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La CEDH condamne la France pour le placement d’enfants en bas âge en centre de rétention administrative

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Dans un arrêt rendu le 19 janvier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour avoir placé, avec leurs parents en situation irrégulière, deux enfants en bas âge dans un centre de rétention administrative (CRA), dans l’attente de leur expulsion. Considérant que le centre, bien qu’habilité à recevoir des familles, était inadapté aux enfants, les juges ont en effet décidé que la rétention administrative des enfants violait plusieurs articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Cet arrêt va à l’encontre de la politique de la France qui consiste à recourir quasi systématiquement à la rétention administrative des mineurs migrants accompagnés.

Les faits sont les suivants : Vladimir et Yekaterina Popov sont arrivés en France dans les années 2000 pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes au Kazakhstan du fait de leur appartenance à la communauté russe. En août 2007, après l’échec de leur demande d’asile et conformément aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ils ont été transférés pour une durée de 15 jours vers le centre de rétention administrative de Rouen-Oissel avec leurs deux enfants, âgés alors de moins de 6 mois et de 3 ans.

Pour la CEDH, cette décision de mise en rétention des enfants viole tout d’abord l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). Les autorités françaises « n’ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants » d’un tel enfermement (angoisses, graves répercussions psychiques) compte tenu de leur âge et de la durée de détention. Si cette durée « n’apparaît pas excessive en soi, [elle] peut être ressentie comme infiniment longue » par les enfants en raison de l’inadaptation à leur présence des infrastructures disponibles dans la zone « familles » du centre (1), ont estimé les juges européens. Ces derniers ont en revanche rejeté les allégations de violation de la convention pour les parents.

La Cour déplore également qu’aucune solution alternative à la rétention administrative – telle que l’assignation à résidence ou dans une chambre d’hôtel, plus adaptée aux enfants – n’ait été recherchée. « Le système français ne leur a donc pas garanti, de manière suffisante, le droit à la liberté » énoncé à l’article 5 § 1 de la convention. De plus, contrairement à leurs parents, les enfants n’ont pas eu la possibilité de faire examiner la légalité de leur détention devant les juridictions françaises. En effet, la loi française « ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention, relève la CEDH ; ainsi, les enfants “accompagnant” leurs parents tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer le recours garanti à leur parent ». En l’espèce, les deux enfants n’ont en effet fait l’objet ni d’un arrêté préfectoral d’expulsion, ni d’un arrêté prévoyant leur placement en centre de rétention administrative, deux documents qui peuvent être contestés en justice. En ce qui concerne les enfants, la Cour a donc conclu à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention).

Les juges européens ont aussi considéré qu’il y avait eu, à l’égard de toute la famille, violation de l’article 8 de la convention qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Pour la Cour, « l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut se limiter à maintenir l’unité familiale […]. Les autorités doivent mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d’enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale ». C’est pourquoi, selon elle, « en l’absence de tout élément permettant de soupçonner que la famille allait se soustraire aux autorités, la détention, pour une durée de 15 jours, dans un centre fermé, apparaît disproportionnée par rapport au but poursuivi », à savoir la lutte contre l’immigration clandestine.

Au final, la CEDH condamne la France à verser aux requérants 10 000 € pour dommage moral et 3 000 € pour les frais de justice.

[CEDH, 19 janvier 2012, requêtes n° 39472/07 et 39474/07, Popov c/France, disp. sur http://goo.gl/z0iwa]
Notes

(1) La Cour relève que l’aménagement des CRA habilités à recevoir des familles dépend de la volonté de chaque chef d’établissement, notamment concernant la mise en place d’infrastructures adaptées à de jeunes enfants. Si, au centre de Rouen-Oissel, les familles sont séparées des autres détenus, seuls des lits d’adultes en fer sont disponibles, dangereux pour les enfants, qui ne bénéficient par ailleurs d’aucune activité ou espace de jeux et sont exposés à la dangerosité de la fermeture automatique des portes de chambre.

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