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Deux cordes à son ARPE

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Dans le Nord, deux associations de Cambrai – l’une orientée vers la protection de l’enfance et la parentalité, l’autre chargée d’héberger et d’insérer des adultes précaires – ont achevé leur fusion sous le nom d’ARPE. Le résultat d’un long travail de préparation visant à répondre aux interrogations, et parfois aux craintes, d’ordre financier, managérial ou conventionnel.

En mai dernier, l’Association de réinsertion par l’éducation (ex-ARPE) et l’Association des accueils et hébergement du Cambrésis (Asdahc) ont finalisé leur opération de fusion pour donner naissance à une nouvelle entité : Accueil, réinsertion, promotion, éducation (ARPE) (1). L’aboutissement d’un long processus de rapprochement d’abord destiné à mutualiser les moyens des deux organisations, et la réussite d’une gageure : celle de réunir deux cultures diamétralement opposées qui se sont finalement découvert de nombreuses convergences. Retour sur l’histoire de cette fusion qui illustre une tendance forte actuellement à l’œuvre au sein du secteur social et médico-social.

L’ancienne ARPE – qui gérait jusqu’à la fusion une maison d’enfants à caractère social, un service de suite pour jeunes majeurs, un service de soutien à la parentalité et un service logement – est née il y a cent vingt ans dans le cadre d’une congrégation religieuse. Son conseil d’administration était composé d’une quinzaine de professionnels libéraux et de chefs d’entreprise de Cambrai. L’association employait 70 salariés et son budget de fonctionnement s’élevait à 3,5 millions d’euros. Issue d’un mouvement militant dans la mouvance de l’abbé Pierre, l’Asdahc – deux CHRS, un foyer de travailleurs migrants et trois services, dont le 115 – existe, quant à elle, depuis 1976. Parmi les membres de son conseil d’administration (8 personnes) figuraient essentiellement des travailleurs sociaux à la retraite et des mères au foyer. Pour prendre en charge son public d’adultes précaires, l’association employait une soixantaine de personnes et fonctionnait avec un budget de 3 millions d’euros.

L’absence d’un modèle référent

Derrière ces différences – tant dans leurs champs d’activité que dans leur fonctionnement –, les deux entités avaient néanmoins un point commun : un seul et même président, Jean-Pierre Roquet. Celui-ci est à la tête de l’Asdahc depuis une trentaine d’années et a pris les rênes de l’ARPE en 2006. Avant la fusion, il avait déjà réuni les deux associations au sein du réseau interassociatif ACORS. Cela a permis à leurs directeurs respectifs de se connaître et de mener des projets communs, comme la création d’une société civile immobilière pour l’achat et la gestion d’un lieu de villégiature destiné à tous leurs usagers, l’organisation de colloques ou la mise en place de formations collectives. Encouragé par la loi 2002 qui consacre les coopérations entre associations, et partant du principe qu’une structure de grande taille pèse davantage face aux financeurs, Jean-Pierre Roquet veut cependant aller plus loin, en constituant une seule et même entité qui pourrait « répondre à l’ensemble des problèmes de la population du Cambrésis ». S’il penche d’abord pour la création d’un groupement de coopération, après concertation avec plusieurs experts, c’est finalement la fusion­absorption qui semble être la formule la mieux adaptée. Cette option sera d’autant facilitée qu’à l’époque où le projet émerge, en 2008, Jean-Raymond Wattiez, directeur de l’Asdahc, s’approche de l’âge de la retraite, tandis que Christian Hilaire, le directeur de l’ARPE, a récemment été recruté. Ce qui a facilité le choix lors de la nomination du directeur général de la nouvelle ARPE.

La difficulté est que, outre quelques guides méthodologiques sur les fusions-absorptions, les deux associations ne disposent pas de modèle pour mettre en œuvre cette démarche complexe. Un comité technique (cinq administrateurs, deux directeurs, un avocat, un expert-comptable et le commissaire aux comptes) est constitué pour l’occasion. Il se réunit régulièrement pendant deux ans pour étudier tous les problèmes susceptibles de se poser en termes juridiques, fiscaux et administratifs. C’est ce comité qui détermine notamment que l’ARPE sera l’association absorbante et que la nouvelle organisation sera constituée de deux pôles – Insertion-hébergement et Enfance-famille – sous la responsabilité de directeurs adjoints. Quelques facteurs semblent néanmoins faciliter la fusion : les deux associations sont adhérentes aux mêmes fédérations, couvrent le même territoire et ont donc les mêmes préoccupations et les mêmes interlocuteurs. De plus, le coût de l’opération s’annonce minime, le prix de l’audit étant inclus dans l’abonnement souscrit à l’année par les deux associations auprès d’un cabinet d’avocats et d’un expert-comptable.

Pourtant, le processus ne se fera pas sans heurts. Premier accroc : l’Asdahc a une dette de 300 000 € à l’égard d’une autre association du réseau ACORS. Pas question pour l’ARPE de récupérer ce passif. Pour régler le problème, l’Asdahc doit vendre l’un de ses biens. Mais le comité technique se rend compte que les actes de propriété ne sont pas au nom de l’Asdahc mais à celui du « Foyer cambrésien », l’ancêtre de l’association. « Un temps, l’ex-ARPE a craint d’absorber une association qui avait des difficultés financières et que cela ne la tire vers le bas. Les discussions ont été suspendues », se souvient Christian Hilaire, directeur général de l’association. L’obstacle n’est pas insurmontable, mais la mise à jour des actes prend de longues semaines – « Et encore, heureusement qu’un notaire siégeait au sein de notre conseil d’administration ! », souligne le responsable. La situation sera finalement débloquée grâce à la suggestion de l’expert-comptable de prévoir, dans le traité de fusion, la possibilité d’un « divorce avec séparation de biens » si les intérêts d’un pôle sont mis en danger par l’autre.

Des inquiétudes à résoudre

Autre difficulté : la question des conventions collectives. Du côté de l’ancienne ARPE, les salariés relèvent de la convention collective de 1966 (CC 66). A l’Asdahc, ce sont les accords SOP-CHRS qui s’appliquent. Mais impossible de passer tous les salariés sous une seule convention. Seul le personnel administratif nommé au nouveau siège change de régime. Les autres, en particulier les travailleurs sociaux, relèvent de la convention collective qui s’applique à leur branche. D’où le mécontentement des professionnels du secteur Insertion-hébergement. « Ils fantasmaient sur la CC 66 qui, selon eux, donne des avantages extraordinaires, décode Christian Hilaire. Nous leur avons présenté une étude comparative réalisée par le cabinet d’avocats qui prouve que les différences salariales sont infimes. Cette convention collective offre néanmoins davantage de congés, mais cela est justifié par le fait que le travail en protection de l’enfance est considéré comme plus pénible »…

Pour déminer les incompréhensions et les inquiétudes, tout au long du projet, Christian Hilaire rencontre un à un les salariés afin de les tenir au courant des différentes étapes. « J’ai juste évité de parler de “fusion” tant que celle-ci n’était pas assurée. C’est un mot qui fait peur. On pense immédiatement à ce qui se passe dans le secteur privé, où les fusions se déroulent souvent dans le dos des salariés et engendrent de la casse au niveau emploi. » Confirmation de Xavier Mériaux, directeur adjoint du pôle Enfance-famille : « Il y avait en effet des craintes. Les salariés se demandaient qui absorberait qui, si leurs conditions de travail allaient en pâtir, quelles seraient les méthodes de travail du nouveau directeur général, etc. Cette communication tout en transparence a permis de les atténuer et de calmer les esprits inquiets de l’éventualité d’un plan social. » « Le personnel, nous en manquons déjà, il n’a donc jamais été question de perdre des emplois, complète le président Jean-Pierre Roquet. La fusion a favorisé au contraire la création de cinq nouveaux postes en promotion interne. » Sont ainsi nommés une responsable des ressources humaines à même de gérer une entité de plus de 120 salariés, une assistante de direction, une responsable budget, un responsable de services généraux et un surveillant de nuit en chef. Un conseiller technique « démarche qualité-développement » – poste financé grâce aux économies réalisées par le départ à la retraite du directeur de l’Asdahc – est également recruté afin de renforcer le processus de démarche qualité au sein de l’association, mais aussi d’accompagner techniquement les procédures d’appel à projets. Un des deux postes de psychologue du pôle Enfance-famille est, quant à lui, mutualisé. « Nous avons mis fin au contrat de huit heures de l’intervenant du pôle Insertion-hébergement et un psychologue de l’autre pôle est passé à temps plein pour intervenir dans l’ensemble de l’association. Cela a enrichi son travail. »

Les délégués du personnel ne se montrent toutefois pas totalement rassurés. « Il n’y a, en effet, pas eu de licenciements… jusqu’à aujourd’hui », relève l’un d’eux, Cédric Duseau, moniteur-éducateur. « Tout s’est, certes, bien passé, mais nous émettons des craintes pour l’avenir, renchérit Gina Moreau, éducatrice spécialisée et également représentante du personnel. Les budgets du conseil général baissent. Pourra-t-on tourner avec les mêmes fonds alors qu’on est une entité plus grande ? Il peut très bien y avoir un plan social d’ici à deux ou trois ans. » Certains salariés ne voyaient pas non plus d’un bon œil la fusion de deux associations aux publics a priori si différents. « Je fais partie de l’ARPE depuis longtemps. J’avais peur que la maison d’enfants perde ses valeurs, avance Nouria Berchiche, chef de service éducatif. Ce mariage me semblait même incongru. » « Le personnel craignait aussi d’être déplacé, que l’on mute des éducateurs du pôle Enfance-famille vers l’Insertion-hébergement, et vice-versa, sans leur demander leur avis, ajoute Fanny Godefroy, éducatrice spécialisée. Finalement, le fait de retravailler le projet associatif en équipe pluridisciplinaire a aidé à mieux se comprendre et à découvrir que l’on partageait les mêmes valeurs. On s’est rendu compte que c’était une opportunité et que nos populations n’étaient pas si éloignées. »

De fait, ces publics ont plus de points communs que les professionnels ne pouvaient l’imaginer au départ : ne serait-ce que parce que 10 % des adultes du CHRS ont des enfants placés à la MECS ! « Trop souvent, ces parents ne rendent jamais visite à leurs enfants. A partir du moment où ils appartiennent à la même association, il est possible de travailler en transversalité entre éducateurs et de faciliter la rencontre », note Christian Hilaire. Autre point de jonction : le service de suite (UNEX) du pôle Enfance-famille accueille des jeunes majeurs, qui se retrouvent parfois en CHRS passé 21 ans. « Le fait d’être dans la même association permet d’assurer une orientation plus souple et personnalisée, car la transition peut être violente. » Enfin, l’Asdahc accueillait en moyenne 100 enfants par an accompagnant leurs parents en CHRS. « C’est-à-dire que les professionnels avaient à gérer plus d’enfants que du côté ARPE, où la moyenne était de 90 prises en charge annuelles ! »

Plus nombreux, plus forts

A l’époque, les deux directeurs pointent justement les problèmes de promiscuité au sein du CHRS entre des mères isolées et des hommes seuls. Or un bâtiment inoccupé situé à la Maison d’enfants Saint-Druon pouvait accueillir ces femmes. Avant même le processus de fusion, les deux associations décident de créer ensemble un nouvel établissement : le service d’accueil et d’hébergement familial (SAHF). Ce projet, soutenu par les deux directions, a cependant rencontré quelques résistances : « Les administrateurs se sont inquiétés du mélange entre adultes en situation de précarité et enfants placés. D’abord, pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que psychologiquement, c’est dur pour les jeunes de l’aide sociale à l’enfance de voir des parents en difficulté qui élèvent quand même leurs enfants. C’est l’un des rares dossiers de ce rapprochement qui n’a pas été voté à l’unanimité », se souvient Christian Hilaire. Le SAHF a néanmoins ouvert en novembre 2010. « Nous avons anticipé pour montrer à nos partenaires l’intérêt de la fusion. Je trouve que c’est une expérience réussie. »

Réussie également la fusion dans son ensemble, se félicite le directeur général : « Nous avons atteint tous les objectifs que nous nous étions fixés, et les plus-values vont même au-delà de nos espérances. » Ainsi, de façon inattendue, le pôle Insertion-hébergement, considéré comme « parent pauvre » du secteur social, a « sauvé » la trésorerie de l’ARPE pour 2012. « C’est dû à une baisse de fréquentation dans la MECS. J’imagine que, dans quelques mois ou années, la situation s’inversera, mais voilà un autre avantage du rapprochement : la solidarité entre les deux pôles d’activité. »

Les résidents sont, eux, restés quelque peu insensibles au processus d’absorption, même s’ils ont observé des changements positifs dans leur quotidien : « Côté insertion, quand il y avait une dégradation, par exemple une porte à changer, il fallait faire appel à une entreprise extérieure. Cela prenait du temps et de l’argent. Maintenant, ils bénéficient des services généraux de l’ARPE et le matériel est réparé immédiatement », illustre Christian Hilaire. Quant au nouveau conseil d’administration – qui compte désormais 24 élus parmi les anciens de l’ARPE et de l’Asdahc –, il se dit lui aussi satisfait. Coralie Moyzan, vice-présidente de l’ARPE, chargée de l’Insertion-hébergement : « Malgré nos points de vue distincts, on s’est vite rendu compte, que l’on vienne de l’insertion ou de l’enfance, que notre base commune, c’est tendre la main et aider. Il semble aujourd’hui évident que l’on était fait pour fusionner et travailler ensemble. Plus nombreux, nous sommes plus forts et avons plus d’impact vis-à-vis des partenaires locaux, régionaux, ou nationaux. » Même satisfecit du côté de Christian Raingeval, administrateur et président de la commission prospective et développement : « Je pense que c’est bénéfique aussi pour le personnel, qui peut s’interroger sur ses pratiques. On pourrait même imaginer des parcours de carrière, ou simplement des stages d’observation, pour des éducateurs spécialisés, d’un pôle à l’autre, ce qui éviterait des situations de burn-out. »

Afin de créer une identité commune, l’ARPE a d’ailleurs mis en place des actions symboliques tout au long du processus de fusion-absorption. Le plus significatif est le module « Accueil et formation ». A raison de deux séances par an, une formation en intra est organisée pour 20 salariés de deux pôles d’activité, qui visitent tous les établissements et services de la nouvelle ARPE et rencontrent son dirigeant pour discuter du projet associatif. Un nouveau livret d’accueil a également été imprimé et remis à chacun. De même, un an avant la fusion, le personnel de l’Asdahc a commencé à recevoir le bulletin interne de l’ARPE avec sa fiche de paie – cinq numéros ont été consacrés à la fusion. Enfin, ont été organisées des séances de formation de deux jours, animées par l’Uriopss Nord-Pas-de-Calais, sur l’intérêt de cette fusion. De l’avis général, toutes ces actions ont aidé le personnel à ne pas se sentir dépossédé de son entité professionnelle. Finalement, outre la responsable des ressources humaines, qui a dû réécrire une soixantaine de contrats de travail avec le doublement du nombre de salariés, celui dont les missions ont été le plus chamboulées est le nouveau directeur général, Christian Hilaire. « Je ne fais plus le même métier ! Auparavant, je gérais deux établissements et deux services. Je suis à présent responsable de six établissements et de quatre services disséminés dans la ville. Je ne reçois plus d’usagers, je ne m’occupe plus des dossiers d’admission et je ne gère plus en direct le personnel éducatif. Mes missions sont plus d’ordre stratégique. »

Vers des coopérations locales

Quand l’écriture du nouveau projet associatif sera finalisée, le directeur général pourra se concentrer sur ses prochains chantiers. « Nous voulons poursuivre la démarche de coopération de l’ARPE au niveau local. Nous sommes ainsi en lien avec Les Papillons blancs du Cambrésis, nos voisins, qui interviennent dans le secteur du handicap. » Les deux structures ont déjà coorganisé deux colloques et réfléchi à un travail en commun avec les familles. Des mises à disposition de personnel sont également à l’étude. « Le poste de conseiller technique que nous venons de créer intéresse Les Papillons blancs, et nous aimerions aussi créer un centre de formation commun. Il n’est pas envisageable de fusionner, mais pourquoi ne pas imaginer un groupement de coopération avec différents pôles d’activité ? Réunis, nous représenterions le premier employeur du Cambrésis, hors secteur public, donc un interlocuteur incontournable. » Jean-Pierre Roquet encourage ces rapprochements mais, prévient-il, la formule qui a marché à Cambrai n’est pas forcément reproductible : « Je ne peux pas conseiller à d’autres associations de prendre exemple sur nous car chacune a son vécu, son histoire. Il faut savoir avec qui l’on s’associe, et pourquoi, pour que cela soit efficace. »

Notes

(1) ARPE : 9, sentier de l’Eglise – 59400 Cambrai – Tél. 03 27 72 02 60 – contact@arpe.asso.frhttp://arpe.asso.fr. L’association comprend, pour le pôle Enfance-famille, la maison d’enfants Saint-Druon, la Parenthèse, l’UNEX et, pour le pôle Insertion-hébergement, le CHRS Charles-Dupré, le SAHF, le service intégré d’accueil et d’orientation du Cambrésis (SIAOC), la Ferme Gauthier, Habiter en Cambrésis, la Maison d’Erre.

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