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La réalisation de l’évaluation externe : un nouvel enjeu pour le secteur ?

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Le nouveau marché de l’évaluation externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux amène les acteurs du secteur à s’interroger sur la place qu’ils entendent y occuper. Non sans débats.

Les acteurs sociaux et médico-sociaux sont-ils légitimes, et à quelles conditions, à réaliser l’évaluation externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux ? Alors que celle-ci est à l’ordre du jour, puisque les structures autorisées avant 2002 devront l’avoir faite au plus tard en janvier 2017, la question se pose. Elle fait même débat depuis quelques années au sein des CREAI (centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées). Dans son bulletin de novembre, celui de Bourgogne expli­que avoir décidé de rester, pour l’instant, en dehors de la démarche (1), tandis que la majorité s’interroge encore et que certains sont prêts à s’y engager. Les CREAI Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ont d’ailleurs été habilités comme organismes évaluateurs par l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux).

Le débat est d’abord révélateur des ambiguïtés mêmes de l’évaluation externe, dont dépend le renouvellement d’autorisation des établissements. Les plus réticents évoquent le risque d’une rupture de confiance avec leurs partenaires du fait d’une pro­cédure qui pourrait être assimilée à un contrôle. Les partisans de la démarche insistent, quant à eux, sur sa dimension d’accompagnement et son objectif d’amélioration du fonctionnement des institutions et de la qualité des prestations, soit un progrès dans la réponse aux usagers. Ils font valoir, en outre, l’expertise acquise de longue date par les CREAI, qui accompagnent déjà de nombreux établissements dans l’évaluation interne, dont le rapport sert de support à l’évaluation externe.

Un autre point des discussions concerne le risque de conflit d’intérêts en raison des liens qu’entretiennent ces organismes de conseil, d’observation et d’appui technique avec l’ensemble des acteurs de la région ; une difficulté que le CREAI Languedoc-Roussillon entend contourner en réalisant les évaluations externes hors de sa région. Enfin, dans ce débat où pèsent les incertitudes financières (2), beaucoup se demandent si c’est vraiment un chantier prioritaire : les CREAI n’ont-ils pas d’abord à se préoccuper des questions liées à l’observation des besoins et à la gouvernance du secteur social et médico-social ? Face à cette absence de consensus, l’Association nationale des CREAI (Ancreai) a donc décidé, en juin dernier, de laisser les CREAI s’impliquer dans l’évaluation externe sur la base du volontariat et à condition qu’ils s’engagent au préalable sur un cadre commun déontologique et mé­thodologique. Un groupe de travail a été constitué sur le sujet. Et, signe de son souci d’éviter toute dérive, l’assemblée générale de l’Ancreai, réunie les 24 et 25 novembre dernier, a voté une recommandation invitant ses adhérents à attendre les résultats de la réflexion avant de s’engager.

Diriger et/ou évaluer ?

Pas de consensus non plus chez les directeurs. L’Association française des évaluateurs externes (3) regroupe ainsi une quinzaine de personnes, surtout des directeurs généraux d’associations et des directeurs d’établissements, dont certains (en activité ou à la retraite) réalisent des évaluations externes. « A condition d’avoir une formation solide aux techniques évaluatives, le fait d’exercer ou d’avoir exercé des fonctions de direction est un atout permettant d’avoir une vision relativement exhaustive de l’établissement évalué, défend Patrick Debieuvre, président de l’association et directeur général de l’Adapei du Var. En quoi un directeur aurait-il moins de légitimité qu’un consultant ne connaissant pas nécessairement le secteur ? »

Même s’il explique que, pour éviter d’être juge et partie, le directeur ne doit avoir aucun lien avec l’association dont il évalue l’établissement ou ne doit pas intervenir sur le même territoire que sa structure d’origine, son point de vue n’est guère partagé par Philippe Richard, président du GNDA (Groupement national des directeurs généraux d’association du ­secteur éducatif, social et médico-social). Ce dernier estime, à titre personnel, qu’on ne peut pas être à la fois directeur et évaluateur externe. « L’évaluation externe vise à examiner le bon fonctionnement d’une institution avec les usagers, les familles et les professionnels. Comment la mener quand on fait soi-même partie du groupe des professionnels ? Et comment peut-on porter une appréciation sur le travail d’évaluation interne effectué par un collègue ? »

Du côté des centres de formation en travail social, quelques-uns ont été habilités par l’ANESM. C’est le cas de l’IRTSLanguedoc-Roussillon, où l’on a veillé toutefois à ce qu’aucune évaluation externe ne soit conduite auprès d’établissements avec lesquels des relations commerciales auraient été nouées. L’IRTS a ainsi constitué un pôle d’évaluation externe et développé une méthodologie commune avec l’IMF (Institut méditerranéen de formation et recherche en travail social, également habilité) en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Et chaque institut intervient sur la région où il n’est pas implanté. Il y a eu toutefois quelques interrogations au sein des centres : l’évaluation externe est-elle compatible avec leur mission de formation ? « Oui, car elle s’inscrit dans leur fonction d’accompagnement aux mutations des établissements », répond Didier Vinches, directeur adjoint de l’IRTS Languedoc-Roussillon.

Ces questionnements mettent en évidence les enjeux liés au nouveau marché de l’évaluation externe, qui compte déjà 856 organismes habilités aux statuts (au­to-entrepreneurs, cabinets de consultants associatifs, lucratifs…) et aux prix (de 6 000 à 15 000 €) les plus divers. Plutôt que de confier cette activité aux CREAI, aux administrations déconcentrées ou à une haute autorité administrative comme cela avait pu être proposé, les parlementaires ont préféré, lors de l’examen de la loi 2002-2, afin de garantir l’indépendance de la démarche, faire appel à des organismes privés quels qu’ils soient.

Si le choix du marché est « sans doute le moins mauvais », selon Pierre Savignat, membre de la Société française d’évaluation et ancien membre du conseil scientifique de l’ANESM (2007-2010), il s’accompagne, conformément à la directive « services » (4), d’un encadrement minimal. L’habilitation n’est qu’une autorisation administrative, sans garantie de la qualité du travail, même si les textes prévoient un contrôle a posteriori pouvant entraîner sa suspension ou son retrait.

Eviter le « conflit d’intérêts »

Dès lors rien n’interdit légalement aux personnes morales ou physiques du secteur – d’autant qu’une « expérience professionnelle dans le champ social ou médico-social » fait partie des critères exigés – d’intervenir sur ce marché. Face à l’hétérogénéité des prestations proposées – dont certaines sont plus proches du contrôle ou de l’audit –, elles peuvent, en outre, mettre en avant une démarche éthi­que respectueuse des usagers. Néanmoins, elles doivent s’assurer qu’elles ne risquent pas de se trouver dans « une situation impossible » en raison de l’existence d’un conflit d’intérêts, souligne Pierre Savignat. « Car cette notion, à laquelle fait réfé­rence le cahier des charges [5], est en­tendue très largement. » L’organisme évaluateur ne doit pas avoir d’intérêt financier avec l’établissement évalué (pas plus au moment de l’évaluation qu’au cours de l’année précédente), ni de lien avec une fédération ayant elle-même des relations avec celui-ci ou encore avec une autorité de tarification, etc. « Il apparaît ainsi ­évident que le risque est moindre pour un directeur, s’il s’entoure de certaines protections, que pour une fédération d’associations gestionnaires, précise-t-il. La Haute Autorité de santé fait d’ailleurs effectuer la certification des établissements de santé par les pairs : un médecin, un cadre administratif (directeur), un cadre soignant. »

Tous ces éléments appellent, en tout cas, à la prudence, d’autant que la doctrine de l’évaluation externe – dont les frontières avec l’audit restent ambiguës – n’est pas stabilisée. « On y verra plus clair en 2017, espère Pierre Savignat. C’est un jeu à trois entre le commanditaire, l’évaluateur, l’autorité de tarification, qui va demander un peu de temps pour fonctionner. »

Notes

(1) Bulletin d’informations du CREAI Bourgogne n° 319 – www.creaibourgogne.org.

(2) Après avoir été déjà amputée de 38,5 % en 2011, la subvention accordée aux CREAI devrait encore être rabotée de 50 % et tomber à 630 000 € dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012.

(3) www.afee-evaluateurs-externes.fr – Voir ASH n° 2711 du 27-05-11, p. 22.

(4) Qui vise à lever les obstacles à la libre circulation des services dans l’Union européenne.

(5) Défini par le décret du 15 mai 2007 – Voir ASH n° 2509 du 25-05-07, p. 15.

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