Recevoir la newsletter

Séjour irrégulier et peine d’emprisonnement : la CJUE rend une décision ambiguë

Article réservé aux abonnés

La législation française est-elle contraire à la réglementation européenne en permettant l’emprisonnement d’un étranger au seul motif qu’il est en situation irrégulière ? Dans un arrêt du 6 décembre très attendu, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) livre une réponse pour le moins alambiquée, réussissant l’exploit d’être saluée à la fois par la Cimade et les ministres français de l’Intérieur et de la Justice. Explications.

Le contexte de l’affaire

A l’origine de cette décision : une banale affaire mettant en scène un ressortissant arménien, Alexandre Achughbabian, interpellé en France sur la voie publique lors d’un contrôle d’identité et placé en garde à vue en raison de soupçons sur sa situation au regard du droit au séjour. Un examen plus approfondi avait alors fait apparaître que l’intéressé s’était vu précédemment refuser l’octroi d’un titre de séjour et s’était maintenu sur le territoire français malgré un arrêté lui enjoignant de le quitter. Après sa garde à vue, le ressortissant arménien avait donc fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière avant d’être placé en rétention administrative, le temps d’organiser son voyage. Mais il avait contesté cette procédure – et en particulier sa garde à vue – devant la justice française en invoquant la non-conformité à la directive européenne 2008/115/CE – dite directive « retour » – de l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui punit d’une amende de 3 750 € et d’une peine d’emprisonnement d’une année le ressortissant étranger non communautaire qui séjourne irrégulièrement en France après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire. Une argumentation qui s’appuie sur l’arrêt « El Dridi », rendu par la CJUE le 28 avril dernier dans le cadre d’une affaire située en Italie (1). Dans cette décision, la cour de Luxembourg avait en effet affirmé que la « directive retour » doit être interprétée comme interdisant à un Etat membre de prévoir une peine privative de liberté à l’encontre d’un étranger pour le seul motif qu’il est demeuré sur son territoire en violation d’une mesure lui ordonnant de le quitter.

Saisie par le ressortissant arménien, la Cour d’appel de Paris a préféré surseoir à statuer et interroger directement la CJUE sur la conformité de l’article L. 621-1 du Ceseda au regard de la « directive retour ».

Un raisonnement en trois temps

L’arrêt de la cour de Luxembourg se révèle, au final, plus ambigu que celui rendu quelques mois plus tôt dans l’affaire « El Dridi ». En premier lieu, la CJUE souligne que la « directive retour » n’a pas l’ambition d’harmoniser dans leur intégralité les règles nationales relatives au séjour des étrangers. Ce texte, explique la cour, se borne simplement à définir un cadre d’exécution des mesures de départ forcé des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière. C’est pourquoi il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui qualifie le séjour irrégulier d’un ressortissant d’un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d’emprisonnement. Il ne s’oppose pas davantage à un placement en détention en vue de déterminer le caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers. Aux yeux des juges, il serait même porté atteinte à l’objectif de ce texte – à savoir le « retour efficace » des clandestins – « s’il était impossible pour les Etats membres d’éviter, par une privation de liberté telle qu’une garde à vue, qu’une personne soupçonnée de séjour irrégulier s’enfuie avant même que sa situation ait pu être clarifiée ». La cour précise simplement que les autorités nationales sont tenues d’agir « avec diligence » et de prendre position dans un délai à la fois « bref » et « raisonnable ».

Une fois l’irrégularité du séjour constatée, ces autorités doivent adopter une décision de retour, dans le cadre fixé par la directive.

En clair, dans un premier temps, la CJUE conclut à la conformité à la directive européenne de l’article L. 621-1 du Ceseda et des procédures de garde à vue prises sur son fondement, dans la phase de détermination de l’irrégularité du séjour. Mais la cour ne revient pas pour autant sur sa jurisprudence « El Dridi ». En effet, dans un deuxième temps, elle égratigne l’article L. 621-1 du Ceseda qui, tel qu’il est écrit, est susceptible de conduire à une peine d’emprisonnement au cours de la procédure de retour régie par la directive. Les Etats membres, explique l’arrêt, ne sauraient appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par la directive. Or, « à l’évidence », une peine de prison ne contribue pas à la réalisation effective de l’éloignement. Pour cette raison, l’article L. 621-1 du Ceseda peut faire échec aux normes et procédures établies par la directive, retarder le retour d’un étranger en situation irrégulière et, au final, porter atteinte à l’objectif de la directive. Confirmant l’interprétation exposée dans l’arrêt « El Dridi », la cour en conclut que la « directive retour » s’oppose à une réglementation réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales et permettant l’emprisonnement d’un ressortissant qui, tout en séjournant irrégulièrement et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas d’abord été soumis aux mesures coercitives visées par la directive. En clair, dans la phase d’application de la directive, la seule privation de liberté possible est donc le placement en rétention.

Enfin, dans un troisième temps, et comme elle l’avait déjà mentionné dans l’arrêt « El Dridi », la cour confirme que, pour le cas où les normes et procédures communes établies par la directive n’ont pas abouti à un éloignement effectif, les Etats peuvent adopter ou maintenir des dispositions, le cas échéant de caractère pénal, réglant cette situation. A charge simplement pour eux de respecter les principes de la directive et de son objectif mais aussi de ne pas prévoir l’infliction de sanctions pénales s’il existe un « motif justifié de non-retour ».

En résumé, il apparaît à la lecture de l’arrêt que, si les Etats peuvent avoir recours à une peine d’emprisonnement pour sanctionner l’entrée ou le séjour irrégulier d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, une telle peine doit être réservée à l’hypothèse où les mesures coercitives prévues par la directive n’ont pas permis de parvenir à son éloignement. Autrement dit, le recours à une peine de prison est exclu lorsque l’intéressé n’a pas encore fait l’objet d’une mesure coercitive d’éloignement ou avant que la procédure d’éloignement ait été menée à son terme. Pour Claude Guéant et Michel Mercier, « cela ne fait nullement obstacle à ce que les étrangers en situation irrégulière puissent être placés en garde à vue le temps nécessaire pour procéder aux vérifications propres à établir si l’intéressé doit faire l’objet d’une procédure d’éloignement du territoire ou de procédures judiciaires », ont-ils assuré le 6 décembre dans un communiqué. La Cimade considère, à l’inverse, que la position de la CJUE prive la garde à vue pour séjour irrégulier de son fondement légal dans la mesure où, en droit français, le placement en garde à vue ne peut s’effectuer que si une personne est soupçonnée d’une infraction légalement sanctionnée par une peine d’emprisonnement.

A noter : la Cour de Cassation a transmis au Conseil constitutionnel, le 23 novembre dernier, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité du délit prévu par l’article L. 621-1 du Ceseda aux droits et libertés garantis par la Constitution et en particulier au principe de proportionnalité des peines.

[CJUE, 6 décembre 2011, aff. n° C-329/11, Alexandre Achughbabian c/Préfet du Val-de-Marne, disp. sur http://curia.europa.eu/]
Notes

(1) Voir ASH n° 2708 du 6-05-11, p. 5.

Dans les textes

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur