Un demandeur d’asile ne peut être transféré vers un Etat membre de l’Union européenne où il court un risque réel d’être soumis à des « traitements inhumains et dégradants » au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. C’est ce qu’a décidé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt du 21 décembre, remettant ainsi en cause le règlement européen « Dublin II » du 18 février 2003 qui énonce les critères permettant de déterminer l’Etat membre compétent pour connaître d’une demande d’asile.
Dans les deux affaires jugées conjointement par la CJUE, des ressortissants de trois pays tiers (Afghanistan, Iran et Algérie) ont transité par la Grèce avant de se rendre au Royaume-Uni et en Irlande pour introduire une demande d’asile. Conformément au règlement « Dublin II », qui prévoit que le pays responsable du traitement de la demande d’asile est le pays de premier accueil, les autorités de ces deux pays ont refusé leurs demandes et ont décidé de les transférer vers la Grèce. Les intéressés ont alors introduit un recours à l’encontre de ces décisions, alléguant que leurs droits fondamentaux risquaient d’être enfreints s’ils étaient renvoyés en Grèce, les procédures d’asile de ce pays présentant de graves manquements en raison de la forte charge qu’il supporte en matière d’immigration clandestine. En 2010, la Grèce était en effet le point d’entrée dans l’Union européenne de près de 90 % des migrants illégaux.
La cour d’appel du Royaume-Uni et la Haute Cour d’Irlande ont alors demandé à la CJUE si, au vu de la saturation du système d’asile grec et de ses effets sur le traitement réservé aux demandeurs et sur l’examen de leurs demandes, les autorités d’un Etat membre qui doivent effectuer le transfert des demandeurs vers la Grèce (l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile conformément au règlement « Dublin II ») doivent contrôler au préalable si cet Etat respecte effectivement les droits fondamentaux. Une question à laquelle la cour répond par l’affirmative.
Pour la CJUE, le fait qu’un Etat membre soit désigné par le règlement « Dublin II » comme responsable de la demande d’asile ne constitue pas une présomption irréfragable – c’est-à-dire qui n’admet pas la preuve contraire – selon laquelle cet Etat respecte les droits fondamentaux de l’Union européenne. Les juges considèrent donc qu’il incombe aux Etats membres, juridictions nationales comprises, de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’Etat membre désigné comme responsable « lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». La Cour précise en outre que ces Etats sont chargés de vérifier si l’un des autres critères du règlement « Dublin II » permet d’identifier un autre Etat membre comme responsable de l’examen de la demande d’asile, tout en veillant à ne pas aggraver une situation de violation des droits fondamentaux par une procédure d’une durée déraisonnable.
Cet arrêt, d’importance majeure, s’inscrit dans le droit-fil de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la révision du règlement « Dublin II », proposée par la Commission européenne en 2008 (1) et actuellement bloquée au Conseil des ministres, notamment par la France.