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Plaidoyer pour un management « bienveillant »

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Dans le secteur social et médico-social, la vulnérabilité des personnes accueillies exige un professionnalisme empreint d’humanité, souligne Jean-Michel Pirra, éducateur spécialisé en Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile). Pour lui, il importe donc de réhabiliter la bienveillance dans les pratiques de management.

« A l’heure où la bientraitance est mise en valeur dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, la nécessité de la bienveillance dans les pratiques de management semble évidente. Et pourtant…

La bienveillance n’est pas seulement l’absence de malveillance ou de maltraitance. Elle est, d’après Le Petit Larousse, une “disposition favorable envers quelqu’un”. C’est le “sentiment par lequel on veut du bien à quelqu’un”.

La bienveillance exige donc une volonté de faire du bien et un engagement personnel pour créer et entretenir notre “disposition favorable” envers tous les salariés. La bienveillance n’est pas la complaisance. Cette dernière est “une volonté d’être agréable, de rendre service”. C’est une forme d’amabilité. Elle est parfois comprise dans le sens d’une “indulgence excessive”.

La bienveillance est une attitude active qui demande le courage d’interroger ses propres pratiques et de dépasser de simples affinités pour chercher la bienveillance avec tous.

La bienveillance suppose de voir les personnes qui nous entourent, d’y être attentif et de ne pas se contenter de “passer«” à côté d’elles sans les regarder ni les voir. Elle nous incite à nous décentrer pour voir, entendre et prendre l’autre en compte. Elle conduit à une attention aux personnes. En ce sens, elle contribue à créer un climat social apaisé. Elle concerne tout le monde. Les cadres doivent s’inscrire dans cette démarche volontariste. Ils doivent chercher à l’impulser auprès de leurs équipes et fortement l’encourager. Ils ont également besoin de l’implication de leur direction dans ce sens-là. Car si la bienveillance est une démarche louable et très courageuse lorsqu’elle émane d’une personne isolée, à contre-courant de son environnement, elle doit, pour être plus efficiente, être une démarche collective.

Sans un engagement fort pour faire vivre la bienveillance au quotidien, un climat routinier s’installe, qui conduit à ne plus réfléchir son action, à ne plus reconnaître le travail de son équipe, et ainsi à sa démotivation. Il génère de la résistance au changement et une forte inertie.

L’absence de bienveillance peut mener à un épuisement professionnel des équipes mais également des cadres, notamment en lien avec l’augmentation de leur charge de travail et avec la perte du sens global de l’action. La bienveillance questionne nos pratiques et, en nous amenant à prendre du recul, elle nous aide à percevoir la globalité de notre action.

Souvent pris dans un tourbillon d’informations à gérer et à transmettre, d’urgences à traiter ou simplement dans la routine du quotidien, les cadres ont besoin de s’arrêter pour réfléchir à leurs priorités, pour gérer au mieux leur service et leur propre emploi du temps. Ils ont besoin de se poser pour questionner leurs pratiques et leur style de management. Ce questionnement est aussi important que leurs actions, qui deviennent réellement pertinentes en fonction de leur manière d’intervenir auprès des équipes. La bienveillance, à l’opposé de la complaisance, n’empêche pas de se positionner de manière claire et ferme, elle réside même, plus précisément, dans la façon de se positionner.

Etre disponible

La bienveillance, pour un responsable de service ou un directeur, repose en partie sur le fait d’être disponible pour son ou ses équipes, au moins à certains moments de la journée et ce, aussi lors d’échanges informels. La disponibilité signifie accepter d’être dérangé, dans ses priorités et dans son organisation, pour donner de la valeur aux relations humaines.

Le management est l’art de conduire les équipes à partir d’un projet de service. La bienveillance en management est une réelle prise en compte de l’autre (à la fois comme personne et comme équipe), de ses compétences et de ses limites actuelles. Il s’agit également d’intégrer les remarques des professionnels dans la mise en œuvre de ce projet.

La bienveillance exige de prohiber les critiques et de dépasser les a priori, concernant autant les salariés que les personnes accompagnées ou leurs familles. Il s’agit de passer d’un esprit de critiques à un esprit critique. Il faut passer de la critique (et du jugement) des personnes à la critique et à l’analyse des actes et des faits, en gardant à l’esprit qu’un changement est toujours possible. Les cadres ont la responsabilité d’accompagner les équipes dans ce changement d’état d’esprit. La lassitude et l’épuisement d’une équipe dans l’accompagnement d’une personne peuvent être réels et il convient de prendre en compte ces sentiments et d’accompagner son équipe. Il est parfois nécessaire, après avoir proposé de nombreux ajustements aux modalités d’accompagnement, de reconnaître ses limites et de passer le relais.

La bienveillance est une attention à l’autre, personne accompagnée ou membre de l’équipe. Elle est une prise en considération de la personne, de son ou de ses interlocuteurs. Elle suppose une écoute des personnes – ce qui ne signifie pas que l’on est d’accord ou que l’on doive accéder aux demandes –, un échange et un dialogue. Elle amène un déplacement, un autre positionnement qui consiste non pas à “savoir” ce qui est bien pour l’autre mais à échanger avec lui. En ce sens, la bienveillance contribue à une démarche participative et elle permet de prévenir des conflits.

Un indispensable travail en équipe de direction

La bienveillance vient interroger notre conception de l’homme, de l’équipe, du travail social et notre rapport à l’autorité. Comment l’équipe est-elle perçue ? Est-elle associée sur certains sujets aux décisions de la direction ? Comment un cadre manage-t-il son équipe ? Prend-il en compte les membres de son équipe, leurs compétences, leurs difficultés, leur résistance au changement ? Il est nécessaire, à un moment ou à un autre, de ménager son équipe, avec des temps de respiration, pour la conduire à changer et à tenir dans la durée.

Pour mettre en œuvre une bienveillance managériale, le travail en équipe de direction est incontournable. Il permet de se réapproprier, personnellement et collectivement, le sens et la finalité du projet de service et des actions réalisées.

Il est indispensable de trouver un lieu pour exprimer son ressenti, ses émotions, pour échanger et pour construire une réflexion sur ses pratiques professionnelles, sur l’évolution du management, des fonctions et du secteur en général. Cet espace peut se trouver à l’intérieur de l’institution, de manière plus ou moins formelle entre collègues, et/ou à l’extérieur, au sein d’associations de cadres par exemple.

Développer les temps d’analyse des pratiques professionnelles pour les cadres (dans un climat de confiance entre les participants) leur permet de questionner leurs pratiques, de redécouvrir des espaces d’actions possibles et de désamorcer certains conflits.

Certains styles de management ou certaines philosophies, comme la communication non violente par exemple, favorisent l’écoute de soi et des autres. Cette écoute active favorise la bienveillance. De même, l’écoute des équipes et éventuellement de leur sentiment d’échec dans l’accompagnement des personnes est essentielle pour les aider à dépasser la critique des personnes.

Continuer à se former par des lectures ou par la participation à des colloques permet de sortir de ses habitudes, de renouveler son regard et son approche théorique des situations professionnelles.

Enfin, la bienveillance est une démarche continue, qui n’est jamais acquise. Elle demande un engagement pour essayer de la vivre et l’humilité de reconnaître qu’on n’y arrive pas toujours… Un cadre est une personne humaine avec ses propres limites qu’il est important de connaître et de respecter.

Aujourd’hui, la bienveillance est d’une grande actualité pour mettre en exergue la spécificité du secteur social et médico-social : la vulnérabilité des personnes accueillies exige un professionnalisme empreint d’humanité. La bienveillance envers les personnes accueillies conduit les équipes à veiller à leur qualité de vie et à les associer aux projets les concernant. La bienveillance invite les cadres à être attentifs aux conditions de travail de leurs équipes, au climat social ainsi qu’à la mobilisation et au professionnalisme des salariés. C’est la qualité des relations humaines envers les personnes accueillies ainsi qu’envers les salariés qui est en jeu.

Comme le dit si bien Marie de Hennezel, dans La chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller (1), “l’attention à l’autre, la tendresse, la délicatesse, le respect, la douceur permettent à une personne de rester humaine. Le lien humain est à mettre au centre de tous soins”. Dans son livre, elle souligne l’importance du regard, de la parole et d’“être considéré comme une personne et non comme un objet de soins”.

Puissions-nous veiller sans cesse à la qualité de nos relations avec les personnes accueillies et avec les équipes. »

Contact : jm.pirra@orange.fr

Notes

(1) Editions Laffont, 2008.

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