Recevoir la newsletter

Titres de séjour pour les jeunes majeurs isolés étrangers : la fin de la cacophonie ?

Article réservé aux abonnés

La possibilité d’accorder, à leur majorité, des titres de séjour aux jeunes étrangers isolés qui ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance après l’âge de 16 ans a été inscrite dans la loi sur l’immigration de juin dernier. Il faut s’en réjouir, même si la règle du cas par cas continue de prévaloir, estime Francisco Mananga, conseiller juridique dans le secteur médico-social, dans le Nord, et ancien éducateur spécialisé dans un internat accueillant des mineurs isolés étrangers (1).

« En juin 2011, pour la énième fois sous la Ve République, et après un an de tergiversations politiques, les parlementaires ont adopté une nouvelle loi relative à l’intégration, à l’immigration et la nationalité (2). Au-delà des dispositions restreignant l’accès au séjour pour les étrangers malades ou de celles maintenant le “délit de solidarité”, les parlementaires ont pris en compte – enfin – la situation des mineurs étrangers isolés en adoptant une mesure phare : l’octroi de titres de séjour pour les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) entre 16 et 18 ans, “sous certaines conditions”.

On se souvient qu’en 2005, et déjà “sous certaines conditions”, le ministre de l’Intérieur de l’époque avait adressé aux préfets deux circulaires (2 mai et 31 octobre) (3) les invitant à accorder des titres de séjour aux jeunes étrangers accueillis par les services de l’ASE. Ces consignes ont permis à l’époque de pallier les effets pervers de l’article 67 de la loi du 26 novembre 2003 qui a profondément modifié le 3e alinéa, 1° de l’article 21-12 du code civil qui permettait auparavant aux mineurs étrangers de pouvoir acquérir la nationalité française dès leur accueil à l’ASE sans délai préalable.

Ces circulaires constituaient un espoir pour de nombreux travailleurs sociaux confrontés à l’accueil et à l’accompagnement de ces jeunes. On a cru que ces textes allaient permettre aux intéressés de pouvoir enfin régulariser leur situation administrative à leur majorité, d’autant plus que l’article 28 de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale prévoyait une disposition permettant auxdits mineurs de conclure un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation s’ils avaient été pris en charge par l’ASE avant l’âge de 16 ans et s’ils l’étaient encore lors de la demande d’autorisation de séjour.

Les circulaires comportaient des bonnes intentions : délivrance de titres de séjour pour les jeunes qui sont en cours de formation (titre pouvant déboucher sur un emploi) ; pour ceux ne répondant pas à cette condition, possibilité d’accéder au séjour lorsque les perspectives de retour dans leurs pays sont faibles ou lorsque leur parcours d’insertion en France semble cohérent et en l’absence de toute menace à l’ordre public ; prise en compte des situations humanitaires, notamment pour les jeunes victimes de réseaux de traite des êtres humains ou d’exploitation sexuelle… Au regard des textes, le préfet disposait d’un réel pouvoir discrétionnaire en la matière.

Malgré ces bonnes intentions, la réalité a été tout autre. De nombreux jeunes n’ont bénéficié d’aucune régularisation, alors qu’ils en remplissaient les conditions (4).

De réelles capacités d’intégration

L’esprit de l’article 28 de la nouvelle loi va dans le sens des circulaires de 2005. Le texte devrait permettre la délivrance, “à titre exceptionnel”, de la carte de séjour temporaire portant la mention “salarié” ou “travailleur temporaire” au jeune majeur étranger, dans l’année qui suit son 18e anniversaire, lorsqu’il a été confié à l’ASE entre 16 et 18 ans et qu’il justifie suivre, depuis au moins six mois, une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de l’intéressé dans la société française. Signalons cependant que la nouvelle disposition prévoit “une admission à titre exceptionnel”, ce qui signifie – encore une fois – que le préfet a un large pouvoir discrétionnaire, alors que pour les jeunes pris en charge avant 16 ans, l’admission est de droit.

L’expérience de l’accueil de ces jeunes démontre que certains d’entre eux mettent tout en œuvre pour s’intégrer et montrent des réelles capacités à le faire. Ils s’inscrivent positivement dans la démarche d’intégration, qui se concrétise par l’entreprise de formations scolaires et professionnelles avec parfois des résultats très remarquables. Certains d’entre eux ont pour projet de s’installer durablement sur le territoire français, compte tenu de leurs vécus entachés de nombreuses embûches (guerres, exploitations sexuelles, maltraitances culturelles, mutilations…). Pour ce faire, la régularisation de leur situation administrative à leur majorité s’impose comme le préalable nécessaire à tout projet à long ou moyen terme.

La force du cadre législatif

Malgré la cacophonie juridique apparente qui règne sur la situation de ces jeunes à leur majorité, certains départements continuent à financer et conclure les “contrats jeune majeur”. La finalité de démarches tendant à l’obtention d’un titre de séjour demeure à terme l’intégration dans la société française du jeune étranger. En tout état de cause, les réponses aux besoins des mineurs étrangers isolés nécessitent, de la part des intervenants sociaux et éducatifs, des démarches diversifiées et personnalisées. Toutefois, une réponse juridique claire (émanant du pouvoir législatif et non pas de simples instructions ministérielles) à leur situation administrative demeure le préalable à tout travail socio-éducatif à entreprendre pour l’inscrire dans le temps.

Cette réponse juridique aurait mérité sa place de manière non équivoque dans la loi, à l’image de ce qui se fait pour les jeunes pris en charge avant 16 ans. D’ailleurs à la lecture du texte, rien ne laisse penser que l’administration pourrait permettre à la masse des jeunes étrangers accueillis dans le cadre de l’ASE de prétendre à un titre de séjour durable. Les préfets mettront sans doute en exergue l’étude des situations au cas par cas (5). Certes. Mais on peut soutenir en même temps que l’article 28 de la loi du 16 juin 2011 a le mérite d’exister, puisque la situation de ces jeunes sera désormais étudiée sous l’angle d’un texte législatif, là où elle était abordée depuis des années par des simples circulaires qui, au demeurant, n’ont pas de valeur juridique probante. »

Contact : f.mananga@numericable.fr

Notes

(1) Il est aussi l’auteur de l’ouvrage intitulé Intervenir auprès des mineurs étrangers isolés : entre le maintien des spécificités culturelles d’origine et l’intégration dans la société française – Ed. du Cygne, 2010 – Voir ASH n° 2679 du 22-10-10, p. 43.

(2) Voir ASH n° 2719-2720 du 22-07-11, p. 53 et n° 2724 du 16-09-11, p. 19.

(3) Voir ASH n° 2408 du 20-05-05, p. 15 et n° 2428-2429 du 11-11-05, p. 25.

(4) Voir la précédente tribune libre de Francisco Mananga sur le sujet dans les ASH n° 2457 du 26-05-06, p. 25.

(5) Ce que confirme notamment une circulaire du ministère de l’Intérieur datée du 21 novembre – Voir ce numéro, p. 17.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur