« Un bilan accablant qui met en avant des situations humainement absurdes. » C’est ainsi que Jérôme Martinez, secrétaire général de la Cimade, résume le contenu du rapport 2010 réalisé par les cinq associations assurant l’assistance aux étrangers placés en centre de rétention administrative (CRA). En effet, depuis le 1er janvier 2010, l’Assfam (Association service social familial migrants), la Cimade, Forum réfugiés, France terre d’asile et l’Ordre de Malte France ont dépassé leurs différends (1) pour travailler de manière coordonnée après la réforme ouvrant l’assistance aux étrangers placés en rétention à plusieurs prestataires là où la Cimade intervenait seule.
Ils publient leur premier rapport commun détaillant la réalité de la rétention administrative en France (2). Y sont mises en avant les dérives des CRA, où de plus en plus d’étrangers, et notamment des ressortissants roumains, sont enfermés. Sur 100 000 étrangers interpellés en 2010, plus de 85 000 ont fait l’objet de mesures d’éloignement et 33 692 sont passés dans des CRA où interviennent les cinq associations. A ceux-là s’ajoutent les étrangers placés dans des locaux de rétention administrative et dans les centres de rétention de Mayotte, de la Réunion et de la Guadeloupe. Au total, 60 000 étrangers étaient enfermés en 2010, soit deux fois plus qu’en 1999. « 11 000 d’entre eux n’ont pas été éloignés », note Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, qui pointe là une banalisation de l’enfermement administratif. « Cela signifie qu’une bonne partie des personnes sont restées en rétention sans raison valable, et ont été libérées par des juridictions administratives ou judiciaires ayant estimé que les décisions de l’administration ou le travail de la police étaient contraires au droit. » Pour les associations, cette situation est à mettre sur le compte de la « politique du chiffre » instituée en 2002 et qui pousse à la surenchère.
D’après l’analyse des situations dans chaque CRA, ceux-ci concentrent « trop de tensions, de violences, de détresses ». « Les retenus y sont traités comme des détenus, alors même qu’ils n’ont pas commis de crime ni de délit », peste Céline Guyot, coordinatrice CRA à l’Assfam. « La promiscuité, la forte présence policière, le froid, les sanitaires inadaptés, le menotage, les horaires très cadrés, les barbelés et la vidéosurveillance sont hyper anxiogènes pour des personnes dont le seul travers est de ne pas avoir de papiers. »
Le rapport s’insurge sur la présence de mineurs en CRA, d’une part les enfants de parents enfermés (au nombre de 356), d’autre part les mineurs isolés (une centaine). « Ce n’est pas leur place !, s’insurge Jean-François Ploquin, directeur général de Forum réfugiés. Des mesures alternatives à la rétention doivent être privilégiées dans ces cas-là. » Les personnes malades ne devraient pas non plus être placées en centre de rétention car « leurs pathologies deviennent plus aiguës », d’autant que les conditions d’accès au service médical « ne sont pas satisfaisantes ». Insatisfaisant également est l’accès au droit. « Les personnes enfermées sont censées avoir accès à un interprète, à un conseil, à l’une de nos associations… mais dans la pratiquetous ces droits sont restreints », souligne Lucie Feutrier, coordinatrice CRA à l’Ordre de Malte.
C’est en outre-mer que la situation des retenus est la plus choquante. « L’enfermement y est particulièrement massif : près de 15 % de la population de Mayotte est passée en CRA », révèle David Rohi, coordinateur de la commission « éloignement » de la Cimade. « En outre, les conditions de vies y sont indignes : aucun lit, 1,47 m2 d’espace vital par retenu, peu de lumière du jour, pas de climatisation… » Le temps moyen de maintien en rétention avant l’éloignement est cinq fois moins important en outre-mer qu’en métropole (1,9 jour contre dix jours). A cela s’ajoute le caractère « inefficace » de ces éloignements : dans la majorité des cas, les migrants reviennent très rapidement sur le sol français.
Si les cinq organisations ne partagent pas les mêmes idées en termes de solutions à apporter, elles s’accordent sur la fermeture indispensable des locaux de rétention administrative au sein des commissariats. Sans préjuger des constats à venir pour 2011, elles rappellent qu’elles s’étaient mobilisées contre l’adoption de la loi sur l’immigration du 16 juin dernier (3), qui allonge la durée de rétention et réduit le contrôle des pratiques policières et administratives par le pouvoir judiciaire. Les premiers effets se font déjà sentir – les personnes retenues supportent très mal la perspective d’un enfermement qui peut durer jusqu’à 45 jours – et ne font que renforcer la critique sévère exprimée par les associations.
(2) La synthèse de 230 pages est téléchargeable sur