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L’Etat Père Noël

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Chaque année, depuis plus de dix ans, resurgit une petite information sur la « prime de Noël ». Il s’agit d’une « aide exceptionnelle de fin d’année » versée à certains bénéficiaires de minima sociaux (1). D’un montant d’un peu plus de 150 € pour une personne seule, elle fait l’objet, au cours de l’automne, d’un mini-suspense. Il y a rumeurs et faux suspense car il est peu vraisemblable qu’un gouvernement revienne unilatéralement sur une aide (qui n’est pas une prestation légale) reconduite d’année en année quasiment à l’identique. Il y a toutefois des interrogations sur le montant, le champ d’application – qui sera concerné – et la date de versement. Il y a ensuite une annonce gouvernementale avec une rhétorique rituelle mêlant compassion et compréhension. Les uns soulignent le manque d’ambition, les autres signalent l’effort consenti. Actuellement, cette libéralité de Noël – un rien étrange, soit dit en passant, dans une république laïque – représente près de 400 millions d’euros, pour près de 2 millions d’allocataires (soit quelque 3 millions de personnes avec les conjoints et enfants).

Née, avec d’autres dispositions plus structurelles, en réponse au mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998, la prime (de 1 000 francs à l’origine) s’inscrivait dans une perspective de refonte de l’indemnisation des chômeurs de longue durée. Demandée et décidée en tant que geste ponctuel, à la fois pragmatique et symbolique, elle est devenue pratique habituelle. Tous les ans, des associations font monter la pression et le ministre chargé du dossier, voire le Premier ministre, répond positivement aux revendications. La prime de Noël s’est institutionnalisée sans s’instituer véritablement sur le plan légal. En termes imagés, mais correspondant à la réalité juridique, il s’agit d’un cadeau annuel de l’Etat qui, discrétionnairement, peut en établir le montant et le champ. Versée par les caisses d’allocations familiales, la mutualité sociale agricole ou Pôle emploi, cette gratification, décidée et organisée par décret, est financée par l’Etat. Celui-ci vient donc compléter une prestation qu’il a – au moins pour le RSA – décentralisée. Un temps, il a pu être envisagé que cette prime soit laissée à la libre appréciation, et au financement, des départements. Mais l’Etat Père Noël s’est alors fait sèchement rappeler à l’ordre par les départements-providence.

Avec cette aide de l’Etat Père Noël, les libéraux classiques doivent (comme pour toute dépense sociale) se retourner dans leur tombe ou dans leur lit (s’ils sont toujours en vie et intéressés par ce dossier assez technique). Mais au-delà des grands principes, il faut se demander, d’abord, pourquoi tous les allocataires de minima sociaux ne sont pas concernés. Ce n’est qu’à partir de 2009 que la prime de Noël a été étendue aux bénéficiaires de l’allocation de parent isolé, celle-ci étant intégrée au RSA nouvellement créé. Mais pourquoi les bénéficiaires du minimum vieillesse sont-ils encore à l’écart de ce cadeau de l’Etat ? On pense peut-être que les colis que distribuent généralement les villes aux personnes âgées pour les fêtes de fin d’année suffisent. Sur un autre plan, mais toujours de justice, il faut rappeler que ne peuvent bénéficier de la prime que les bénéficiaires des allocations de solidarité qui ont perçu l’une d’elles au titre du mois de novembre, ou de décembre pour les nouveaux entrants. Donc, pour ceux qui ne sont plus allocataires en octobre et le redeviennent en janvier, pas de Noël. Il faudrait peut-être dès lors envisager des primes de Pâques ou de vacances d’été…

Ironie mise à part, il y a en réalité quatre voies possibles pour l’avenir de la prime de Noël. La première, la plus probable, est que chaque année elle soit reconduite, avec des paramètres évoluant marginalement. La deuxième, la moins probable, est celle de sa suppression nette au nom de principes ou de nécessaires économies budgétaires. La troisième, souhaitée par une partie du monde associatif, est sa transformation en une prestation légale, à l’instar de l’allocation de rentrée scolaire, prévue et organisée par les textes. La quatrième, qui pourrait sembler la plus juste, est d’incorporer cette prime dans le barème des minima sociaux concernés, c’est-à-dire d’intégrer cette prime dans le montant mensuel versé aux allocataires toute l’année. Cette option supprimerait le caractère discrétionnaire et rattaché à une date de la prime. Elle la rendrait invisible politiquement. C’est pour cela, hélas, que cette perspective est irréaliste. Le risque est aussi, après avoir intégré la prime, de voir naître une mobilisation pour en réclamer une nouvelle. Le sujet est pourtant pleinement une question de meilleure organisation et structuration des droits sociaux, et non de charité collective. Mais en France on croit, semble-t-il, beaucoup à l’Etat Père Noël.

Notes

(1) Pour 2011, la prime est accordée aux bénéficiaires du revenu de solidarité active, de l’allocation de solidarité spécifique, de l’allocation équivalent retraite et de l’allocation temporaire de solidarité.

Le point de vue de…

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