« Pourquoi les éducateurs sont-ils si discrets ? Pourquoi les médias semblent-ils ne pas s’intéresser à cette profession ? On parle des professeurs, des psychiatres, des infirmières… Tout le monde peut se représenter ce que fait un infirmier, mais un éducateur ? A la coiffeuse qui demande quelle est notre profession, nous répondons, un peu gênés, “éducateur”. La gêne ne vient pas de ce métier que nous avons choisi, que nous aimons. Non, elle vient du fait que nous savons qu’il va falloir se justifier, expliquer, voire argumenter. “C’est quoi ? Ah bon ! Ah non, moi je ne pourrais pas.” Et systématiquement, voilà que les autres clientes s’en mêlent. “Moi, je connais un enfant, le petit de la voisine, qui ne me semble pas tout à fait normal… et blablabla.” Donc nous nous écrasons sur votre chaise et nous saisissons à la hâte le premier magazine qui nous tombe sous la main…
Si elles savaient, ces dames, comme le métier d’éducateur est vaste. Ainsi, on peut être éducateur de jeune enfants, moniteur-éducateur, éducateur technique, moniteur d’atelier, aide médico-psychologique, éducateur spécialisé, mais spécialisé en rien de particulier. Si vous obtenez le diplôme tant convoité d’éducateur spécialisé, vous pourrez travailler dans le vaste champ de la protection de l’enfance, en action éducative en milieu ouvert, en maison d’enfants à caractère social, à l’aide sociale à l’enfance, en centre éducatif renforcé. Vous pourrez aussi travailler auprès d’adultes handicapés en établissement et service d’aide par le travail, en institut médico-éducatif, en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, ou encore intervenir auprès d’enfants ou d’adultes atteints d’autisme… Mais vous pourrez aussi travailler dans l’insertion, en psychiatrie et même devenir mandataire judiciaire…
Alors voilà, vous venez d’obtenir votre diplôme d’éducateur spécialisé. Vous avez fait vos études très sérieusement et vous trouvez enfin un emploi. En voici un de disponible : comme par hasard, il s’agit d’un poste d’éducateur auprès d’adolescents qui présentent des troubles de la conduite et du comportement, en internat et assez loin de la ville. Pas de problème, il faut bien commencer un jour, et puis vous êtes passionné, volontaire et dur à la tâche.
Lors de votre premier jour, nom de nom !, vous ne vous attendiez pas à ça. Un plat vole au-dessus de votre tête et un collègue tente de vous rassurer : le jeune vous teste, ou plus exactement, il teste vos limites. Rapidement, vous entendrez toutes sortes de discours, et notamment que l’école vous a appris les bases et qu’à présent vous allez affiner vos connaissances… Mais de qui se moque-t-on ? Vous allez les affiner au détriment de qui ? Les enfants seraient-ils des sujets d’expérimentation ?
Dans Le Petit Robert, la définition de spécialiste est la suivante : “Personne qui s’est spécialisée, qui a des connaissances approfondies dans un domaine déterminé et restreint.” Si on ne se spécialise pas, alors pourquoi ne pas changer de nom ? Mais si on se spécialise, alors les trois ans d’études sont nécessaires. La spécialisation ne signifie pas l’enfermement mais l’assurance d’approfondir ses connaissances dans un domaine particulier dans l’intérêt de tous. Bien sûr, il va de soi qu’une année supplémentaire signifie une reconnaissance au niveau du salaire. C’est le minimum. Rappelons que dans la fonction publique, un éducateur spécialisé en début de carrière perçoit 1 300 € et 2 250 € en fin de carrière. S’il bénéficie de la convention collective de l’enfance inadaptée, le début de carrière est à 1 500 € pour 2 630 € en fin de carrière.
Actuellement, les trois années de formation recoupent quatre domaines, pour un total de 1 450 heures. Il s’agit d’une formation professionnelle qui accorde autant d’importance à la pratique qu’aux données théoriques. L’étudiant effectue ses stages dans les secteurs les plus divers possibles et il est souhaitable qu’il puisse, dans ce cadre, articuler les concepts théoriques à la pratique.
Pourtant, et bien que les formations soient de grande qualité, il n’en reste pas moins qu’un concept ne peut être que mental. Les données théoriques demandent à être intériorisées avant d’être utilisées. Certaines nous semblent plus digestes que d’autres, ce qui dépend, en partie, de notre histoire personnelle. Certains d’entre nous sont plus à l’aise avec des adolescents en difficulté qu’avec des enfants atteints d’autisme, d’autres très à l’aise avec l’écrit, d’autres moins… Et tout cela n’est pas figé dans le marbre.
Il serait souhaitable de laisser une chance à la spécialisation. Prenons l’exemple d’un éducateur qui souhaite travailler en pédopsychiatrie. L’approche est tout à fait particulière, tant au niveau de l’accompagnement éducatif que pour le travail en collaboration avec l’hôpital. Il est préférable que l’étudiant ait une bonne connaissance des pathologies avec lesquelles il sera amené à travailler comme de la culture médicale. Bien sûr, il aura abordé la question pendant la formation et il se sera intéressé aux différents cours qui parlaient de tout ceci. Peut-être même aura-t-il écrit son mémoire sur le sujet. Malgré tout, il manquera de l’huile à ses rouages. Il en manquera toujours, dites-vous ! C’est certain, mais pourquoi ne pas lui laisser une chance d’approfondir un thème par des cours centrés sur un secteur en particulier : le handicap, la psychiatrie, l’insertion, l’aide sociale à l’enfance…
Entendons-nous bien, ces dernières années, de nombreux efforts ont été faits par les établissements pour rendre plus clair le statut des différents éducateurs. Aujourd’hui, dans un grand nombre d’établissements, l’éducateur spécialisé a un rôle de coordination. Le temps où les aides médico-psychologiques, les moniteurs-éducateurs et les éducateurs spécialisés faisaient le même travail semble s’éloigner. Pourtant, à mon avis, la question a été pensée sans suffisamment de concertation avec les instituts de formation. En ce qui me concerne, la légitimité de l’éducateur spécialisé ne se pose pas en termes de coordination d’équipe mais de spécialisation. Pour moi, il serait souhaitable qu’il soit à même de réfléchir à la mise en place de stratégies éducatives efficientes, que ce soit dans le domaine de l’autisme, de la psychiatrie, de l’insertion, des troubles de la conduite et du comportement…
J’ai commencé à travailler à 19 ans, avant de rejoindre la formation 22 ans plus tard. J’ai donc une longue expérience du travail éducatif dans des établissements divers et variés. Je sais ce qui m’a manqué et, à présent, j’ai le sentiment qu’il manque toujours l’essentiel : la mise en place de stratégies cohérentes en lien avec la recherche. Je ne vois donc pas l’éducateur spécialisé comme un sous-chef de service mais plutôt comme un acteur qui participe à la réflexion pour la mise en place de stratégies efficientes et anime une équipe dans le secteur de la recherche fondamentale.
Les supérieurs hiérarchiques représentent la loi symbolique, le soutien et le cadre sans lequel tout pourrait s’effondrer. Une redéfinition des rôles permettrait une reconnaissance réconfortante indispensable à l’accompagnement des usagers. La formation, la recherche, la collaboration étroite entre les établissements et les instituts de formation sont, à mon sens, les seules voies possibles pour soulager un peu les équipes face à la lourde tâche qui est la leur. »
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