Recevoir la newsletter

Naissances sous protection

Article réservé aux abonnés

Depuis 2003, les professionnels de la protection maternelle et infantile du Gard travaillent en coordination étroite avec les maternités du département. Objectif : mieux repérer les femmes enceintes vulnérables, pour adapter les prises en charge et favoriser l’accueil de l’enfant dans les meilleures conditions.

Assis en face de l’infirmière puéricultrice, qu’ils interrogent sur les quantités des biberons à modifier, Catherine et Philippe Perrot ressemblent à n’importe quel couple de jeunes parents. Dès qu’ils parlent de leur petit garçon, leurs traits tirés par les nuits en pointillé s’éclairent : « C’est vraiment un bébé facile, sourit la jeune mère avec fierté. Il a trois mois, et on a déjà droit à des sourires depuis un bon moment ! » Un peu en retrait, le père confirme : « C’est beaucoup de bonheur. Mais c’est dur aussi. » Puéricultrice au service de protection maternelle et infantile (PMI) du conseil général du Gard, Danièle Van Laer observe avec plaisir leur investissement dans l’accueil de leur enfant, et la « bienveillance » qu’ils lui manifestent : « Tout était prêt pour l’arrivée de leur bébé, et le petit ne manque jamais de rien, raconte-t-elle. Surtout, ils réfléchissent beaucoup, en couple, à leur rôle de parents et aux besoins de leur enfant. »

Encourageante pour l’avenir du petit garçon, cette belle histoire n’aurait pu se dérouler dans des conditions aussi favorables sans un partenariat étroit entre la PMI du Gard (1) et les maternités du département. C’est en effet au cours d’une hospitalisation dans sa clinique, à un mois du terme de sa grossesse, que Catherine Perrot a rencontré pour la première fois une professionnelle de la PMI. « J’avais été avertie par la surveillante de la maternité que Mme Perrot était suivie pour des menaces d’accouchement prématuré, retrace Danièle Van Laer. Je suis allée présenter nos services, voir avec elle pourquoi elle n’avait pas bénéficié de préparation à la naissance, discuter de l’arrivée du bébé. » D’abord méfiante – « ma sœur a six enfants et elle m’avait dit de faire attention à ces gens-là, qu’ils risquaient de me retirer mon fils » –, la future mère a finalement accepté l’intervention d’une sage-femme, pour quatre monitorings par semaine : le début d’une relation suivie avec l’institution. Depuis la naissance de leur petit garçon, Philippe et Catherine Perrot reçoivent la visite régulière d’une puéricultrice de PMI, en fonction de leur demande, qui les aide à s’approprier les gestes du quotidien, les multiples soins et attentions réclamés par un nouveau-né. Et les inquiétudes exprimées par l’entourage (famille, tutrice), parfois sur le mode du contrôle, s’estompent peu à peu.

Cette articulation entre les services, le suivi anténatal et l’accompagnement postnatal, l’hospitalisation et le domicile illustre parfaitement la politique de coordination qui associe la PMI du Gard et les maternités du département (2), au premier rang desquelles figure le pôle femme-enfant du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes. Objectifs : améliorer la prise en charge des femmes enceintes en situation de vulnérabilité, leur proposer une surveillance médicale, sociale et psychologique adaptée, favoriser l’installation d’une bonne relation parents-enfants et étayer au besoin le retour au domicile. Un partenariat qui passe, au quotidien, par des contacts réguliers entre professionnels, des fiches de liaison et des staffs de parentalité hebdomadaires.

Anticiper les situations délicates

Avec le CHU, cette collaboration remonte à 2003. « A l’époque, les sages-femmes et les puéricultrices de PMI, qui effectuent des passages réguliers à la maternité pour rencontrer les parturientes, se trouvaient confrontées à du personnel hospitalier débordé, pas du tout disponible pour signaler les mères vulnérables ou qui apparaissaient en difficulté », rapporte Hélène Blard, cadre sage-femme à la PMI et coordinatrice périnatalité du département. Côté hôpital, les soignants avaient parfois « l’impression de découvrir au dernier moment des situations désespérées », se souvient Sylvie Castres, cadre sage-femme du service de gynécologie obstétrique. Par exemple, « une mineure qui arrive pour accoucher sans avoir bénéficié d’aucun suivi de grossesse, et qui déclare qu’elle ne souhaite pas garder son enfant ». S’impose alors l’idée d’un temps dédié à l’échange d’informations sur les situations nécessitant une vigilance ou un accompagnement spécifiques. Né du terrain, ce partenariat a été entériné par une convention signée le 11 juin 2010, qui fixe le cadre de la collaboration : « La coordination régulière des professionnels de PMI avec ceux des services de gynécologie obstétrique, de néonatologie et de pédiatrie facilite le repérage de toute situation sociale ou psychologique à risque pouvant nuire à la santé de la future mère et/ou de l’enfant, et rend opérationnels la mise en œuvre ou le maintien des dispositifs de prise en charge médico-sociale adaptée en amont et en aval de l’hôpital. » Une convention déclinée sous la forme de « protocoles de coordination périnatale », qui reprennent, service par service, les objectifs théoriques et opérationnels, les publics visés, la méthodologie, les modalités, ou encore les outils de l’action conjointe. Pour Hélène Blard, cette formalisation n’a rien de superflu. « Dans la foulée de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, qui positionne clairement les missions de la PMI dans le champ du repérage précoce des difficultés des familles, cette convention entérine notre rôle de prévention, légitime nos actions en amont, pour anticiper le plus possible les situations délicates », affirme-t-elle. Bien plus, l’inscription noir sur blanc de ces objectifs les rend incontestables, par exemple en cas de changement de direction. Et tandis que la coopération relevait jusqu’alors plutôt du volontariat, elle constitue désormais la base du travail des personnels de la PMI.

Des binômes de référentes

Jeudi 1er décembre, comme tous les jeudis après-midi, une douzaine de professionnels ont pris place dans la salle de réunion d’équipe de la maternité du CHU. Autour de la table, les représentantes des différents services (suites de couches et grossesses pathologiques, consultations et hospitalisations de jour, etc.), l’une des deux assistantes sociales (AS) de l’hôpital, la psychologue du service de gynécologie obstétrique et deux professionnelles référentes pour la PMI : Marie-Sophie Granero, sage-femme, et Laurence Géa, puéricultrice. « Nous fonctionnons avec des binômes de référentes, qui présentent à la fois leurs situations et les liaisons effectuées par leurs collègues, mais aussi celles qui peuvent leur être transmises par des sages-femmes libérales, explique Hélène Blard. A l’inverse, ces référentes sont chargées de rapporter dans les circonscriptions PMI les informations délivrées par la maternité. » Les travailleurs sociaux, eux, passent volontiers par Charlotte Chapon, l’AS des services de maternité, de gynécologie obstétrique et de néonatologie : « La collègue du service de réanimation m’a ainsi saisie du cas de l’épouse enceinte d’un patient hospitalisé, dont on s’est aperçu qu’elle n’était pas du tout suivie, indique celle-ci. Je transmets aussi au staff les situations communiquées par les AS de secteur, qui m’informent en même temps que la PMI. On m’avait, par exemple, signalé le cas d’une dame qui errait dans le département et parlait beaucoup de venir à Nîmes, au cas où elle se présenterait à l’hôpital pour accoucher. »

Les situations considérées comme préoccupantes sont d’abord repérées selon les critères de vulnérabilité définis par la Haute Autorité de santé (HAS) : antécédents obstétricaux mal vécus, problèmes relationnels dans le couple, violence domestique, anxiété, dépression du postpartum, addiction, précarité, naissance « à haut risque psychoaffectif » (maladie, malformation, handicap), etc. Mais l’expérience et l’observation des professionnels jouent aussi un rôle primordial. « Une dame qui n’a pas de suivi régulier et ne se présente à l’hôpital qu’en urgence attirera forcément notre attention, indique en ce sens Sylvie Castres, la cadre de gynécologie. Un comportement inadapté aussi, comme une mère qu’on entend crier et s’énerver après son bébé. Cela ne signifie pas toujours que la situation est dramatique, mais il faut au moins un petit soutien. » Déni de grossesse, absence de couverture sociale, bébé prématuré de 615 grammes, jeune mère migrante tabacodépendante et non déclarée, accouchement à domicile : au staff de parentalité, les cas se suivent et ne se ressemblent pas. « Je voudrais signaler une dame hospitalisée à domicile, intervient Corinne Gauthier, la sage-femme de l’hôpital de jour. Elle est à 37 semaines d’aménorrhée, attend des jumeaux et vit toujours au milieu des travaux. Rien n’est prêt pour l’arrivée des petits. » Marie-Sophie Granero feuillette son répertoire. « Ça ne me dit rien. Il faut vraiment revoir ça. » Autre situation préoccupante, celle d’une primipare de 23 ans, enceinte de quatre mois, sans ressources et hébergée par sa mère. « C’est une grosse fumeuse : elle a réduit sa consommation de 30 à 10 cigarettes par jour mais refuse les patchs, alors qu’elle se montre très angoissée par les effets du tabac sur son bébé, expose Corinne Gauthier. Elle a manqué son rendez-vous en acupuncture, et je ne sais pas si elle se rendra à celui du tabacologue. J’ai rarement vu une “primi” aussi angoissée de tout, et qui n’accepte rien. » La psychologue du service propose de la rencontrer. Pour Hélène Blard, le cas illustre bien les différences de sensibilité entre personnels médicaux et médico-sociaux, et l’intérêt d’une approche croisée : « Accepter un suivi en addictologie, c’est tout un cheminement, dont il faut admettre qu’il prenne parfois du temps », glisse-t-elle.

Dans le cadre du secret partagé

Pour chaque cas abordé, les professionnelles s’échangent des fiches de liaison. Formalisés dans les protocoles de coordination, ces documents constituent les principaux supports du partenariat, en autorisant la circulation des informations importantes, dont il est toujours gardé une trace : du médecin ou de la sage-femme vers le staff, des services de la maternité ou de la néonatologie vers la PMI… La fiche de retour d’informations consigne, à l’intention des professionnels prescripteurs, l’évolution des situations faisant l’objet d’une prise en charge. A la base de ces échanges d’informations, des principes éthiques stricts. Sauf intérêt contraire de l’enfant, les situations sont partagées et les fiches remplies avec l’accord de la patiente. De même, les informations échangées et consignées, relevant du secret partagé, sont soigneusement sélectionnées. « Nous nous limitons à ce qui présente un intérêt pour chacun, insiste Charlotte Chapon. Je ne connais pas tous les antécédents médicaux, et je ne dévoile pas tous les aspects d’une situation sociale. » Pas de jugement de valeur, pas de rédaction hâtive – « comme écrire “mère alcoolique” dans une fiche, et sans même en informer l’intéressée », illustre Hélène Blard… Ces règles sont régulièrement rappelées aux participants, et en particulier aux jeunes professionnels.

Dernière séquence de la réunion, un long temps de discussion avec deux travailleurs sociaux du service d’information et d’orientation des parents isolés (SIOPI) (3), le centre maternel départemental. Ils sont venus exposer le cas d’une de leurs résidentes, une femme africaine enceinte de huit mois, dont les comportements « étranges » leur paraissent autant de « clignotants » inquiétants pour l’établissement de la relation avec son bébé. « Elle accorde une grande importance aux mots que nous employons, elle montre parfois un peu d’agressivité et de mise à distance, qu’elle focalise sur une personne, et puis… ça passe », décrit Marion Issoire, éducatrice spécialisée. « Elle ne parle jamais de son enfant à naître. On dirait qu’elle ne se projette pas. En tant qu’AS, cela m’inquiète pour l’investissement dans la relation », ajoute son collègue, Cyril Baklouti. A la PMI, la patiente montre un tout autre visage : « Nous n’avons remarqué aucune bizarrerie, affirme Marie-Sophie Granero. Elle vient à toutes ses consultations, et elle a été très chouette en préparation à la naissance, un vrai élément moteur pour le groupe. Et avec nous, elle parle bien de son bébé. »

Invité à rejoindre la réunion, le pédopsychiatre du service de pédiatrie, Joël Roy, tente d’aider les professionnels à démêler la situation. « Cette dame a vécu trente-deux ans en Afrique dans un milieu apparemment favorisé, et elle se retrouve toute seule en France dans un hôtel miteux, avec un bébé dans le ventre. Ce qui manque, c’est son histoire récente, mais aussi son histoire infantile, pour savoir quel est son modèle de lien. Les mieux placés pour en parler, ce sont peut-être les médicaux. Comme ils sont centrés sur le bébé à naître, cela aura plus de sens. » Une rencontre avec la psychologue est programmée, et le pédopsychiatre demande à être prévenu de la naissance. Pour les travailleurs sociaux du SIOPI, la réunion a porté ses fruits : « Leurs inquiétudes ont été entendues et ils ont reçu l’assurance que la dame recevra une attention plus soutenue le jour J, et qu’elle ne sortira pas de l’hôpital trois jours après son accouchement, conclut leur chef de service, Florence Fleuriet. A l’inverse, la discussion a permis de montrer aussi un autre visage de la patiente, et de ne pas enfermer les professionnels de l’hôpital dans une seule vision de cette femme. »

Des institutions mieux coordonnées

Avec le recul, le constat est clair : ces échanges d’informations favorisent une meilleure prise en charge. D’abord, en rassurant les professionnels : « Quand, par exemple, une patiente fragile quitte la maternité avec son bébé, il est important pour l’hôpital de savoir qu’un relais sera assuré très vite au domicile par la PMI », souligne Hélène Blard. Ensuite, en facilitant une meilleure coordination entre les institutions. « Souvent, les partenaires attendent beaucoup d’observation de la part des professionnels de l’hôpital, poursuit Charlotte Chapon. Or les patientes ne restent que trois jours, cinq en cas de césarienne, pendant lesquels nous avons affaire à des mères fatiguées, à fleur de peau, bouleversées par les hormones, et qui évoluent dans un environnement à la fois inhabituel et assez cadré. Quand les inquiétudes sont réelles, le fait d’avoir abordé les situations en staff nous permet de savoir qu’il faudra prolonger le séjour pour mettre en place un vrai soutien. » Et ce, d’autant plus facilement que la prise en charge en postnatal aura été préparée avec la femme bien avant l’arrivée de son bébé. Une anticipation qui emporte de réels effets : « On n’attend plus la naissance pour voir comment s’en sort une mère, préconiser un traitement psy, voire effectuer un signalement, conclut Hélène Blard. Dès l’anténatal, on prépare désormais des alternatives, comme un hébergement en centre maternel. Ce faisant, d’année en année, nous avons réussi à diminuer le nombre de placements. »

CONTEXTE
La précarité, un facteur de risque pour la grossesse

Présentés en octobre 2011, les résultats de l’enquête nationale périnatale 2010 montrent clairement une incidence de la précarité sociale sur la santé des mères et des nouveau-nés (4). Les femmes vivant principalement des aides sociales (allocation chômage, RMI, RSA…) ou n’ayant aucune ressource effectuent ainsi rarement les sept consultations recommandées pendant leur grossesse. En revanche, elles sont plus souvent hospitalisées (24 %) que les autres femmes (18 %), ce qui suggère des problèmes de santé plus fréquents. En 2010, les femmes ayant renoncé à des examens pour des raisons financières vivaient plus souvent seules (16,7 %) que les autres femmes (6,7 %), étaient plus fréquemment de nationalité étrangère (30,1 % contre 11,9 %) et avaient plus souvent un bas niveau d’études. Parmi elles, 6,3 % n’avaient pas de couverture sociale en début de grossesse, contre 0,7 % pour le reste de l’échantillon. Une circonstance aggravante, alors que la même étude établit la précarité comme un facteur de risque pour l’issue de la grossesse : le taux de naissances prématurées des femmes ayant des ressources précaires atteint 8,5 %, au lieu de 6,3 % pour les autres, et la proportion d’enfants de poids inférieur à 2 500 grammes était respectivement de 9,6 % et 5,9 %.

Notes

(1) Service de prévention médico-sociale : 10, rue Villeperdrix – 30900 Nîmes – Tél. 04 66 76 86 98.

(2) Des partenariats à des degrés divers existent avec les maternités et cliniques privées de Nîmes, de Bagnols, d’Alès, mais aussi avec des établissements de départements proches (Hérault, Vaucluse, Bouches-du-Rhône), en lien avec les PMI locales, pour les patientes gardoises.

(3) SIOPI : 34, rue Notre-Dame – 30000 Nîmes – Tél. 04 66 84 49 74.

(4) www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Les_ naissances_en_2010_et_leur_evolution_ depuis_2003.pdf.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur