A l’instar des taxis dits en maraude quand ils circulent lentement en quête de clients, neuf camions du « Samusocial » de Paris (terme inventé et déposé par son fondateur Xavier Emmanuelli) sillonnent chaque nuit les rues de la capitale. A leur bord, un chauffeur – souvent le seul homme du véhicule, soit aussi celui qui intervient quand une situation paraît tendue –, une infirmière et un(e) professionnel(le) du travail social partent à la rencontre des personnes sans abri. Pendant des nuits et des jours – car il y a aussi des maraudes diurnes –, les sociologues Daniel Cefaï et Edouard Gardella ont embarqué aux côtés de ces « funambules du tact » qui, tel Sisyphe, vont inlassablement au-devant de ceux qui ne demandent plus rien. Du tact, les deux sociologues en font aussi largement preuve dans leur récit. On le perçoit autant quand ils évoquent l’une des épreuves les plus violentes à affronter pour un novice, celle du fumet nauséabond de l’exclusion, que lorsqu’ils prennent du recul par rapport au terrain pour formaliser dans un « code du maraudeur » de leur cru une série de règles de conduite mises en pratique par les équipes – comme « approcher sans offenser », « faire dire sans soutirer » ou « servir sans s’asservir ». Le travail des permanenciers du 115, plate-forme téléphonique du SAMU social articulée aux interventions des maraudeurs, est aussi décrit avec le même mélange de notations concrètes et d’objectivation conceptuelle, qui en restituent le sel et la complexité. Au fil des 600 pages de leur passionnante incursion au cœur de L’urgence sociale en action, les auteurs donnent ainsi à voir et à comprendre les paradoxes qui traversent cette forme laïque, démocratique et républicaine de la compassion.
L’urgence sociale en action. Ethnologie du Samusocial de Paris – Daniel Cefaï et Edouard Gardella – Ed. La Découverte – 35 €