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Refaire surface

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Il y a quelques mois, Gilles Cervera, psychologue et formateur, dressait dans nos colonnes un sombre tableau de l’état d’esprit des salariés du secteur social et médico-social (1). Mais au-delà du constat, assez largement partagé par les professionnels, que faire ? Gilles Cervera propose ici son programme d’actions, nettement moins consensuel.

« Après avoir tiré une énième fois la sonnette d’alarme ici même, bien sûr que le train n’a pas stoppé ! Les très nombreuses réactions de lectrices et de lecteurs sont pertinentes.

D’abord dire que leur empathie est entière mais inversement proportionnelle au niveau dans la hiérarchie. Autrement dit, plus on approche du sommet, plus on relativise ma dramatisation, et plus on est soutier, les mains dans le cambouis clinique, plus mes expressions font écho.

Rien n’émanant du politique, je nomme les administrateurs des associations. Les délégués du personnel, quant à eux, disent répéter sans cesse ce constat de massacre mais dans le vide : la démocratie d’entreprise, y compris dans le social, se révèle un faux nez.

Passons à autre chose mais en restant dans le sujet.

Chapitre deux : pour que la technostructure ne décime pas l’éducation spécialisée, il faut à tout prix refaire surface. Et ce que notre culture médico-sociale a fabriqué en bientôt 60 ans, l’adapter à la nouvelle donne.

Comment ?

A plusieurs.

Avec quelle méthodologie ?

De tout près et de très loin, les deux en même temps, avec des messagers qui circulent entre les deux extrémités.

Chapitre trois : reprendre donc la question collectivement et que chacun y mette du sien, les experts en novlangue issus de l’industrie, passés par les écoles de gestion, les garants de la loi quotidienne, usuelle, les soutiers et les usagers. Ce serait cela, la loi 2002-2 non seulement bien pensée mais appliquée !

Composer avec les batteries de lois ne serait plus confier leur déclinaison interne aux qualiticiens et leur contrôle de conformité aux cadres ni aux évaluateurs mais aux usagers d’abord.

Ça ferait bizarre, faut voir !

Je prétends par exemple que les personnes âgées ont en général de la clairvoyance et sauraient aménager leur cadre et créer de la communauté. Pour cela, une première solution : débarrasser leur chambre de la télé, ou couper le son et l’image dans la grande salle d’activité de 14 à 20 heures par exemple.

Des trucs simples !

Vont arriver et arrivent déjà dans les établissements ou services des personnes adultes, expérimentées, titulaires souvent d’un bac + 7 ou 8, et bien entendu que l’infantilisation recommandée par les process de bientraitance (“elle a pris son thé la p’tite dam ?”) va faire tache ! Ce serait bien que les usagers reprennent l’usage et la main, vraiment.

Pour la gestion, je prétends que les salariés et les usagers, y compris les mineurs en âge de discernement, ont suffisamment intégré la crise, la restriction budgétaire, pour que les directeurs généraux délèguent aux services eux-mêmes non seulement les bonnes idées de dépenses mais les équilibres entre investissement et fonctionnement. Je prétends qu’il y aura plus de couettes, davantage d’argent pour les loisirs et moins de leasings, lesquels profitent avec les deniers publics aux marchands de crédit.

J’ai volontairement donné au départ des exemples triviaux, terre à terre.

Le médico-social doit être d’abord un champ d’expérimentation.

CPOM (2) ou pas, chaque acteur (et l’usager en premier) est un citoyen. Plus l’entreprise va s’abstraire de cette obsession, plus elle risque d’être éliminée à la sortie.

Terminés les produits financiers, reconnaissons que c’est incroyable que la gestion de la misère ait généré des profits. C’est quand le médecin est malade que le malade meurt, c’est quand les services vacillent que les populations déshérentes sortent des radars. Le handicap, la souffrance, la délinquance ont aussi leurs experts : les handicapés, les délinquants, etc.

Chapitre quatre : c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.

Réimportons la pédagogie institutionnelle en tant qu’outillage de base. Renforçons la périphérie, là où le service se rend, où la rencontre a lieu. Débarrassons-nous des charges inutiles, des surfaces coûteuses, des toits et des gouttières à réviser, le plus possible. Créons pour les usagers de la mobilité, du déplacement, du désenfermement, de l’institution non pas virtualisée mais adaptée à l’époque du virtuel. Les Sessad, les placements au domicile, le soin ambulatoire, les contrats éducatifs locaux se créant et s’autodétruisant sont les meilleures solutions articulant la réclamation individuelle (“je suis mieux dans ma peau quand je reste dans mon appartement”) et la nécessité du collectif. Celui-ci, en dernier ressort, reste adapté pour les polyhandicaps sévères, les personnes grabataires, les soins palliatifs ou les personnes âgées désorientées. Parfois aussi pour contenir certaines psychoses ou faire payer quelques crimes et délits graves.

C’est le point politique central, cette rotule entre l’individu et le collectif.

Chapitre cinq : il y a à travailler sur le versant syndical. Oui, il faudra aussi faire des concessions, voire refonder les conventions collectives.

Si on veut faire évoluer le champ, les nouveaux métiers doivent être valorisés, les échelles de salaire revisitées: il n’est pas normal que celui qui torche le cul soit aussi mal traité par sa fiche de paye.

Pas normal que l’identité professionnelle se construise défensivement, j’allais dire individuellement. La chaîne des métiers est touchée par la crise du libéralisme, travaillons sur chacun des maillons en pensant non pas le “un par un” mais l’ensemble.

Le corporatisme est un tabou supplémentaire à déboulonner. Si c’est l’honneur d’une société de traiter mieux ses malades, ses fous, ses déviants, qu’est-ce qu’on attend pour se démocratiser en interne ? Et pour ce faire, la seule et unique solution est de ne pas relancer comme c’est le cas depuis 20 ans au moins un poker menteur infini. Les représentants des salariés et ceux des employeurs se moquent tranquillement du sort des usagers, lesquels payent l’addition cash.

Le médico-social attend sa révolution. Entre personnes engagées, non pas dans la défense de leurs doigts de pied, mais dans la générosité.

Si cette question du handicap, de la déviance, ou de la maladie n’est traitée que par le néolibéralisme, de la marchandisation qui s’ensuit nous aurons été les complices. Si nous reprenons ces questions à notre compte, sans mimer les entreprises concurrentielles répondant à des appels d’offre comme des marchands de voitures, alors, peut-être… »

Contact : gilles.cervera@voila.fr
Notes

(1) Voir ASH n° 2725 du 23-09-11, p. 28.

(2) Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens.

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