Le ministre de la Justice, Michel Mercier, en est convaincu : le placement en garde à vue d’étrangers au seul motif qu’ils sont soupçonnés d’être en situation irrégulière ne constitue pas une entorse au droit européen. C’est ce qu’il indique aux parquets dans une circulaire visant à clarifier la portée de l’arrêt « Achughbabian » du 6 décembre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (1).
Dans cette affaire, la cour de Luxembourg devait trancher un litige opposant la justice française à Alexandre Achughbabian, un ressortissant arménien qui, à la suite d’un contrôle d’identité et en raison de soupçons sur sa situation au regard du droit au séjour, avait été placé en garde à vue, avant de faire l’objet d’une procédure d’éloignement une fois la réalité de l’infraction constatée. Un placement en garde à vue fondé sur l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui punit d’une amende de 3 750 € et d’une peine d’emprisonnement de une année le ressortissant étranger non communautaire qui séjourne irrégulièrement en France après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire. Pour contester cette procédure, le requérant s’appuyait sur l’arrêt « El Dridi » du 28 avril 2011 par lequel la CJUE estime que la directive 2008/115/CE – dite « directive retour » – s’oppose à une réglementation d’un Etat membre prévoyant l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure sur son territoire en violation d’une mesure lui ordonnant de le quitter. Alexandre Achughbabian avait fait observer à cet égard que, en droit français et depuis la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, les officiers de police judiciaire ne peuvent placer en garde à vue que les personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Partant, comme la « directive retour » proscrit les peines d’emprisonnement au seul motif de n’avoir pas quitté le territoire, il estimait que le fondement légal de sa garde à vue s’écroulait. La réponse de la CJUE, pour le moins sibylline, n’a pas dissipé le flou autour de la question de la conformité de l’article L . 621-1 du Ceseda au droit européen (2). A tel point que, au lendemain de la décision – et comme après l’arrêt « El Dridi » –, des divergences d’interprétation ont été observées dans les tribunaux administratifs français, certains jugeant que le placement en garde à vue des clandestins était régulier et d’autres non.
En attendant que le Conseil constitutionnel se prononce sur la question (3), le garde des Sceaux a donc livré aux parquets son interprétation de l’arrêt « Achughbabian ». Et pour lui, cela ne fait aucun doute : les autorités peuvent continuer de placer des personnes sans papiers en garde à vue sur le fondement de l’article L . 621-1 du Ceseda, sans craindre d’être en infraction au regard de la « directive retour ». Il recommande aux parquets, à cet égard, de faire appel systématiquement des « décisions de refus de prolongation des mesures de rétention administrative fondées sur l’irrégularité alléguée des placements en garde à vue opérés sur la base de l’article L. 621-1 » – en demandant le cas échéant à ce que l’appel soit suspensif –, voire de se pourvoir en cassation.
En clair, pour Michel Mercier, l’arrêt de la CJUE – en ce qu’il interdit les peines de prison au seul motif de séjour irrégulier – n’est susceptible de produire des effets qu’au stade de l’engagement des poursuites pénales contre le clandestin au titre de l’article L. 621-1, et non lors du placement en garde à vue. « La directive ne s’oppose pas en toute hypothèse » à l’article L. 621-1, analyse-t-il, « dans la mesure où la peine d’emprisonnement que prévoit cette disposition n’est pas la seule prévue ». En outre, « la peine d’emprisonnement peut en tout état de cause s’appliquer aux [sans-papiers] à l’encontre desquels une mesure d’éloignement administratif a été prononcée et n’a pu être mise à exécution en dépit du placement en rétention de l’intéressé pour la durée maximale de 45 jours » (4). Le ministre de la Justice en conclut que cette incrimination, « en ce qu’elle prévoit une peine d’emprisonnement compatible avec la directive », permet donc le placement en garde à vue de l’étranger concerné, « afin de vérifier que les conditions constitutives de l’infraction sont réunies ».
Michel Mercier demande simplement aux parquets de ne pas engager de poursuites exclusivement fondées sur l’article L. 621-1 à l’encontre d’un étranger une fois que la mesure de garde à vue a permis de caractériser l’irrégularité de son séjour. A ce stade de la procédure, en effet, on entre dans le champ de la « directive retour » : il revient alors à l’autorité préfectorale de mettre en œuvre une mesure d’éloignement – assortie, le cas échéant, d’un placement en rétention – et aucune condamnation à une peine d’emprisonnement n’est susceptible d’être prononcée au seul motif de l’irrégularité du séjour car cela affecterait l’effet utile de la directive.
Si au final, « au regard de la personnalité du mis en cause », les parquets estiment opportunes d’éventuelles poursuites du seul chef d’entrée ou de séjour irrégulier – avec donc à la clé une peine de un an d’emprisonnement et une amende –, ils devront alors veiller à ne les engager qu’à l’encontre des seuls ressortissants de pays tiers auxquels la procédure de retour a déjà été appliquée. Autrement dit des étrangers qui ont fait, à ce titre, l’objet d’un placement en rétention d’une durée globale de 45 jours et « qui persistent néanmoins à séjourner irrégulièrement sur le territoire français sans qu’existe un motif justifié de non-retour ».
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(2) Tout en confirmant sa jurisprudence « El Dridi », elle estime en effet que la législation européenne ne s’oppose pas pour autant à un placement en détention le temps de déterminer le caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant de pays tiers, les autorités nationales étant simplement tenues d’agir avec diligence et de prendre position dans les plus brefs délais.
(3) Le 23 novembre, la Cour de cassation l’a en effet saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article L. 621-1 du Ceseda aux droits et libertés garantis par la Constitution. Les sages ont trois mois pour se prononcer.
(4) Il ressort en effet de l’arrêt « Achughbabian » que la « directive retour » fait obstacle au prononcé d’une peine d’emprisonnement aussi longtemps – « mais aussi longtemps seulement », souligne Michel Mercier – que les mesures coercitives prévues par la directive (comme par exemple un placement en rétention) n’ont pas été entièrement mises en œuvre.