Un « oui » de principe, assorti de beaucoup de « mais ». C’est ce qu’ont, à l’unisson, exprimé les représentants des associations, des personnes en situation de précarité, du logement d’insertion, des bailleurs et des départements lors des assises nationales pour le « logement d’abord », le 9 décembre, conclusion d’une série de rencontres régionales commencée en octobre (1). Les travaux qui ont abouti aux priorités fixées par le secrétaire d’Etat au logement (voir ce numéro, page 12) les ont en effet laissés sur leur faim, les conditions de mise en œuvre de la réforme étant loin d’être réunies. D’autant que le ministère renvoie aux préfets la mise en place des mesures « opérationnelles » et, surtout, l’organisation de la concertation nécessaire.
Les assises n’ont « pas permis de nous mettre d’accord sur un socle solide partagé », a souligné Gilles Desrumaux, directeur général de l’Union professionnelle du logement adapté (Unafo), rappelant que les budgets régulièrement « insincères » votés en loi de finances initiales pour l’hébergement fragilisent les acteurs. Dans une plateforme commune, les professionnels du logement d’insertion plaident pour la sécurisation du financement des logements adaptés et, au-delà, craignent que la stratégie du « logement d’abord » ne réduise le « public cible » des politiques du logement, au détriment de l’ensemble des personnes mal logées. « On est loin d’une politique d’Etat qui mobilise les moyens et les acteurs autour d’un chantier prioritaire dont on rappelle la nécessité urgente », a-t-il ajouté, citant la loi « Besson » du 31 mai 1990 comme le dernier « référentiel » en la matière.
Alors que les expériences européennes érigées en exemple reposent sur un accompagnement social intensif et pluridisciplinaire, voire « 24h/24, 7jours/7 », Eric Pliez, directeur général de l’association Aurore et membre du bureau de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), a regretté l’absence de « travail de fond » sur le sujet : « Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale ne disposent que d’un travailleur social pour dix personnes. La réforme ne peut se faire qu’avec la seule méthode de l’accompagnement vers et dans le logement ! » Sur ce point, l’Assemblée des départements de France (ADF) redoute clairement un transfert de charges vers le service social départemental et le Fonds de solidarité logement, déjà confronté à une explosion des demandes. « Le dispositif du “logement d’abord” doit être intégralement financé par l’Etat au titre du code de l’action sociale et des familles, même si nous sommes prêts à réfléchir à des conventions de partenariat », a insisté Jean-Pierre Hardy, chef du service « politiques sociales » à l’ADF. Benoist Apparu s’est voulu rassurant en soulignant que « les services d’accompagnement dans le logement doivent pouvoir être financés sous le statut des CHRS ».
L’ADF estime, par ailleurs, que cette nouvelle politique doit s’inscrire dans le « chaînage » prévu par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », dont la planification (dans le cadre du plan départemental « accueil, hébergement, insertion ») constitue la première étape. Les plans départementaux devraient, à ses yeux, non seulement organiser les partenariats, mais aussi « éclairer les angles morts » avec le schéma départemental de la protection de l’enfance, notamment pour le logement des jeunes majeurs issus de l’ASE. Elle demande également que les agences régionales de santé (ARS) mobilisent les moyens de la psychiatrie sur l’urgence sociale.
Le souci de décloisonner les compétences est largement partagé, même si l’ADF ne souscrit pas à l’idée de la FNARS de créer une « structure régionale de coordination de l’action sociale » qui, au-delà de l’Etat, associerait les départements, les caisses d’allocations familiales, le ministère de la Justice ou encore les structures de l’insertion par l’activité économique. « L’interministérialité est un échec au niveau national, a pointé Didier Piard, directeur de l’action sociale à la Croix-Rouge. Comment se fait-il que l’on travaille toujours en tuyaux d’orgue ? » Comme ce fut le cas avec le revenu de solidarité active, les acteurs du terrain pointent au final les failles d’une nouvelle politique sectorielle.
Les bailleurs sociaux sont, pour leur part, liés à l’évolution de leurs financements. « Il y aura des résonances dans trois ou quatre ans si on continue à prélever sur les fonds propres des organismes HLM », a prévenu Thierry Bert, délégué général de l’Union sociale pour l’habitat. Reste encore la question de la part de risque acceptée par les bailleurs, demandeurs de « garanties » au sein des commissions d’attribution. Parmi les préconisations soumises au débat le 9 décembre figure, pour préparer les projets de relogement, l’organisation d’une phase d’évaluation « partagée » par la personne et les acteurs intervenant auprès d’elle. « Cette approche de “synthèse partagée” pose la question de la place du bailleur dans ce dispositif et de la nature des informations qui peuvent lui être communiquées. Le comité consultatif des personnes accueillies (CCPA) [2] a fait part de ses réserves sur ce point et ce sujet devra être approfondi », prévient Philippe Barbezieux, l’inspecteur général des affaires sociales qui a piloté le groupe de travail dont sont issues ces préconisations. Au final, les assises auront soulevé au moins autant d’interrogations et de réserves qu’elles n’auront apporté de réponses.
(2) Créé dans le cadre de la « refondation » des politiques d’hébergement et d’accès au logement, pour assurer la participation des usagers.