Un an et demi après son adoption, la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (1) est « insuffisamment et inégalement appliquée sur le territoire ». C’est ce qui ressort du premier rapport d’application de la loi que les députés Guy Geoffroy (UMP) et Danielle Bousquet (PS) ont présenté, le 17 janvier, à la commission des lois de l’Assemblée nationale (2).
De façon générale, les députés regrettent que les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes soient peu formés à cette problématique. Cette remarque vaut surtout pour les juges aux affaires familiales (JAF) pour lesquels aucune formation systématique n’a été effectuée alors même qu’ils sont chargés de la mise en œuvre de l’ordonnance de protection, mesure phare de la loi.
Applicable depuis le 1er octobre 2010, l’ordonnance de protection vise à stabiliser temporairement, pour une durée de quatre mois au maximum, ou pendant toute la procédure de divorce ou de séparation de corps, la situation juridique et matérielle de la victime en garantissant sa protection et en organisant provisoirement sa séparation avec l’auteur des violences. Pour les députés, si cette procédure est « globalement satisfaisante », elle demeure « encore peu utilisée ». En effet, d’après une enquête menée par la chancellerie après de 122 tribunaux de grande instance, sur la période allant du 1er octobre 2010 au 1er mai 2011, 584 ordonnances de protection ont été délivrées sur un total de 854 demandes (soit 68,4 %). Malgré tout, ces résultats sont « encourageants » dans la mesure où, en 2008, seules 469 demandes d’éviction du conjoint violent avaient été adressées aux tribunaux. Et, soulignent les rapporteurs, « de l’avis des professionnels consultés (magistrats, avocats, associations…), la marge de progression est encore importante ». Principal obstacle à sa mise en œuvre : l’administration de la preuve. En pratique, les personnes qui sollicitent une telle mesure n’apportent aucune preuve des faits allégués, mais se contentent de faire état du dépôt de mains courantes, qui, rappellent les députés, n’ont aucune valeur juridique. En outre, relèvent les élus, le refus de délivrance d’une ordonnance résulte souvent du désistement de la victime. Les juridictions convoquent en effet souvent l’auteur et la victime à une audience commune, ce qui dissuade cette dernière de faire valoir ses droits. Et ce, alors même que l’article 515-10 du code civil permet d’auditionner les parties de façon séparée. Guy Geoffroy et Danielle Bousquet invitent donc les tribunaux à utiliser plus souvent cette disposition.
En outre, le délai moyen qui s’écoule entre la saisine du JAF et la délivrance d’une ordonnance est de 26 jours, un délai « trop long » pour les députés, qui rappellent que cette mesure est censée répondre à l’urgence. Aussi demandent-ils, « pour le bon fonctionnement de la procédure, de réduire le délai moyen de délivrance ».
Par ailleurs, l’ensemble des professionnels concernés jugent la durée de l’ordonnance de protection « insuffisante » (quatre mois) car elle est « trop courte pour assurer la stabilisation juridique de la situation de la victime ». Une durée que les rapporteurs proposent donc de porter à six mois.
Les députés notent que le délit de violences psychologiques, introduit par la loi du 9 juillet 2010 à l’article 222-14-3 du code pénal, est difficile à mettre en œuvre car, selon les acteurs de terrain, « les éléments constitutifs du délit ne sont pas clairs » et la preuve est une fois encore difficile à apporter. Sur ce dernier point, certains magistrats auditionnés suggèrent de professionnaliser les personnels chargés de délivrer les certificats médicaux, notamment au sein des unités d’urgences médico-judiciaires, certificats qui appuient, entre autres, la demande d’ordonnance de protection. En outre, afin de mieux apprécier les conséquences psychologiques des violences subies, ils préconisent de collaborer plus étroitement avec des psychiatres et des psychologues spécialisés.
Si la gestion de la main courante semble plus satisfaisante, « la notion de “différend conjugal” sert encore fréquemment à qualifier des situations de violences au sein du couple pour éviter le dépôt de plainte et réguler les statistiques de la criminalité en fonction des instructions reçues », constatent Guy Geoffroy et Danielle Bousquet. Or, insistent-ils, « la voie pénale doit demeurer la principale réponse aux situations de violences conjugales, la sollicitation d’une ordonnance de protection ne devant pas être vue comme pouvant s’y substituer ». L’ordonnance de protection doit « être comprise comme la première étape de la procédure judiciaire » et, à ce titre, peut donc précéder le dépôt d’une plainte ou l’accompagner, explicitent les députés.
(2) Rapport d’information n° 4169 sur la mise en application de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants – Guy Geoffroy et Danielle Bousquet – Disp. sur