Résistant, député, fondateur du mouvement Emmaüs, l’abbé Pierre incarnait « l’insurrection de la bonté ». Quand le dessinateur Edmond Baudoin le rencontre en 1994, le vieil homme vit déjà à la maison de retraite La Halte d’Emmaüs, à Esteville (Seine-Maritime). Athée, guère porté sur les Ecritures, l’artiste se laisse pourtant happer par le charisme et la foi du vieux militant, « d’une densité minérale ». Réédition de la bande dessinée Le défi, publiée en 1994 par l’association catholique ACNAV, L’abbé ne retrace pas la vie – pourtant particulièrement romanesque – d’Henri Grouès, mais la rencontre entre ces deux hommes, et l’histoire d’une œuvre en création. L’auteur s’y met en scène, intimidé par le personnage, fasciné par la simplicité de son mode de vie et la puissance de ses mots. « Quand on devient très vieux, on a l’impression d’entendre une voix au-dedans qui dit : “Avant de t’en aller, dis-nous ce que tu sais” », lui avait confié l’abbé, avant d’évoquer l’hiver 1954, l’Europe, Gandhi ou le maquis du Vercors. Dommage que le propos soit encore appuyé, de façon exagérément démonstrative et un peu incongrue, par l’histoire d’une bande de gamins de banlieue imaginaires, confrontés à la mort d’un sans-abri ou au désespoir des quartiers HLM : l’illustration des propos du religieux ou le portrait de ses compagnons suffisaient amplement. Reste un témoignage touchant sur une rencontre qu’on devine bouleversante, et des idées qui demeurent, vingt ans après, d’une incroyable pertinence. « J’ai rencontré des êtres exceptionnels, mais l’abbé Pierre reste la rencontre la plus belle, la plus forte, et aujourd’hui encore elle me nourrit dans mon quotidien », affirme Edmond Baudoin.
L’abbé – Edmond Baudoin – ACNAV/ Altercomics –