Recevoir la newsletter

« L’homoparentalité relève de processus psychiques très classiques »

Article réservé aux abonnés

Janvier 2011, le Conseil constitutionnel valide l’interdiction du mariage homosexuel. Octobre 2011, un juge de Bayonne accorde l’autorité parentale à une femme sur les enfants de sa compagne. En matière d’homoparentalité, la société oscille entre refus et acceptation. Les processus psychiques à l’œuvre sont pourtant communs chez les parents homosexuels et hétérosexuels, constate Alain Ducousso-Lacaze, professeur de psychologie, qui propose une lecture sur plusieurs niveaux.

En ce qui concerne l’homoparentalité, on a le sentiment d’être sommé de choisir un camp. Peut-on échapper à cette injonction ?

Il faut en réalité distinguer plusieurs niveaux d’analyse. Se pose d’abord la question d’un choix de société qui relève du politique. La façon dont la famille est structurée et organisée peut-elle être modifiée ou, à l’inverse, est-elle quasi naturelle et donc intangible ? En d’autres termes, la famille repose-t-elle sur des principes relatifs appuyés sur le contrat social ou sur des vérités transcendantes ? J’ai le sentiment que ces deux positions sont assez idéologiques et passent à côté de l’essentiel. Bien sûr, on ne peut pas tout rediscuter ni tout remettre tout le temps en débat. Si l’on interroge l’organisation de la famille, jusqu’où va-t-on, quelle est la limite ? Mais on ne peut pas non plus se contenter d’affirmer que les choses sont posées une fois pour toutes. Le débat démocratique doit naviguer entre ces deux extrêmes. En tant que psychologue, j’essaie d’ouvrir la discussion et d’apporter des éléments au débat. Après, à chacun de se déterminer. La psychologie ne permet pas de fonder une position politique sur ce sujet, elle peut juste l’éclairer. La question étant : veut-on s’engager dans une société qui reconnaît à des gens qui ne sont pas hétérosexuels le droit d’être parents ?

Vous rappelez que l’homoparentalité émerge dans une société où la conception traditionnelle du mariage et de la sexualité est déjà passablement remise en question…

Sur le plan anthropologique, mon deuxième niveau de lecture, on sait que la société s’est longtemps référée au modèle chrétien, dans lequel reproduction et sexualité étaient totalement imbriquées. La sexualité devait être au service de la reproduction. Mais à partir des années 1970, avec l’arrivée d’une contraception efficace et diffusée largement, ces deux termes ont été disjoints. Il est possible aujourd’hui d’avoir une sexualité pour le plaisir et une autre pour la reproduction. On peut même se reproduire sans quasiment passer par la sexualité, la médecine ayant inventé des techniques pour concevoir des enfants en dehors de tout rapport sexuel. Il y a également eu disjonction entre la conjugalité et la parentalité, en raison de l’augmentation du nombre des divorces. Beaucoup de gens sont parents d’enfants ensemble mais ne forment pas, ou plus, un couple. L’étape suivante consiste logiquement à faire des enfants ensemble sans jamais avoir été en couple. Certains homosexuels font ainsi appel à d’autres personnes pour concevoir un enfant. Et là où il existait autrefois un bloc homogène, la conception, la sexualité, la conjugalité et la parentalité sont aujourd’hui des éléments éclatés.

La revendication homoparentale ne traduit-elle pas pourtant un désir d’accéder à un modèle traditionnel de parentalité ?

L’institution familiale que l’on connaissait, la Famille avec un grand F et le Mariage avec un grand M, n’est pas tombée en désuétude. Elle a sans doute été mise à distance et désacralisée, mais ce serait une erreur de croire qu’il n’y a plus ­d’institution. Au contraire, les gens réclament de l’institution. On le voit en particulier avec la demande insistante de la reconnaissance du mariage homosexuel. J’ai constaté que bien des couples lesbiens ou gays s’appuient sur l’institution, c’est-à-dire sur des règles qu’ils n’ont pas inventées et qui relèvent d’une culture commune. C’est vrai en particulier pour tout ce qui touche à la filiation et à la succession des générations.

Vous interrogez le terme d’« homoparentalité ». Pour quelle raison ?

En accolant ces deux termes, « homo » et « parentalité », on laisse entendre qu’il y aurait une manière d’être parent propre aux homosexuels. C’est d’ailleurs également vrai pour le terme « hétéroparentalité ». Bien sûr, le terme « homoparentalité » permet à des gens de se faire reconnaître, de se regrouper et de porter une revendication. Mais si l’on y réfléchit, il est très discutable. En outre, du point de vue psychanalytique, mon troisième niveau d’analyse, il n’existe aucun rapport dans les processus inconscients entre l’orientation sexuelle et le fait d’assumer psychiquement une position de parent. Les couples homosexuels forment effectivement des configurations familiales particulières. Ce n’est pas papa, maman et les enfants. Je crois d’ailleurs que l’on a une vision trop réductrice de la famille. Les couples homosexuels ont des parents, des frères et sœurs, des proches des deux sexes… Et ils s’arrangent pour que l’enfant soit assez souvent en lien avec des personnes des deux sexes dans le cadre de cette famille élargie. Mais au final, lorsqu’on écoute ce qu’ils disent, pour la psychanalyse, leur expérience de la parentalité relève de processus psychiques très classiques.

Vous dites qu’il peut y avoir de l’homoparentalité dans l’hétéroparentalité. C’est-à-dire ?

Toujours du point de vue des processus psychiques inconscients, Freud a montré qu’il existe des tendances homosexuelles et hétérosexuelles en chacun d’entre nous. Pas en termes de conduite mais dans la vie fantasmatique. Un couple hétérosexuel banal ayant des enfants peut être animé de fantasmes de type homosexuel. De même, j’ai perçu chez des parents homosexuels l’existence de fantasmes de type hétérosexuel. Je pense à des femmes inséminées qui entretiennent un sentiment quasi amoureux à l’égard du donneur de sperme qu’elles n’ont pourtant jamais rencontré. La situation de ces hommes qui se mettent d’accord avec des femmes pour une insémination artisanale ou de ces couples qui ont recours à l’insémination artificielle m’incite d’ailleurs à penser que le fait de s’engager dans l’expérience de la parentalité renvoie forcément, d’une façon ou d’une autre, à une dimension hétérosexuelle. Pour faire un enfant, il faut nécessairement un lien avec l’hétérosexualité car l’homosexualité, en tant que telle, ne conçoit pas d’enfant. Sans compter que le fait de devenir parents renvoie les parents homosexuels, comme les autres, à la manière dont eux-mêmes ont été conçus, dans un rapport hétérosexuel.

On entend souvent dire que de bons parents homosexuels sont préférables à de mauvais parents hétérosexuels. Est-ce un argument en faveur de l’homoparentalité ?

Les parents maltraitants peuvent aussi bien être hétérosexuels qu’homosexuels. Cela ne garantit rien. Et toujours d’un point de vue psychanalytique, on sait que les bons et les mauvais parents n’existent pas. Il s’agit là de normes sociales, les parents étant sans cesse sous le projecteur des jugements de valeur quant à leur capacité à élever leurs enfants.

En quoi ce que vous nommez la permutation symbolique des places est-elle importante ?

Quand un adulte devient parent, un processus psychique se met généralement en œuvre par lequel il renonce à sa propre position d’enfant afin de la libérer pour l’enfant qui arrive. Ce mouvement s’accompagne d’un processus qui consiste à mettre ses propres parents en position de grands-parents, au-delà de la simple reconnaissance légale de ce rôle. Psychiquement, cela revient à se placer soi-même en première ligne et à accepter que ses propres parents soient mis en seconde ligne. Or on retrouve ce processus aussi bien dans les couples homosexuels que dans les couples hétérosexuels. Que l’on soit en couple homo ou hétérosexuel, dans le devenir parental, on est confronté à des processus psychiques très semblables, même si, dans la réalité quotidienne, les choses se jouent différemment.

De ce point de vue, les parents homosexuels sont donc des parents comme les autres ?

Oui, mais ce « comme » recèle des différences. Encore une fois, il existe des processus psychiques communs mais tout ne se joue pas de la même façon. On ne peut pas faire totalement comme si tout était indifférencié. D’ailleurs, dans ces familles, les enfants eux-mêmes posent forcément des questions que ne posent pas d’autres enfants. Ce qui ne signifie pas que la situation soit difficile à vivre pour eux. Tout dépend de la clarté des adultes, de leur capacité à assumer ce qu’ils sont, à dire les choses clairement, à parler de la famille qu’ils ont voulu fonder. Ont-ils expliqué clairement à leurs enfants comment ils ont été conçus ? Car cela fait bien sûr une différence d’avoir été conçu par insémination, qu’elle soit médicale ou artisanale, et d’être élevé par des parents homosexuels. Mais cela peut se parler.

REPÈRES

Alain Ducousso-Lacaze est professeur de psychologie clinique à l’université de Poitiers. Auteur de nombreux travaux sur l’homoparentalité, il a notamment codirigé le n° 173 de la revue Dialogue (Ed. érès, 2006) consacré aux « homoparentalités ».

Plus récemment, il a publié l’article « Homoparentalité : apports d’une approche psychanalytique » (revue Le divan familial, n° 25).

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur