Dans un avis adopté à l’unanimité le 5 décembre dernier – le premier depuis sa réinstallation en septembre 2010 (1) – le Conseil supérieur du travail social (CSTS) se penche sur l’usage des informations nominatives recueillies par les travailleurs sociaux au cours de leur activité. Proposé par la commission « éthique et déontologie » du conseil, cet avis a été élaboré à l’occasion de la mise en place des services intégrés d’accueil et d’orientation en hébergement d’urgence (SIAO), qui a entraîné la création de fichiers et de logiciels ayant suscité de vives préoccupations éthiques chez les professionnels (2). Pour autant, ce document se veut « de portée générale », indique le CSTS en introduction, et concerne « toutes les situations où des remontées d’informations nominatives sont mises en jeu ». Ce qui est le cas, par exemple, pour la gestion du revenu de solidarité active, a précisé aux ASH François Roche, coordinateur de la commission « éthique et déontologie ». L’avis s’adresse non seulement aux travailleurs sociaux, mais aussi aux administrations, aux collectivités territoriales et employeurs privés, et tend à rappeler « quelques principes généraux » encadrant la collecte, le traitement et la transmission des données à caractère personnel.
Même si le logiciel ProGdis élaboré par la FNARS, majoritairement utilisé par les SIAO pour le recueil et le traitement des informations nominatives relatives aux demandes d’hébergement d’urgence et de logement d’insertion, « apporte les garanties nécessaires », « il n’empêche que l’outil ne fait pas la qualité », souligne le CSTS qui « appelle [donc] les travailleurs sociaux à la vigilance quant à leurs pratiques et au bon usage de l’outil ». Le conseil alerte également sur l’importance du rôle d’appréciation du travailleur social qui ne doit pas pâtir du renseignement de fichiers. Il observe en effet, dans le cadre des SIAO, que « l’application systématique d’une procédure formelle préalable » – en l’occurrence le renseignement par écrit d’une demande sous forme de fiche ou de dossier – « peut conduire à vider de sa substance le premier entretien qui permet d’inventorier la situation particulière des personnes ».
S’agissant de la transmission aux services de l’Etat des listes de données nominatives, l’avis du CSTS évoque le cas de plusieurs associations gestionnaires de SIAO qui ont refusé de fournir aux préfectures les états nominatifs de personnes hébergées en centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Et le conseil de leur donner raison : « d’un point de vue éthique, une association chargée d’une mission d’hébergement d’urgence, conventionnée ou non pour le SIAO, n’a pas à transmettre les données nominatives qu’elle a recueillies dans le cadre de cette mission, lorsqu’elle estime que cette transmission pourrait être directement contraire aux intérêts des personnes hébergées. En particulier, et alors même qu’elle respecte la réglementation du séjour et en informe les personnes hébergées, une telle association ne saurait, en transmettant des éléments d’identification, contribuer sciemment à l’arrestation et à la reconduite à la frontière d’étrangers en situation irrégulière. Cette pratique la mettrait juridiquement en contradiction par rapport à sa mission légale […] qui est d’organiser l’accueil et l’accompagnement de “toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale” », conformément aux articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles. Une position partagée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui, dans sa délibération du 16 novembre 2010 autorisant la FNARS à mettre en œuvre son logiciel ProGdis, énonce que « l’information relative au “titre de séjour”, qui a pour objectif de porter assistance à la personne concernée, notamment en l’informant de ses droits, ou en l’orientant vers des structures spécifiques, telles que les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, est appropriée dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune transmission nominative, ou réutilisation, contraire à l’intérêt de la personne ».
Au-delà de la question liée à la mise en place des SIAO, le Conseil supérieur du travail social entend attirer l’attention des travailleurs sociaux « sur les principes de base à respecter concernant l’utilisation des fichiers et de listes de personnes sur support informatique ». S’appuyant sur la doctrine de la CNIL, il rappelle ainsi que :
les fichiers et listes de données personnelles dont la divulgation ou l’utilisation risqueraient de porter atteinte aux droits et aux libertés doivent respecter la loi « informatique et libertés » et qu’ils doivent donc être autorisés par la CNIL ;
conformément aux valeurs du travail social et à ses références éthiques et déontologiques, tout usage d’informations nominatives doit respecter les finalités de la mission mise en œuvre et se limiter au strict nécessaire pour l’action menée avec l’usager ;
seules les personnes autorisées peuvent accéder aux données personnelles contenues dans un fichier. Il s’agit des destinataires explicitement et nominativement désignés pour en obtenir régulièrement communication et des « tiers autorisés » ayant qualité pour les recevoir de façon ponctuelle et motivée ;
les droits des usagers et la relation de confiance établie avec eux doivent être respectés. Il convient donc de recueillir, de conserver et d’utiliser l’information dans les limites de ce que l’usager connaît, autorise et confie.
Dans son avis, le CSTS indique que la direction générale de la cohésion sociale lui a proposé d’intégrer le « groupe de vigilance » sur les informations recueillies concernant les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion, qu’elle devrait installer en février. La commission « éthique et déontologie » contribuera au sein de ce groupe – auquel participeront des associations du collectif Alerte – « au choix partagé de données simples et non stigmatisantes à agréger pour une observation nationale ».
Disponible dans la docuthèque, rubrique « infos pratiques », sur
La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a donné son accord à la commission « éthique et déontologie » du CSTS « pour mettre en place une base de données recensant les lieux de réflexion éthique en travail social », a indiqué aux ASH son coordinateur, François Roche, membre du conseil en tant que personne qualifiée. Cette base de données doit permettre « aux personnes ou instances intéressées de prendre contact avec d’autres, d’échanger leurs productions et d’enrichir mutuellement leurs travaux, a-t-il précisé. La commission a en effet considéré que les travaux d’inventaire réalisés en 2008 et 2009 (185 réponses d’institutions diverses et de 36 conseils généraux employant plus de 16 500 travailleurs sociaux) constituaient une bonne référence ». Elle va donc lancer « une expérimentation de six mois au cours desquels elle va recenser les institutions menant actuellement une réflexion éthique en travail social et qui acceptent de donner un contact (nom, fonction, mail, téléphone, adresse institutionnelle) ». Sans attendre que la DGCS les contacte, les intéressés peuvent se faire connaître par courrier électronique à l’adresse particulière de la commission « éthique et déontologie » :