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L’habitat, un enjeu pour la participation des personnes handicapées

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Longtemps empêchées de participer à la vie de la cité, les personnes handicapées se voient aujourd’hui proposer de nouveaux modes d’habitat inscrits dans le milieu ordinaire. Cette diversification du paysage résidentiel devrait favoriser une plus grande variété des choix existentiels.

Vivre avec les autres, vivre parmi les autres : une ambition légitime pour tout un chacun. Mais ce dessein a longtemps été hors de portée des personnes présentant des déficiences importantes. Celles-ci étaient retirées du milieu ordinaire, inadapté à leurs besoins, et placées dans des établissements spécialisés, souvent situés loin des lieux de sociabilité de leurs contemporains. Depuis une dizaine d’années, les mentalités et, plus encore, les législations ont évolué. L’un des objectifs majeurs de la loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est ainsi de favoriser l’intégration sociale des intéressés. Pour habiter ce monde commun, le fait de loger au sein d’un environnement porteur d’interactions sociales est un outil essentiel.

« Changer d’habitat, c’est changer de mode de vie, dans sa tête d’abord, dans son quotidien ensuite », souligne Frédéric Bauer, directeur du Centre régional d’Alsace pour l’étude et l’action en faveur de l’insertion, lors des IXes journées nationales des services pour les personnes adultes handicapées, co-organisées par l’Association nationale des centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptée (Ancreai) et le Creahi Champagne-Ardenne (1). Un nouvel habitat peut permettre à la personne d’optimiser ses compétences et d’en faire émerger d’autres. Tel est le pari du foyer d’accueil médicalisé (FAM) Les Grands Signauds, structure de 24 places implantée en pleine forêt, à 4 km du petit village de Nades dans l’Allier. Pour offrir de nouvelles perspectives d’existence et de réelles possibilités de participation sociale à des adultes souffrant d’autisme ou de troubles envahissants du développement, l’équipe a ouvert en 2004 un logement plus intégrant, car mieux intégré dans son environnement : une maison pour quatre résidents sur la place centrale du bourg de Bellenaves, commune d’un millier d’habitants à 11 km de la maison-mère.

« Nous avions créé en 1998 un outil permettant d’évaluer le niveau d’autonomie des adultes accueillis dans les actes élémentaires de la vie courante et les résultats de cette étude ont montré une évolution dynamique des personnes et l’accession de certaines d’entre elles à l’apprentissage de savoir-faire », explique Laurence Ponlévy, chef de service au FAM. Mais, du fait de l’isolement de la structure rendant difficiles les activités de socialisation, certains résidents se trouvaient stoppés dans leur progression. Or l’expérience prouve que les acquis des personnes autistes restent très fragiles s’ils ne sont pas sujets à des stimulations rapprochées. D’où l’idée d’un lieu de vie en prise directe sur le milieu ordinaire, dans lequel le quotidien fait appel à la rencontre, à l’échange et à la participation.

Le premier challenge était de faire comprendre à la municipalité et aux financeurs que, « même si les personnes accueillies sont un peu dans leur bulle, elles ont la capacité de vivre parmi les autres et ne sont pas agressives », explique Laurence Ponlévy. Un travail de longue haleine, puisque six ans ont été nécessaires pour concrétiser le projet. Intitulé centre d’apprentissage à la vie sociale, ce nouveau service accueille quatre jeunes adultes entre 28 et 40 ans – deux femmes et deux hommes – dont le potentiel sur le plan de l’autonomie et la modération des troubles du comportement laisse penser que ce mode de prise en charge peut leur être bénéfique. Sinon, la personne insécurisée par ce logement sans repères de soins a la possibilité de réintégrer le FAM – ce qui a été une fois le cas. Présents depuis l’origine pour trois d’entre eux et depuis 2005 pour celui qui a pris la succession du résident reparti au foyer, ces usagers ont créé des liens entre eux, un peu à l’instar d’une fratrie. Ils sont entourés 24 heures sur 24, 365 jours par an, par trois éducateurs, qui effectuent également chacun une nuit par semaine en complément de deux veilleurs de nuit. « Ménage, courses, soins, budget : tout est géré par l’équipe éducative et les personnes accueillies », énumère Murielle Ubaldi, monitrice-éducatrice. Scandée par la répétition des tâches du quotidien, la journée prévoit des temps individualisés le matin, quand deux éducateurs sont simultanément présents, et des activités collectives d’éveil, de socialisation et de loisirs l’après-midi. Randonnées chaque lundi avec des personnes âgées, marché le mercredi, fête de la musique, brocantes, piscine, équitation : « Quel que soit le temps, nous participons à tout ce qui est organisé à Bellenaves et dans ses environs », déclare Murielle Ubaldi. Ce fonctionnement familial semble profiter aux résidents. L’une des jeunes femmes, arrivée en 2004 sous neuroleptiques, n’en a plus eu besoin au bout de un an. Une autre, qui avait une phobie des chiens et des bruits, peut maintenant aller partout. Un jeune homme a fait des progrès de langage étonnants. Seul l’un des résidents est dans une phase de repli après avoir été mieux les premières années. Au vu de ces évolutions, le FAM compte ouvrir un deuxième centre d’apprentissage à la vie sociale dans une autre commune, qui accueillera également quatre personnes.

Une chambre à soi

C’est aussi le souci de promouvoir des modes de vie plus ouverts sur l’environnement qui a guidé l’association Le Bois l’Abbesse, à Saint-Dizier (Haute-Marne). La démarche d’envergure conduite par l’association entre septembre 2008 et novembre 2009 est partie d’une nécessité : trouver un autre hébergement pour les adultes déficients intellectuels d’un foyer de vie devant être rénové. Cela a été l’occasion de réfléchir aux moyens de leur offrir un habitat plus proche de la ville – alors que le foyer, en lisière de forêt, s’en trouve éloigné – et où ils auraient une chambre individuelle. L’association disposait déjà d’un bâtiment dans un quartier populaire un peu excentré de Saint-Dizier, où elle accueillait une quarantaine d’adultes travaillant en ESAT (établissement et service d’aide par le travail). Un jeu de chaises musicales s’est alors organisé. Les adultes d’ESAT se sont vu proposer des appartements – loués par l’association dans un immeuble HLM à deux pas d’un centre commercial, du centre social et de la maison des jeunes et de la culture – à partager à deux, trois ou quatre, selon leurs souhaits et capacités. Quant aux résidents du foyer de vie, ils ont intégré les appartements de quatre personnes laissés vacants par les travailleurs d’ESAT – sauf la minorité de ceux, aux possibilités d’indépendance plus limitées, qui sont restés.

Les usagers de ce nouveau foyer de vie bénéficient d’un accompagnement classique avec une présence permanente d’éducateurs (et de surveillants de nuit) et du portage de repas. Ce déménagement a été source de changements tant pour les personnes accueillies que pour les professionnels. Ces derniers ont pu « oublier l’aspect collectif pour se recentrer sur l’individuel et voir les adultes avec un regard différent, grâce à une observation moins “noyée” par l’effet de groupe », relève Denise Hanser, chef de service à l’association Le Bois l’Abbesse. Quant aux résidents, en passant d’une vie en collectivité à une vie en appartement – ce qui a fait diminuer tensions et conflits –, ils ont dû, par exemple, apprendre à sonner à une porte et à respecter l’intimité de l’autre. Disposant d’une chambre individuelle, ils ont eu aussi le loisir d’investir cet espace personnel à leur guise.

Un important travail d’orientation s’élabore au quotidien auprès de ces usagers, désormais amenés à utiliser les transports en commun alors qu’auparavant ils ne se déplaçaient qu’avec les camionnettes de l’institution. Les sorties individuelles sont également facilitées et « l’ouverture sur l’extérieur permet des prises d’initiative, même minimes », ajoute Denise Hanser.

En emménageant dans un immeuble tout venant, les adultes d’ESAT ont dû aussi faire un certain nombre d’apprentissages, comme ne pas ouvrir leur porte à n’importe qui, savoir réagir en cas de panne d’ascenseur, ou éviter de s’interpeller de balcon à balcon. En fonction de leur degré d’autonomie, les éducateurs (et le veilleur de nuit) sont plus ou moins présents : régulièrement, matin et soir sur les temps de courses et la préparation des repas, ou alors plus occasionnellement, voire uniquement en cas d’urgence. En fait, qu’il s’agisse des sorties, de la sécurité ou du repérage dans le quartier, il y a eu un étayage étroit de ces adultes lors de leur installation, mais il s’est ensuite progressivement amenuisé. « Les professionnels ont dû apprendre à “lâcher” », commente Denise Hanser. D’autant que, craignant d’être repérés comme différents, certains usagers ne veulent plus être accompagnés. « Mais ce n’est pas parce qu’on le décrète qu’on va s’intégrer dans le monde normal, il faut le prouver, montrer qu’on n’est pas dangereux », explique-t-elle. A leur arrivée, les travailleurs d’ESAT ont reçu un accueil plus que mitigé. Ainsi, peu de monde s’est rendu au pot de bienvenue organisé par la gardienne de l’immeuble, auquel les autres locataires, les commerçants du quartier et les familles avaient été conviés. « Le regard sur la différence demeure, surtout lorsque cette différence est marquée physiquement, et l’acceptation reste difficile », constate Denise Hanser. Néanmoins, ces adultes sont désormais reconnus comme des locataires et des consommateurs à part entière. Ils vont à des réunions publiques sur la réhabilitation du parc HLM en présence du maire et peuvent plus facilement participer à des manifestations socio­culturelles du fait de la proximité des équipements où elles se tiennent.

A Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), l’Office d’hygiène sociale (OHS) est également engagé dans une démarche de diversification des solutions d’hébergement et de progressivité des réponses apportées aux personnes handicapées. Ce projet entend permettre à des usagers atteints d’infirmité motrice cérébrale de se dégager complètement de l’institution et d’assumer la pleine maîtrise de leur logement et de leur vie. C’est dans cet esprit que l’Ecole de la vie autonome (EVA) ouvrira ses portes en mai 2012 à 20 jeunes adultes issus de centres de rééducation fonctionnelle ou d’éducation motrice. Cette structure innovante – la seconde de ce type en France – est un outil destiné à « porter » ses usagers vers le milieu ordinaire. Prévu pour durer environ quatre ans, le parcours proposé par l’EVA comporte trois étapes. D’abord, l’hébergement dans l’école, qui dispose de 20 studios. Ce stade est celui d’apprentissages fondamentaux : savoir utiliser des aides techniques, se déplacer à l’extérieur, organiser son temps, gérer son hygiène corporelle, ses repas, sa santé, ses finances. « Le principe est d’enseigner aux usagers les moyens de surmonter leur dépendance en leur assurant une véritable formation », commente Alix Meyer, psychologue à l’OHS. « Dès l’admission, on parie sur la sortie », ajoute-t-il. C’est ce qui explique, par exemple, la composition de l’équipe de l’EVA. Celle-ci compte un médecin rééducateur, des conseillers en économie sociale et familiale, des auxiliaires de vie, des aides médico-psychologiques, des aides-soignantes, mais aucun psychologue ou psychiatre. « Si les usagers ont besoin d’en consulter, on les orientera vers un centre médico-psychologique », prévoit Alix Meyer, soulignant l’importance de l’articulation de l’EVA avec l’ensemble des acteurs de la ville. Le même souci de « l’après » fait que l’établissement a été doté d’une domotique minimale. Sinon, les résidents risqueraient d’être démunis à l’étape suivante, celle où ils déménagent pour intégrer des studios mis à leur disposition par l’institution et disséminés dans l’agglomération nancéenne. C’est le début de la vie autonome, toujours avec un accompagnement des professionnels, et la poursuite des acquisitions indispensables à l’exercice de cette indépendance – comme le fait de savoir « piloter » ses aides humaines et techniques, gérer sa solitude, son budget et l’ensemble des risques afférents au milieu ordinaire. Enfin, dernier palier, le départ de l’institution : les usagers ne sont plus pris en charge par l’EVA. Ils emménagent dans l’appartement – et la ville – de leur choix, sont titulaires de leur bail et bénéficient du suivi d’un service d’accompagnement à la vie sociale.

Quelle inclusion ?

Parti des pays scandinaves, le mouvement de désinstitutionnalisation progresse, se réjouit l’anthropologue Patrick Fougeyrollas, qui milite pour le « développement inclusif ». Mais il déplore, cependant, « une approche un peu cosmétique du handicap pour gommer la différence », avec l’idée que la personne déficiente doit avoir des activités aussi semblables que possible à celles de tout un chacun. Or l’inclusion, défend-il, consiste à « accueillir la différence et à imposer que tout le monde change un peu pour que cette différence soit respectée et que l’autre se trouve en pleine égalité avec nous ». Il s’agit de dépasser l’opposition entre le modèle individuel et le modèle social du handicap, insiste Patrick Fougeyrollas. Le premier consiste à faire peser la responsabilité du changement sur la personne, le second attribue la responsabilité du handicap à l’environnement. Sachant que, pour tout individu, tout au long de sa vie, c’est l’interaction des facteurs personnels et environnementaux qui va déterminer ses possibilités d’inscription dans la société.

Tenir compte des compétences de la personne handicapée, ainsi que des barrières de toute nature qu’elle peut rencontrer, pour lui offrir un choix de milieux de vie – dont une option vers un cadre plus intégré –, tel est l’enjeu. « Il ne s’agit pas de diviser artificiellement la réflexion entre hébergement médico-social et logement de droit commun », insiste Annie Cadenel, déléguée nationale de l’Ancreai. Indissociables d’un projet de vie conçu globalement, les deux formules s’inscrivent dans un continuum prenant en considération les attentes et les besoins évolutifs de chacun. Il reste évidemment bien du chemin à faire pour répondre à la diversité des situations. Néanmoins, on assiste à « un vrai bouillonnement autour de l’habitat », affirme Annie Cadenel.

LE DROIT À COMPENSATION, OUTIL D’INSERTION

 Le droit, pour chaque personne handicapée, « à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie », a été affirmé par loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.

 La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a ensuite précisé que la compensation relevait de la solidarité nationale.

 Enfin, la loi du 11 février 2005 a instauré une prestation destinée à prendre en charge les surcoûts liés au handicap dans la vie quotidienne.

 La prestation de compensation du handicap (PCH) couvre les aides de toute nature : aides humaines, aides techniques, aménagements du logement et du véhicule, frais de transport, aides spécifiques ou exceptionnelles, aides animalières.

 Il est possible de bénéficier de la PCH à domicile ou en établissement.

 La logique individualisée de la PCH entend favoriser des projets de vie diversifiés, comme le choix d’habiter dans un logement autonome.

 Plus de 15 000 demandes de PCH sont déposées chaque mois dans les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

 En 2010, la PCH a été attribuée à 159 000 personnes pour un montant de 1,1 milliard d’euros.

UNE MISE À L’ÉCART GÉOGRAPHIQUE DES PERSONNES HANDICAPÉES ?

L’implantation des structures d’accueil pour les adultes handicapés montre qu’il y a loin entre les discours d’intégration et la réalité de la marginalisation, comme le pointe une étude de Mathilde Mus, chercheure associée au CNRS (2).

Au plan national, l’offre d’équipements médico-sociaux, tous types d’établissements confondus, est très inégalement répartie sur le territoire. Les départements qui disposent du plus grand nombre de places – Creuse, Lozère, Corrèze, Cantal – sont ceux où les densités de population sont les plus faibles. A l’inverse, les départements les plus urbanisés ou qui ont des pôles urbains très importants – tels les départements franciliens, le Rhône, la Gironde – ont des taux d’équipement parmi les plus faibles.

En resserrant la focale sur les maisons d’accueil spécialisées (MAS) et les foyers de vie, Mathilde Mus fait le même constat au niveau communal : la moitié de ces structures se trouvent dans des villes de moins de 5 000 habitants, alors que celles de plus de 100 000 habitants accueillent seulement 9 % des foyers de vie et 6,67 % des MAS.

Enfin, dernier échelon, celui d’un grand espace urbain : dans une ville comme Le Havre, les foyers de vie et les MAS sont majoritairement situés dans des quartiers à la fois peu denses et très excentrés. Cette mise à l’écart se double d’une occultation : entourés de hauts murs ou de ceintures d’arbres, les établissements sont quasiment gommés du paysage urbain.

Cette approche spatiale met en lumière « la difficile exposition et acceptation » des personnes handicapées dans les villes, conclut Mathilde Mus. « L’analyse de l’espace agit donc comme un révélateur des comportements sociaux inavoués et inavouables. »

VIVRE EN ÉTABLISSEMENT

 Fin 2006 – dernière enquête disponible –, environ 105 000 adultes handicapés vivaient dans des établissements médico-sociaux (3).

 Au nombre de 3 720, les structures centrées sur l’hébergement (4) se décomposent en foyers occupationnels ou foyers de vie (43 400 places), foyers d’hébergement (37 700 places), maisons d’accueil spécialisées (19 600 places), foyers d’accueil médicalisé (13 400 places) et foyers d’accueil polyvalent (4 100 places).

 La déficience principale des adultes vivant en établissement est à 62 % une déficience intellectuelle, à 16 % une déficience du psychisme, à 8 % une déficience motrice, à 7 % un polyhandicap.

 Ce sont majoritairement des hommes (56 %) qui habitent en institution.

 Le public se répartit à peu près également entre les 35-44 ans (28 %), les 45-54 ans (25 %) et les 25-34 ans (24 %). Les personnes de plus de 55 ans représentent 13 % des effectifs et les moins de 25 ans, 10 %.

 Au cours de l’année 2006, 7 500 personnes sont sorties de structures dans lesquelles elles vivaient depuis huit années en moyenne. 40 % d’entre elles se dirigent vers un autre établissement médico-social ou social (dont 8 % un établissement pour personnes âgées), 15 % vont vers un logement personnel, 15 % dans leur famille, 7 % intègrent un établissement de santé. 15 % sont décédées.

Des foyers de vie ouverts sur l’extérieur

Une enquête menée auprès de ces établissements montre qu’ils s’efforcent de faire participer leurs usagers à la vie sociale environnante.

« La grande majorité des ouvrages et articles sur la participation des usagers concerne la participation à l’élaboration et à la mise en œuvre de leur projet d’accompagnement, et/ou la prise de parole sur la vie de l’institution (conseils de vie sociale, enquêtes de satisfaction) », fait observer Thibault Marmont, conseiller technique au Creahi (centre régional d’études et d’actions en faveur des personnes handicapées et inadaptées) de Champagne-Ardenne. En revanche, il est très rare que la participation soit abordée dans ses aspects concrets et quotidiens. Ce sont eux que le Creahi a cherché à cerner dans une enquête réalisée courant 2011 auprès de 41 foyers de vie accueillant 1 427 adultes handicapés – essentiellement des personnes déficientes intellectuelles. Répartis dans 11 départements de Bourgogne, Champagne-Ardenne et Lorraine, ces établissements constituent un échantillon diversifié tant du point de vue de leur taille que de leur localisation – en territoire rural isolé ou non, en ville ou en couronne périurbaine.

Le Creahi s’est d’abord interrogé sur l’inscription des établissements dans leur environnement, c’est-à-dire leur plus ou moins grande proximité par rapport à certains services (commerces, restaurants, cinémas, médiathèques, salles de sport, piscines). « Cette distance est en fait très relative », estime Thibault Marmont. En effet, même les établissements de l’espace rural isolé sont, pour plus de la moitié d’entre eux, à moins de 20 minutes des services évoqués. D’ailleurs, le nombre de sorties organisées par les foyers de vie n’apparaît pas corrélé à leur lieu d’implantation. Il n’est pas non plus fonction du nombre de véhicules dont dispose le foyer, ni de son budget « sorties ». La fréquence des sorties proposées aux usagers est en revanche très liée à la disponibilité de l’équipe éducative : lorsque celle-ci est requise pour de nombreux allers-retours à des rendez-vous médicaux, elle a moins de temps pour d’autres types d’accompagnement. Or les deux tiers des personnes considérées n’effectuent jamais de sortie en autonomie. Les ressources financières des usagers ont aussi un impact notable sur leur participation à des activités extérieures, surtout lorsque celles-ci ont un coût significatif (restaurant, cinéma, shopping).

Globalement, les usagers sont très peu nombreux – 3 % – à ne jamais sortir de leur foyer. La population accueillie se partage à peu près également en deux grandes catégories : l’une constituée de personnes qui vont peu à l’extérieur (entre moins d’une sortie mensuelle à trois ou quatre par mois) ; l’autre, de personnes qui sortent souvent (d’une à plus de trois sorties par semaine). A cet égard, l’âge se révèle très discriminant. Les sorties restent en effet exceptionnelles (moins d’une par mois) pour 40 % des résidents de 60 ans et plus, alors qu’avant 40 ans, seule une personne sur dix est dans ce cas. Symétriquement, un quart des moins de 30 ans et un cinquième des 30-39 ans déclarent sortir plus de trois fois par semaine.

Les sorties les moins coûteuses ne sont pas forcément les plus courues. Ainsi, presque un quart des personnes ne fait jamais aucune sortie relevant de la catégorie « sports et loisirs » qui, dans l’enquête du Creahi, comprend aussi bien des activités gratuites que payantes (marche, pêche, sport collectif ou individuel, bowling, fête foraine, foires et brocantes). Les sorties culturelles (médiathèque, cinéma, visites et expositions, concerts et spectacles) ont un peu plus de succès : si 15 % des usagers n’en effectuent jamais et 50 % d’entre eux au mieux une fois par mois, ils sont 36 % à avoir plus d’une sortie mensuelle de ce type. Ce sont les sorties liées à la consommation (shopping, coiffeur, restaurants et bars) qui concernent le plus de monde : hormis 8 % du public qui n’y participent jamais, les habitudes des usagers dans ce domaine s’échelonnent entre une sortie par mois au maximum (43 %) et plusieurs par semaine (13 %).

« Ces résultats montrent qu’il n’y a pas d’établissements-ghettos », commente Thibault Marmont. Cependant, une ligne de démarcation semble perdurer entre deux modèles de foyers de vie : un modèle communautaire axé sur l’entre-soi et un modèle sociétaire ouvert sur l’environnement. Mais, pour objectiver ses pratiques, encore faut-il disposer d’outils appropriés. Or tous les établissements n’en ont pas. Ainsi, certains d’entre eux ont mis deux heures pour remplir le questionnaire de 12 pages qui leur était soumis, alors que d’autres ont eu besoin de plus de deux jours.

Notes

(1) Intitulées « L’habitat, enjeu de la participation sociale des personnes en situation de handicap », ces journées ont eu lieu les 20 et 21 octobre 2011 à Metz – Rens. : Creahi Champagne-Ardenne – Tél. 03 26 68 35 71 – creahi.ca@wanadoo.fr.

(2) « La localisation des structures d’accueil pour les populations déficientes. L’enfermement inavoué » – Cahiers ADES n° 4 – Mars 2009.

(3) DREES – Etudes et résultats n° 641, juin 2008.

(4) Certaines d’entre elles ont aussi des places dédiées à d’autres formes d’accueil, comme l’accueil de jour ou l’accueil temporaire.

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