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Soutiens de famille

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A Paris, le centre parental Aire de famille héberge des jeunes couples en grande précarité de la naissance de leur enfant à ses 3 ans. Ils y bénéficient notamment d’un soutien psychologique et d’une aide à l’insertion. Une structure expérimentale qui pourrait séduire le secteur de la protection de l’enfance.

En 2004 s’ouvrait, au cœur du XIXe arrondissement de Paris, le centre parental Aire de famille (1). Huit ans après, les hypothèses de travail avancées par Brigitte Chatoney, la fondatrice de la structure, semblent largement confirmées. Cette ancienne éducatrice spécialisée formée à la thérapie familiale et à l’haptonomie (voir repère ci-contre) était persuadée que l’accueil de couples dans des situations à forts risques psychosociaux dès avant la naissance de leur bébé ainsi que le soutien de la présence du père auraient des effets protecteurs bénéfiques à la santé psychique et physique de l’enfant. « Les 36 enfants que nous avons accompagnés depuis l’ouverture se sont tous bien développés sur le plan psychomoteur et sur celui du langage. Ils sont plutôt vifs, éveillés et, à l’âge de 3 ans, sont scolarisés sans problème en école maternelle, souligne-t-elle. La sortie du centre parental n’a d’ailleurs nécessité aucune mesure de protection en dehors du milieu familial. » Ce qui relevait d’un pari improbable quand on connaît les critères d’admission: les futurs parents sont âgés de 18 à 25 ans, n’ont pas ou ont insuffisamment de soutien familial, et sont dans une situation de précarité sociale et psychologique extrême. Mais ils expriment l’envie d’assumer leurs responsabilités en couple, de fonder une famille et perçoivent le besoin d’être accompagnés. Sur les 86 jeunes adultes suivis depuis 2004, un seul est retourné à la rue à l’issue de la prise en charge, mais 90 % se sont bien insérés. « Ils sont sortis de la galère et de la survie pour aller vers un projet de vie », résume Frédéric Van der Borght, psychologue-psychothérapeute clinicien et responsable du centre parental.

Rue Riquet, les locaux d’Aire de famille ne sont pas identifiables de l’extérieur. Dès la porte franchie, les travailleurs sociaux s’activent dans le hall d’entrée. Outre le responsable, l’équipe comprend deux éducateurs spécialisés, une assistante de service social, une éducatrice de jeunes enfants et une psychologue­psychanalyste à mi-temps, et est renforcée par de nombreux stagiaires. L’un prépare un café pour une jeune mère, l’autre répond à un appel téléphonique, un troisième met en place une animation. Au mur, des portraits noir et blanc des parents accompagnés de leur bébé; au sol, un tapis de jeux parsemé de jouets; au centre de la pièce, deux canapés confortables… « L’idée maîtresse est que, lorsqu’ils entrent, les résidents se sentent bien, qu’ils aient envie de se poser, dans un lieu convivial et agréable », commente Julien Khayat, éducateur spécialisé.

Parfois, le besoin d’être materné

C’est le cas de Stéphanie P., enfoncée dans l’un des canapés. Ce matin, elle est venue se faire chouchouter à l’atelier bien-être organisé par Aline Duru, éducatrice de jeunes enfants. Stéphanie, 28 ans, était enceinte de huit mois et demi et vivait à l’hôtel avec son compagnon quand l’assistante sociale de sa maternité lui a parlé d’Aire de famille. Aujourd’hui, son petit Rudy a 2 ans et, même s’il est encore difficile pour la jeune femme d’avoir une vision positive de sa situation, elle avoue qu’elle va « un peu mieux » depuis qu’elle est accompagnée. Aline Duru lui enduit les mains de crème et l’invite à parler de son fils tandis qu’Anne-Eva Ghesquière, éducatrice spécialisée stagiaire, lui propose de participer à un cours d’aquagym. « Stéphanie vient nous voir presque tous les jours parce qu’elle a besoin d’être maternée. Elle a beau être recroquevillée sur elle-même, elle n’est pas seule. Elle est au milieu de nous pour que l’on s’occupe d’elle, que l’on prenne de ses nouvelles. La régression est parfois nécessaire ici pour retrouver ensuite une position de père-mère à la maison », décrypte Julien Khayat.

La structure Aire de famille, encore « expérimentale », qui a rejoint depuis ce 1er janvier la toute nouvelle association Estrelia (2), est financée à 40 % par l’Etat via la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, et à 60 % par l’aide sociale à l’enfance. Ce qui explique que la prise en charge du séjour des résidents soit de six mois renouvelables jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Stéphanie P. et son compagnon devraient donc prochainement quitter la structure… Sauf que, ce matin, la jeune femme est aussi venue annoncer à l’équipe qu’elle était de nouveau enceinte. L’accueil de cette famille pourra donc être reconduit. Avec son ami et leurs deux enfants, ils continueront à être hébergés dans l’appartement à bail glissant d’Aire de famille dont ils sont sous-locataires, à bénéficier du soutien psychologique et des séances d’haptonomie et de toutes les activités que propose le centre parental: ateliers cuisine, séjours de vacances, sorties culturelles, jardin potager, etc. « Ce n’est pas plus mal car trois ans, c’est court pour parvenir à une réinsertion, précise Frédéric Van der Borght. Mais il est quand même nécessaire qu’une limite soit fixée pour que les couples aient des défis à dépasser. Nous sommes très contenants, mais nous confrontons aussi les résidents à la réalité de la vie. » C’est aussi pour favoriser l’autonomie des résidents qu’Aire de famille a opté pour un hébergement en appartements éclatés dans les XVIIIe et XIXe arrondissements. « S’ils étaient dans un cocon et que nous les “lâchions” soudainement, ces jeunes adultes pourraient se retrouver à la rue ou à l’hôtel, avec tous leurs problèmes qui recommenceraient », affirme le psychologue.

Un public adressé par les partenaires

Les couples sont orientés à Aire de famille sur décision de la cellule Ademie (Action départementale envers les mères isolées avec enfants) du département de Paris. Sa responsable, Catherine Gorce, précise : « Ils nous sont adressés par les maternités, les services de protection maternelle et infantile, ceux de l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse ou encore les clubs de prévention. Selon les éléments socio-éducatifs et en fonction de leur adhésion au contrat d’accompagnement, nous validons leur prise en charge ainsi que son renouvellement – en tenant compte de leur histoire de vie mais aussi de la dynamique qu’ils mettent en place pour que leur situation avance. »

Morgane S., 19 ans, et Thomas P., 21 ans, ont quant à eux connu l’association grâce à un reportage télé : « On a sauté de joie. Cela faisait des mois que j’écrivais à la Croix-Rouge française, au Secours populaire, à la Mairie de Paris et aux centres maternels pour trouver une solution d’hébergement pour nous deux et le bébé. Il était hors de question que Thomas ne soit pas à mes côtés. Je commençais à désespérer », raconte Morgane tout en caressant les cheveux de Ryan, 7 mois. Les deux jeunes gens se fréquentaient depuis deux ans quand Morgane est tombée enceinte. Quand sa mère l’a appris, elle l’a mise à la porte, si bien que Morgane est partie vivre sa grossesse chez la famille de Thomas. « Mais j’avais besoin de ma liberté de femme et d’un chez moi pour élever mon fils », raisonne la jeune mère. A six mois de grossesse, et avec un fort besoin de soutien moral, elle emménage avec son petit ami dans un des studios-relais d’Aire de famille, avenue de Flandre. Dans son cas comme dans celui d’autres mères du centre parental, l’accompagnement a permis la prévention des risques de prématurité, la mise en place de l’allaitement malgré une réticence initiale, une guidance haptonomique pré et postnatale et, en ce qui la concerne, un soutien pendant le baby blues.

Julien Khayat rend visite à Morgane et Thomas tous les jeudis, en alternance avec Aline Duru, l’autre référente de ce couple indépendant et complice. L’éducateur spécialisé vient pour discuter de tout et de rien ou pour les aider à remplir des dossiers. Thomas, par exemple, a pour projet de se lancer en tant qu’autoentrepreneur. Et, quand Ryan sera à la crèche, Morgane aimerait reprendre des études en esthétique. « Je travaille avec eux pour dépasser leurs problèmes, les troubles et séismes de leur vie personnelle, décrypte Julien Khayat. C’est un travail de fond sur la question du sens de la vie. Nous ne nous limitons pas à une question, nous ouvrons le champ des possibles. Et nous tendons l’oreille à tout. Certes, cela demande une grande disponibilité, mais donne à ces jeunes le sentiment d’être accueillis dans leur globalité. Nous leur rappelons ainsi leur valeur. » Les travailleurs sociaux d’Aire de famille transmettent donc bien plus que des « techniques » : « Si les parents ont besoin de savoir changer une couche, ils sont évidemment là, mais l’important, c’est la relation avec le bébé quand on le change, rappelle Frédéric Van der Borght. Aire de famille est une structure éducative, mais il ne faut pas sous­estimer l’importance des soins psychiques. Ainsi, les problèmes de budget cachent généralement des carences affectives, négliger sa santé est souvent le signe d’un sacrifice ou d’un manque d’estime de soi… »

Retour rue Riquet, où Vincent C., 30 ans, Marianne R., 28 ans, et leur nourrisson de 1 mois ont rendez-vous avec le psychologue clinicien. Ce couple qui vivait dans des conditions d’hébergement très précaires a trouvé Aire de famille sur Internet, alors que Marianne était sur le point d’accoucher. Pour Vincent, il était urgent de trouver une solution – « pour que ma famille ne se désintègre pas ». « La psychiatre de la maternité préconisait, faute de mieux, l’orientation vers une unité mère-enfant, se souvient Frédéric Van der Borght, mais Vincent insistait pour rester avec sa copine. Nous sommes conventionnés pour 15 couples et nous étions complets [faute de place, Aire de famille ne peut répondre qu’à une demande sur trois, Ndlr], mais ils ont été persévérants et la situation s’est débloquée. Ils sont un peu plus âgés que les autres résidents et ne rentrent pas a priori dans nos critères d’entrée, mais leur motivation était forte. La santé fragile de la maman et la précarité du logement pouvaient, en outre, avoir un impact sur l’enfant. » Arrivé il y a peu, quelques jours après la naissance de Léo, le couple est encore dans les cartons et les démarches administratives. Les travailleurs sociaux ont accompagné dans l’emménagement, la découverte du quartier, l’inscription à la protection maternelle infantile, etc.

La motivation plus fragile des pères

Si Vincent semble bien investi dans l’association, ce n’est pas le cas de tous les pères. En effet, bien qu’Aire de famille ait construit son projet autour de la place du père dans l’éducation de l’enfant, il reste compliqué de motiver les hommes à participer aux activités. « C’est à nous de trouver les moyens adaptés pour qu’ils s’impliquent davantage, déclare Frédéric Van der Borght. Pour l’instant, nous proposons et ils disposent, rien n’est forcé. Il s’agit d’un public très fragilisé, qui n’est pas toujours fiable pour les rendez-vous, mais ce n’est pas très grave car nous ne nous définissons pas comme un espace de consultation mais comme un lieu de séjour. » Hélène Artigny, stagiaire EJE, raconte : « Quand je vais chercher les petits à la crèche, je croise beaucoup de papas. J’en profite pour faire le chemin avec eux et échanger. Cela permet de créer un premier lien. » Et, parfois, d’évoquer des problèmes de couple : « Comme tout un chacun, il arrive à nos résidents de traverser des crises. La différence est qu’ils sont très jeunes et souvent en couple depuis de longues années, sans pour autant avoir vécu ensemble. Ils ont parfois envie d’autre chose. Attention! Notre but n’est pas qu’ils restent ensemble coûte que coûte mais qu’ils soient bien. » Rarement mariés, les jeunes parents vivent la signature du contrat avec le centre parental comme une première reconnaissance légitime de leur couple. Cela peut aussi leur faire peur. Dans le cas où ils expriment l’envie de périodes de décohabitation, les professionnels peuvent les accompagner. « Ces situations de crise sont aussi une opportunité pour avancer, analyse Frédéric Van der Borght. En ce moment, cela concerne deux familles. Je les encourage au moins à une séparation psychique (qui ne signifie pas une rupture) car parfois ils sont un couple de manière fusionnelle et non deux personnes distinctes. Cela peut leur permettre de se retrouver par la suite sur de meilleures bases. Toujours est-il que nous continuerons à accompagner les deux parents séparés pour que le père et la mère occupent leur place auprès de l’enfant. » « Sauf quand les difficultés rencontrées par ces parents dans leur parcours de vie chaotique rend impossible le fait d’assurer leur rôle protecteur, indique Catherine Gorce, de l’Ademie, qui peut intervenir au coup par coup pour rappeler aux jeunes les engagements qu’ils ont pris. Mais je conçois qu’il n’est pas facile d’apporter à son enfant ce qu’on n’a pas reçu soi-même. »

Pérenniser l’expérience

« Aujourd’hui, le centre parental a acquis suffisamment de maturité pour sortir du statut expérimental et être pérennisé par un statut propre dans le champ médico-social », estime le responsable d’Aire de famille. En effet, la structure a développé un mode innovant d’accompagnement qui en fait un véritable laboratoire de recherche, producteur de savoirs dans les domaines de la protection de l’enfance et de la prévention précoce prévenante. De plus en plus de centres maternels s’intéressent à la place du père, et deux structures – Envies de famille à Nantes et OPAL dans le Var–  se sont ouvertes en s’inspirant de cette première expérience.

Un collectif national de centres parentaux a également vu le jour il y a un an, afin « d’essaimer, de favoriser les échanges et la recherche ». Il a rédigé une proposition de modification de l’article 22 du code d’action sociale de la famille (loi du 5 mars 2007). Celle-ci offrirait la possibilité non contraignante aux départements qui le souhaitent, dans le cadre de leur mission de protection de l’enfance, de redéployer un nombre de places affectées aux centres maternels, aux pouponnières, aux maisons d’enfants à caractère social (MECS) et aux placements familiaux pour la création de places de centre parental, où l’enfant serait accueilli avec ses deux parents, épaulés dans leurs responsabilités parentales et protectrices. Une proposition soutenue par le député Etienne Pinte (UMP), président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, qui avait rencontré Aire de famille lors de la préparation de son rapport sur l’hébergement d’urgence et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, et se dit « impressionné par la démarche innovante » de cette structure, tant en termes de soutien moral que d’insertion sociale et professionnelle.

L’HAPTONOMIE

Plusieurs membres de l’équipe d’Aire de famille sont formés à l’haptonomie. Fondée par le Néerlandais Frans Veldman au milieu du XXe siècle, cette « science de l’affectivité » consiste à développer sa capacité de présence par le contact tactile, permettant une rencontre de l’autre respectueuse et rassurante. Elle se révèle être une approche pertinente avec des personnes très vulnérables et carencées affectivement, et trouve son champ d’application tant dans les périodes pré et postnatale que dans les soins de puériculture, le développement affectif de l’enfance à l’adolescence, la psychothérapie et les domaines du handicap, de la maladie chronique et de la fin de vie.

GÉNÈSE
Ne pas exclure un parent d’emblée

Au début des années 1990, Brigitte Chatoney, chef de service en centre maternel, est interpellée par une jeune mère qui lui explique que son couple a éclaté depuis qu’elle est dans l’établissement. La professionnelle s’interroge: « N’est-ce pas contradictoire d’être dans la protection de l’enfance et d’exclure d’emblée le père de l’accompagnement ? » Elle se rend également compte que certaines aides sociales favorisent la monoparentalité et qu’une bonne partie des jeunes femmes hébergées en centres maternels sont en couple et le cachent, au détriment de l’intérêt supérieur de leur enfant. « Il est prouvé que la séparation des deux parents a des conséquences chez les enfants et que le père, trop souvent exclu, a intrinsèquement une fonction de protection », affirme Brigitte Chatoney. Si elle est consciente que l’on ne peut pas obliger un couple à s’aimer et à rester ensemble pour le bien-être de leur progéniture, elle estime qu’il est possible de mettre en place un service qui aiderait les couples qui le souhaitent à durer. Mais de l’idée à l’ouverture d’Aire de famille, il faudra de la patience et de la ténacité, l’Etat et la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé se renvoyant la balle pendant des années. Ce n’est qu’en 2000 que Ségolène Royal, ministre de la Famille, s’intéresse au projet et demande aux deux administrations de se mettre d’accord. Aire de famille naît, avec pour ambition de permettre aux jeunes parents de trouver une base de sécurité fiable externe puis interne, un logement pérenne, des repères dont ils manquent, en les aidant à s’inscrire dans un parcours à la fois personnel et familial et à trouver des personnes et des lieux ressources sur lesquels s’appuyer par la suite.

Notes

(1) Aire de famille : 59, rue Riquet – 75019 Paris – Tél. 01 40 38 11 08 – www.airedefamille.frVoir ASH n° 2397 du 4-03-05, p. 31. Lire aussi Protéger l’enfant avec ses deux parents, de Brigitte Chatoney et Frédéric Van der Borght (Ed. de l’Atelier, 2010).

(2) Présidée par Jacqueline Pradel et dirigée par le psychiatre Jean Ebert, Estrelia est issue de la fusion de trois associations concernées par la petite enfance et la parentalité : Horizons, Aire de famille et Libellule et papillon. Brigitte Chatoney en est la vice-présidente.

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