Au total, 6 milliards d’euros manqueraient dans les caisses des départements.

Au contentieux économique, s’ajoute le flou persistant sur la répartition des compétences entre un département promu chef de file de l’action sociale et une région qui n’a cessé d’être mise en avant. La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 (1) n’a fait que renforcer l’opacité de la situation. Un de ses articles oblige les régions et les départements à signer un nouveau type de schéma de programmation, le schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services (SOCMS). Or les conseillers territoriaux, ces nouveaux élus hybrides siégeant à la fois dans le canton et dans la région, dont la première mission était de faire adopter ce schéma, sont restés dans les cartons. Face au tollé des élus, François Fillon annonçait, le 7 octobre dernier, que la définition de leurs territoires d’élection était reportée au second semestre 2012, soit après l’élection présidentielle. Et le 17 novembre, le Sénat enfonçait le clou en se prononçant à une large majorité pour leur suppression pure et simple.

Comment en est-on arrivé là ? Pour Robert Lafore, professeur de droit public et directeur de l’institut d’études politiques de Bordeaux, deux modèles d’organisation très distincts co­habitent aujourd’hui. D’un côté le couple Etat-département, né de la Troisième République, qui fait de la collectivité départementale l’échelle de mise en œuvre de l’action sociale, de l’autre le triptyque intercommunalité-région-Etat, plus conforme aux exigences européennes. « Faute de pouvoir faire disparaître l’ancien modèle d’organisation, on a alors superposé des niveaux d’administration avec un effet de concurrence entre les niveaux, de complexification du système sans solution. » Résultat ? Alors que les services de l’Etat et l’administration territorialisée sont les deux faces d’une même pièce, des réformes semblant s’ignorer les unes les autres se sont empilées sur les bureaux des fonctionnaires. D’où la tentation d’introduire aujourd’hui des « cavaliers » dans ce système, explique Robert Lafore : « On ne change pas vraiment la règle, mais on y apporte des modifications dont on attend qu’elles obligent les acteurs à se recaler d’eux-mêmes, sans savoir comment ils le feront ni s’ils le feront de façon uniforme. » C’est le cas de la loi du 16 décembre 2010, avec la création d’une dizaine de grandes métropoles susceptibles de reprendre les compétences d’action sociale jusqu’alors confiées aux départements. Ou encore avec l’obligation pour les communes de s’inscrire dans une intercommunalité promue collectivité territoriale de plein exercice (2) avec le risque de créer des entités parfois si puissantes qu’il ne resterait plus au département qu’à leur déléguer ses compétences. « Une stratégie du coup de pied dans la fourmilière », décrypte Robert Lafore.

Dans toutes les strates de l’action sociale, les dénonciations ont fait place au réalisme. « La fonction de chef de file de l’action sociale, dévolue aux département depuis la seconde loi de décentralisation de 2004, apparaît compromise », résume Hubert Allier, directeur général de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) (3). Et de faire remarquer que, moins de un an après la promulgation de cette loi, apparaissaient les programmes interdépartementaux d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie (PRIAC), adoptés par les préfets de régions, puis, en 2010, les agences régionales de santé (ARS) qui instauraient une nouvelle organisation. « Aujourd’hui, cette notion de chef de file passe plus par des relations personnelles que par des relations institutionnelles. Pour les associations, elle apparaît par ailleurs très insuffisante, car l’usager a besoin d’être pris en charge dans sa globalité et pas seulement à partir de compétences dévolues. »

Stéphane Troussel, premier vice-président du conseil général de Seine-Saint-Denis, chargé de l’habitat, n’est pas loin d’être de cet avis. « Ce terme de chef de file n’est presque plus le problème, explique-t-il. Ce n’est pas d’être reconnu chef de file qui a révolutionné le rôle du département en matière d’action sociale, et finalement le jeu des acteurs locaux. C’est le transfert des trois grandes allocations universelles que sont l’APA, la PCH et le RSA, dont le conseil général est désormais le seul responsable. Dans le RSA par exemple, notre rôle se situe d’abord dans l’articulation entre les uns et les autres, plutôt que dans la construction de la réponse en matière d’insertion. » Pour l’élu, si la machine s’est grippée, c’est en raison de la « perte de confiance » qui s’est installée entre l’Etat et les collectivités ces dernières années. « La déloyauté dont l’Etat a fait preuve dans les transferts financiers ne nous permet plus d’envisager l’avenir sereinement en matière d’action sociale. Nous savons que nous entrons dans une période, longue peut-être, d’argent public rare, c’est pourquoi il faut absolument sortir de cette relation! »

Des CCAS optionnels ?

Du côté des communes, on regarde le déplacement des préoccupations de l’Etat avec appréhension. Une proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, déposée le 4 août dernier par le sénateur (UMP) Eric Doligé à la demande du président de la République et qui devrait être discutée en séance publique le 15 février prochain (4), propose aux communes, sans distinction de taille, de dissoudre leur centre communal d’action sociale (CCAS). Selon ce texte, elles pourraient alors soit reprendre en direct les missions du CCAS, soit transférer leurs compétences en matière d’action sociale vers les intercommunalités. Pour Claude Gascard, vice-président du CCAS de Champigny (Val-de-Marne) et trésorier de l’Unccas (Union nationale des CCAS), c’est la consternation. « Non seulement cette proposition va à l’encontre de la nécessité d’encourager les maires à prendre à bras le corps les problématiques sociales, mais, plus grave, elle reflète une méconnaissance des réalités de l’action sociale locale et ignore l’impossibilité juridique pour les communes de gérer en direct les structures médico-sociales ou d’aide à domicile. » De fait, le CCAS ayant seul cette compétence, sa dissolution obligerait la commune à déléguer à des opérateurs privés la gestion des équipements concernés. Un tel scénario représenterait pour l’Unccas « un désengagement des collectivités territoriales dans un secteur où elles sont historiquement très présentes et y apportent les valeurs et obligations du service public. »

Sur le terrain, c’est l’imbroglio. Les nouveaux outils de programmation introduits par la réforme générale des politiques publiques ont brouillé les anciens repères sans pour autant les effacer. Bruno Delaval, directeur de l’Uriopss Nord-Pas-de-Calais, observe une sujétion des professionnels à la commande publique depuis l’avènement des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et des appels à projets. « Si vous ne signez pas de CPOM, vous n’existez plus ! Les associations sont passées d’une logique de contrat partenarial fondé sur la subsidiarité des politiques publiques à une logique de contrat d’adhésion. Il ne reste plus aux acteurs associatifs qu’à avaler leur chapeau et à réfléchir jusqu’où il leur est possible de s’engager quand ils ne sont pas d’accord avec la finalité politique du contrat ! » En témoignent aussi les relations ombrageuses entre les conseils généraux et les agences régionales de la santé. Pierre Guillaumot, directeur délégué à l’offre de santé de l’ARS de Franche-Comté, reconnaît que la mise en place de son institution a été « très brutale » et que « les conseils généraux ont pu chercher leur place dans cette nouvelle organisation au plan régional ». Il n’empêche, après la définition d’une nouvelle carte régionale de l’organisation des soins, adoptée contre l’avis unanime des quatre conseils généraux de la région, le statu quo s’est installé. « Il n’y a eu aucun mouvement des conseils généraux pour venir rencontrer ensemble l’ARS et discuter des politiques à mettre en œuvre. Pas plus qu’il n’y a eu de travail interdépartemental sur les politiques médico-sociales », déplore-t-il en regrettant ce blocage. Son partenaire du conseil général du Doubs, Etienne Petitmengin, directeur général adjoint des solidarités, dément pourtant toute idée de guerre de tranchées. « Au démarrage, quelqu’un de l’ARS est venu nous voir en nous demandant de ne pas avoir peur du changement, se souvient-il. Mais les instances régionales posent tout de même un problème d’interlocuteur départemental ! Au temps des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, il était possible d’avoir des discussions franches entre représentants de l’Etat et des départements. Aujourd’hui, force est de constater que nous n’avons pas encore retrouvé les modes d’organisation permettant un dialogue de professionnels sur les politiques publiques. » Le constat se vérifie partout, abonde Roland Giraud, directeur général adjoint du pôle des solidarités du conseil général du Pas-de-Calais, évoquant l’existence de chevauchements de responsabilités jusque dans la commande publique. « Si les départements ne s’investissent pas comme éléments régulateurs de l’organisation, ça va être le savant désordre dans le jeu des acteurs. Et l’ARS aura tout à y perdre ! », prévient-il.

Le 22 novembre dernier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) jetait un pavé dans la mare en rendant un avis particulièrement alarmiste sur la situation. Dans un rapport sur Les missions et l’organisation de l’Etat dans les territoires, l’organe consultatif de la République invitait l’Etat à retrouver « une vision prospective de la société » (voir encadré, page 32). Constatant les dysfonctionnements sur les territoires, le CESE recommandait de « s’appuyer davantage sur les collectivités locales » et demandait solennellement une « suspension temporaire » de la révision générale des politiques publiques. « Cette réforme focalise des critiques convergentes, cause des souffrances parmi les personnels, induit des réductions de moyens et des fermetures de services publics, préjudiciables pour tous les usagers. Nous pouvons difficilement croire que l’Etat et la puissance publique restent sourds à l’expression de la société civile organisée qui assume sa responsabilité de vigie et d’alerte », indiquait à cette occasion la rapporteure Jacqueline Doneddu (CGT) au nom de la section de l’aménagement durable des territoires.

Pour autant, de l’aveu de nombreux acteurs, la crise a le mérite d’avoir mis à bas toutes les certitudes. Dans la recherche d’une nouvelle forme de gouvernance sociale et médico-sociale, la situation pourrait même, selon certains, représenter une occasion en obligeant à recomposer de nouveaux équilibres locaux. « Il est évident qu’on n’échappera pas à une clarification dans l’exercice des compétences territoriales. En même temps, on voit que différents modèles d’organisation sont envisageables et qu’il est possible de sortir enfin de l’uniformité telle que notre pays l’a connue », anticipe Philippe Yvin, directeur général des solidarités du conseil général de Seine-Saint-Denis. Selon lui, aucun schéma ne serait à rejeter a priori. Certaines grandes agglomérations pourraient, par exemple, avoir des compétences plus larges dans le domaine social. Dans d’autres départements plus ruraux, le conseil général conserverait en revanche un leadership très important. Le point commun de ces organisations ? « Dépasser l’accumulation des procédures gestionnaires et penser les politiques de solidarités en fonction d’un contrat territorial de développement durable », répond l’élu francilien.

L’idée d’une contractualisation des politiques publiques n’est pas nouvelle. Depuis 1988, par exemple, les pactes territoriaux d’insertion permettent aux différents acteurs départementaux de la lutte contre l’exclusion de s’engager dans des conventions. La politique de la ville en a même fait son outil de référence avec les contrats urbains de cohésion sociale, qui réunissent autour de l’Etat et du maire l’ensemble des partenaires du territoire (conseil régional, conseil général, bailleurs sociaux, caisses d’allocations familiales, associations, entreprises) afin d’engager un programme pluriannuel d’actions.

Une logique de projets ?

On estime aujourd’hui que 25 départements sont engagés dans une contractualisation englobant conseil général, agglomérations, intercommunalités ou pays en fonction d’un document stratégique global. A l’image du Pas-de-Calais, où une démarche, conduite depuis 2007 par le conseil général et les intercommunalités, vise à l’élaboration de contrats territoriaux de développement durable. Dans ce département de 900 communes, où l’intercommunalité est très structurée, le développement de la contractualisation est porté par des maisons départementales, implantées sur les bassins de vie, qui constituent autant de lieux de réflexion et de conception des politiques publiques. 44 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont conclu avec les intercommunalités un contrat couvrant l’ensemble des interventions du département (solidarité, infrastructures, développement local). « La contractualisation permet, par sa coconstruction, de dépasser la logique de gestion des dispositifs et de développer de nouveaux projets conduits collectivement. C’est particulièrement vrai dans le champ social, où la réflexion permanente sur l’évolution de l’offre de services s’élabore non plus à l’échelle centralisée mais dans les territoires avec les partenaires et s’illustre ensuite dans des contrats », explique Fabrice Rigoulet-Roze, directeur général des solidarités du conseil général du Pas-de-Calais. Dans cette culture du projet, aucun budget fixe n’est alloué par territoire. Seul le besoin commande. De même, le département a mis en place un dispositif dvaluation continue de la mise en œuvre des politiques publiques. « D’un point de vue politique, nous allons complètement à contre-courant des évolutions administratives. Au moment où l’Etat se désengage des territoires et porte ses services à l’échelle de la région, nous faisons le choix inverse d’un service public local dans lequel le département devient l’acteur incontournable des EPCI », résume Fabrice Rigoulet-Roze.

L’idée d’une liberté d’organisation des collectivités territoriales s’opposant à « la tradition d’un Etat unitaire » dénoncée par Jean-Jacques de Peretti, conseiller d’Etat et maire (UMP) de Sarlat (Dordogne), dans son rapport sur la clarification des compétences des collectivités territoriales (5). semble ainsi faire son chemin. L’Assemblée des départements de France en appelle à un acte III de la décentralisation et prépare un « manifeste de la démocratie territoriale » qui devrait être soumis aux candidats à l’élection présidentielle. « Les collectivités locales ont une connaissance affinée de leur territoire due à des relations de proximité avec les citoyens, les forces sociales et économiques: une richesse, un patrimoine utile à l’élaboration des politiques publiques », insiste comme en écho le CESE.

L’ÉTAT VERTEMENT MIS EN QUESTION PAR LE CESE

Suspendre la réforme générale des politiques publiques. Balayer les agences diverses et variées qui ont fleuri ces dernières années. Mettre fin à l’opposition entre régions et départements nourrie à grands renforts de répartition de compétences. Le récent rapport du conseil économique, social et environnemental (CESE) (6) apporte un zéro pointé retentissant à la réorganisation de l’Etat dans les territoires. Sèchement, l’organe consultatif de la République souligne qu’il est « primordial de rétablir l’intérêt général au cœur des interventions de l’Etat ».

Dans une copie entièrement réécrite par le CESE, l’Etat est sommé de « fédérer autour d’un projet de société », d’« assurer une fonction de développeur », d’« organiser son action autour d’une vison prospective de la société » et de « clarifier les responsabilités des collectivités territoriales ». Quant aux politiques mises en œuvre, elles ne peuvent que viser au « développement humain durable et à l’accès de tous aux droits fondamentaux », à l’image de la lutte contre la pauvreté « qui doit demeurer un impératif national » inscrit dans la durée. « Un pays qui compte parmi les plus puissants de la planète ne peut rester sans réaction efficace face à l’augmentation du taux de pauvreté et à la paupérisation croissante de sa population », tacle le CESE.

Le conseil invite également à organiser « rapidement » une évaluation des réformes mises en œuvre dans le cadre de la révision générale des politiques publiques « pour réorienter le sens et le contenu des politiques publiques à la hauteur des exigences sociales, économiques, environnementales et de celles liées aux effets de la crise ».

Enfin, le CESE dénonce les réformes fiscales qui « ont réduit l’autonomie financière des collectivités locales ». Afin de sortir de cette situation, il préconise la création d’un pôle financier public et de fonds régionaux « mobilisant les différentes institutions financières pour soutenir l’appareil productif et les investissements dans les territoires ».

Le camouflet est d’autant plus sévère que le président du CESE n’est autre que Jean-Paul Delevoye, maire (UMP) de Bapaume (Pas-de-Calais) et ancien ministre de la Réforme de l’Etat dans les deux gouvernements de Jean-Pierre Raffarin (2002 à 2004).

Claudy Lebreton : « l’Etat jacobin est totalement dépassé »

Tous les scénarios d’une réorganisation de l’Etat dans les territoires sont ouverts, estime Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF) et président (PS) du conseil général des Côtes-d’Armor. Pourvu qu’ils soient démocratiques et que le sens de la décentralisation soit posé.

Comment analysez-vous la crise aiguë de la décentralisation ?

Alors que nous allons célébrer le 2 mars prochain les 30 ans des premières lois de décentralisation, il faut tout d’abord reconnaître que notre démocratie fonctionne mieux grâce aux collectivités territoriales. Ce modèle, construit pas à pas grâce à l’engagement des élus locaux sur les territoires, a néanmoins besoin d’un nouveau souffle, en raison notamment de la crise économique et financière d’une ampleur inégalée à laquelle notre pays est confronté.

C’est d’ailleurs plus sûrement à une crise de sens que nous faisons face. Le modèle économique constitué depuis des siècles, l’organisation de la finance, l’organisation sociale sont remis en cause. Nous sommes à un stade où il faut penser une nouvelle organisation conjuguant l’emploi, les ressources, l’écologie et le « vivre ensemble ». Et, pour cela, inverser ce credo du « penser global, agir local » en « penser local, agir global » parce que les solutions viennent de plus en plus des territoires.

Le problème n’est-il pas que des conceptions différentes du rôle de l’Etat s’affrontent ?

Je dirais plutôt que c’est la notion globale de puissance publique, Etat et collectivités, qui est en cause. C’est si vrai que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou la Banque centrale européenne (BCE) enjoignent aux Etats de repenser l’organisation de leurs territoires et de leurs collectivités, estimant qu’elle est source de dépenses et de fiscalité superflues. Pourtant, si depuis 30 ans, la décentralisation s’est développée dans plus de 150 nations du monde, c’est bien la preuve que l’action publique est efficace dans la proximité! Tout ce qui fait le quotidien, le logement, le transport, l’école, la culture, le sport, le social se construit sur les territoires. Avec l’évolution de la démocratie locale, plus aucune politique nationale n’est possible dans notre pays sans le concours des collectivités territoriales. Sait-on, par exemple, que le budget des collectivités territoriales, avec 220 milliards d’euros, sera pour la première fois supérieur aux recettes nettes de l’Etat en 2012 ? Cela signifie qu’un équilibre entre l’Etat et les collectivités territoriales a été atteint, qui nécessiterait une co-construction politique dans laquelle la négociation, au sens noble du terme, serait la règle. Au lieu de cela, nous sommes en phase de reconcentration des pouvoirs.

C’est ainsi que vous analysez la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010…

Il convient à ce sujet de rappeler un élément de droit. La Constitution française reconnaît l’existence de trois niveaux de collectivités territoriales : la commune, le département et la région. Cette organisation est le fruit de notre histoire institutionnelle. Or que voit-on aujourd’hui ? Que les deux échelons les plus attaqués sont la commune et le département. La loi du 16 décembre 2010 va jusqu’à ranger le département aux côtés des communautés d’agglomérations, alors même qu’en droit public la communauté n’est pas une collectivité territoriale! En clair, comme la France est restée le seul pays à ne pas avoir osé fusionner les communes de façon autoritaire, le législateur en 2010 a mis en avant l’intercommunalité, puis a franchi un cran supplémentaire en évoquant la fusion des communes au sein de cette instance et, sur le même principe, la fusion des départements entre eux (7). La philosophie qui porte ce texte montre à l’évidence que, lorsque le fruit sera mûr, l’adhésion se transformera en l’obligation. De deux choses l’une. Soit on considère qu’il y a trop de niveaux et on propose la fusion des communes ou la suppression des départements ; mais dans ce cas, un référendum doit être organisé. Soit on privilégie, comme je le souhaite, l’approche réformiste.

Quelle réforme ferait consensus chez les élus ?

En premier lieu, il faut sortir de cette tradition de l’Etat jacobin totalement dépassée. Beaucoup d’élus régionaux ou départementaux, de droite comme de gauche, sont acquis à l’idée d’une organisation différente selon les spécificités locales. Peut-on, par exemple, traiter la question des départements de la même façon dans le Rhône avec une communauté d’agglomération au budget supérieur à celui du conseil général, et dans la Creuse ?

Pour l’heure, il est prioritaire de clarifier les niveaux de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales. Donnons aux régions la santé, l’université, la politique agricole, les fonds européens, et une partie du pouvoir de légiférer en adaptant les lois-cadres aux spécificités de la région. Et faisons du département le territoire à taille humaine capable d’accompagner les collectivités locales et de fédérer autour des politiques de développement territorial durable. Il nous faut ensuite une grande réforme de la fiscalité passant par une réforme de l’impôt national. En France, la part de l’impôt sur le revenu dans le budget de l’Etat est la plus faible d’Europe, soit 50 milliards d’euros sur 384 milliards de recettes, la plus grande part provient de la TVA et de taxes diverses (150 milliards). A budget identique, une idée serait de diminuer la part de la TVA et d’augmenter celle du contribuable en l’affectant différemment afin que tout citoyen puisse contribuer au financement des politiques publiques dans la mesure de ses moyens. Certains, en retour, recevraient beaucoup au titre de la solidarité.

Enfin, organisons la démocratie en aidant à l’engagement et en favorisant les aménagements du travail afin de garantir aux élus locaux, qui ne comptent pas leur temps, de véritables conditions d’exercice de leur mandat.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. P.

Notes

(1) Voir ASH n° 2687 du 17-12-10, p. 16.

(2) La loi du 16 novembre 2010 prévoit en effet l’élection au suffrage universel des représentants de ces regroupements de communes.

(3) lors des XXIIIes journées techniques de l’Andass, les 14, 15 et 16 septembre 2011, à Bobigny.

(4) Voir ASH n° 2721 du 26-08-11, p. 6.

(5) Voir ASH n° 2725 du 23-09-11, p. 10.

(6) Quelles missions et quelle organisation de l’Etat sur les territoires ? – Disponible sur www.cese.frVoir ASH n° 2734 du 25-11-11, p. 10.

(7) La loi du 16 décembre 2010 prévoit la possibilité pour les départements, associés le cas échéant avec une région, de fusionner leurs assemblées dans une nouvelle collectivité unique. De même, la métropole, qui concerne des zones urbaines de plus de 500 000 habitants, a vocation à se substituer aux collectivités préexistantes (communes, communautés et conseil général).

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