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« Avec la RGPP, on a l’impression d’une démarche au coup par coup »

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Réforme « repoussoir », cheval de Troie du néolibéralisme, « logique purement comptable »… Lancée en 2007 par le gouvernement Fillon, la révision générale des politiques publiques (RGPP) n’a pas bonne presse. Complexe et menée sans concertation ni transparence, elle reste difficile à appréhender, avec ses 500 mesures annoncées. Les explications de François Lafarge, chercheur à l’ENA et spécialiste de l’évolution de l’Etat.

Les résultats de la révision générale des politiques publiques sont-ils en phase avec ses objectifs ?

Ce bilan est assez discuté. Certaines institutions se montrent critiques, comme la Cour des comptes ou le Parlement. Le gouvernement est plus positif. La principale difficulté consiste à savoir précisément de quoi l’on parle. En effet, la RGPP ayant changé d’objectif en cours de route pour se recentrer principalement sur les dépenses de fonctionnement et la réorganisation de l’administration, les retombées économiques ne pouvaient être que plus faibles. L’autre problème est le manque de lisibilité des économies réalisées. A l’origine, le gouvernement avait annoncé que la RGPP permettrait d’économiser un peu plus de 7 milliards d’euros de 2009 à 2011. Ce montant me semble un peu surévalué. S’il y a eu des efforts de clarification dans le sixième rapport du Conseil de modernisation des politiques publiques, l’agrégation des chiffres disponibles est encore loin d’atteindre le montant annoncé. D’autant que, depuis, le gouvernement a remonté la barre des économies prévues à 15 milliards d’euros à l’échéance 2013. Il affirme en outre que les réformes « lourdes » de structures administratives auraient permis d’éviter 44 milliards d’euros de dépenses. Ce qui n’est pas vérifiable actuellement.

Justement, en ce qui concerne la réforme de l’administration, quels sont les résultats ?

C’est dans ce domaine qu’ils sont les plus nets, avec les réorganisations des administrations centrales et de l’administration territoriale de l’Etat ainsi que le recentrage de l’Etat sur ses missions. On peut également inclure dans le périmètre de la RGPP la décision de non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, même si, à l’origine, il s’agissait d’une initiative politique distincte. Il faut cependant souligner qu’un certain nombre de réformes présentées sous l’étiquette RGPP devaient de toute façon être menées en raison d’obligations de l’Union européenne. Au total, 374 mesures labellisées RGPP avaient été actées en 2007 et 2008 par le Conseil de modernisation des politiques publiques. Nous en sommes aujourd’hui à 500. Malheureusement, il n’existe pas de liste de toutes ces mesures avec leur état d’avancement. On ne dispose pas d’une vision d’ensemble. Cela aurait pourtant été dans la logique de la RGPP, qui demande aux administrations d’entrer dans une démarche de performance.

Et sur l’administration territoriale de l’Etat ?

Dans ce domaine, et comme d’ailleurs sur la nécessité de réformes en général, il existait à l’origine un relatif consensus politique, au moins sur l’état de la situation. Mais la méthode employée pour la RGPP y a mis fin. Cette réforme de l’administration territoriale de l’Etat a donc été réalisée par des mesures venues d’en haut, sans concertation. ­Certains ont voulu y voir un retour de l’Etat par la fenêtre après qu’il en fut sorti par la porte de la décentralisation. Il faut cependant constater que la RGPP n’a pas entraîné de modification dans la répartition des compétences entre l’Etat et les ­collectivités territoriales. Il s’agissait plutôt de solder les conséquences de la décentralisation pour les administrations déconcentrées. L’Etat, au niveau régional, s’est recentré sur des fonctions de pilotage territorial et, au niveau départemental, sur l’accompagnement des collectivités territoriales.

Quel était le but initial de la RGPP ?

Il s’agissait à l’origine de passer au crible l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre par l’Etat. Cette réforme s’inscrivait dans la continuité de différents travaux sur l’état des finances publiques, notamment le rapport Pébereau paru en 2005 : rechercher des économies budgétaires dans une logique de rationalisation financière, en s’inspirant de démarches étrangères, en particulier canadienne et québécoise. Les analyses devaient porter sur les grandes dépenses d’intervention (politiques sociales, culturelles, de sécurité, de défense), où il était envisagé de réaliser des économies massives. Mais tout cela a été bouleversé puisque, finalement, la RGPP n’a pas porté sur les politiques publiques elles-mêmes mais sur la manière dont elles sont mises en œuvre.

Pourquoi ce changement de cap ?

On peut supposer que le coût politique de la RGPP s’est révélé intenable. Toucher aux dépenses d’intervention risquait d’avoir un impact négatif très fort, surtout si les propositions de coupes étaient faites par des équipes d’audit semi-privées. En France, ce type de démarche est sans doute trop éloigné culturellement de nos modes de fonctionnement.

En quoi la RGPP se distingue-t-elle d’autres réformes administratives ?

Son originalité réside dans sa méthode. Pour la première fois, une volonté de réforme s’est donné les moyens de mettre en œuvre les mesures préconisées. Cela s’explique d’abord par l’existence d’un portage politique au plus haut niveau. Elle a été lancée en juillet 2007, dès l’installation du gouvernement Fillon. L’autre explication est qu’il s’agit de la première réforme à s’être dotée d’un appareil de suivi et de contrôle avec des chefs de projet dans chaque ministère, supervisés par les secrétaires généraux des ministères et appuyés par la direction générale de la modernisation de l’Etat (DGME). Une autre nouveauté a été le recours systématique aux cabinets de consultants privés. Des équipes mixtes ont été créées, associant des membres de cabinets d’audit et des membres des inspections générales ministérielles ou interministérielles. Cette forme d’externalisation de la réforme de l’Etat a d’ailleurs été critiquée du point de vue de sa légitimité ou, du moins, de sa pertinence.

Selon vous, la RGPP se caractérise par le manque de participation du Parlement et par une absence de transparence…

Elle a été lancée par l’exécutif, qui a toujours bénéficié d’un pouvoir discrétionnaire pour organiser le fonctionnement de l’administration. Mais cette réforme touche à tant de domaines avec tant de conséquences qu’il aurait peut-être été judicieux d’associer davantage d’autres participants, en particulier les parlementaires, qui en ont beaucoup voulu à l’exécutif de les avoir laissés sur la touche. Il aurait également été pertinent d’associer les principaux intéressés, à savoir les agents de l’Etat au travers de leurs syndicats. Bien sûr, on observe un important effort de communication et de pédagogie dans la mise en œuvre des mesures. Mais il n’intervient qu’une fois les décisions prises. Le manque de transparence constitue l’autre grand problème. Les fameux rapports d’audit réalisés sur chaque politique publique n’ont pas été publiés. On ne sait donc pas sur quelles bases la réforme fonctionne. Cela va à contre-courant de la tendance actuelle à une certaine transparence, à la communication des données et à la lisibilité de l’action publique.

Sur le fond, cette réforme ne souffre-t-elle pas d’un certain manque de sens ?

Il existe des logiques à l’œuvre dans la RGPP, notamment le souci de réaliser des économies et d’éviter la sclérose de l’administration publique, mais on a effectivement l’impression d’une démarche au coup par coup. On prête à l’historien Fernand Braudel la formule : la méthode, c’est quand on se retourne. De même, avec la RGPP, on a le sentiment que l’on tente de donner de la cohérence a posteriori à un certain nombre d’actions. Entre les grands principes d’économie et de rationa­lisation et les mesures mises en œuvre sur le terrain, il manque une étape intermédiaire.

Faut-il craindre que la RGPP constitue une avancée masquée vers un état néolibéral ?

Il est certain que le nouveau management public fait partie de la panoplie néolibérale et que la RGPP participe d’une rationalisation managériale dans l’action de l’Etat. Mais tout est une question d’intensité. Des réformes devaient de toute façon avoir lieu, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’introduire une logique néolibérale à l’état pur. Nous n’en sommes quand même pas au niveau de ce qu’ont pu connaître le Royaume-Uni ou d’autres Etats. Bien sûr, la RGPP n’est pas achevée et peut encore évoluer vers ce modèle, mais avant d’en arriver là, il reste de la marge. Toutefois, il est vrai que la RGPP se retrouve « coincée ». D’une part, on affirme qu’elle est indispensable vu l’état de nos finances et de l’administration. D’autre part, on estime qu’il s’agit du cheval de Troie du néolibéralisme au cœur de l’Etat. Une vision plus « centrée » serait sans doute préférable.

REPÈRES

François Lafarge est chercheur à l’Ecole nationale d’administration et maître de conférences associé à l’université de Strasbourg. Il a codirigé le numéro de la Revue française d’administration publique consacré à la RGPP (n° 136, 2010).

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