Recevoir la newsletter

Qui sont les jeunes travailleurs sociaux ?

Article réservé aux abonnés

Image

Niveau d’études des nouveaux inscrits en 2009

Crédit photo JÉRÔME VACHON
Pourquoi, en 2011, choisit-on de devenir travailleur social ? Dans une société en crise, la question mérite d’être posée. Les ASH ont enquêté dans quatre grandes villes auprès d’étudiants et de jeunes assistants de service social ou éducateurs spécialisés, et ont recueilli l’analyse de deux experts. Un constat : si les jeunes travailleurs sociaux restent portés par des valeurs fortes, leurs débuts professionnels se révèlent plus difficiles que ceux de leurs aînés.

Dans une société en crise, marquée par le libéralisme ambiant, la montée des individualismes et un certain désenchantement à l’égard de la question sociale, les professions dites de la main gauche de l’Etat – sociales, éducatives, soignantes… – ne semblent guère avoir le vent en poupe. Le nombre des travailleurs sociaux ne cesse pourtant d’augmenter, du moins selon les derniers chiffres portant sur la période 1993-2002 (1). L’effectif global des travailleurs sociaux, hors aide à domicile, a alors connu une croissance de 6 % par an, pour atteindre un total de près de 350 000 (hors assistantes maternelles). Une évolution qui concerne d’abord les professions canoniques de niveau III que sont les assistants de service social et les éducateurs spécialisés. Les premiers, durant cette période, ont vu leurs effectifs croître de 3 % l’an, passant de 31 000 à 40 000. Pour les seconds, cette hausse a été de 6 % par an, pour un effectif s’envolant de 60 000 à 99 000 éducateurs diplômés.

Mais pourquoi le travail social continue-t-il d’attirer des jeunes ? Qui sont ces nouveaux venus et quelles sont leurs motivations ? Pour répondre à ces questions, les ASH ont décidé d’aller à leur rencontre. Une enquête que nous avons volontairement limitée aux seules professions d’assistant de service social et d’éducateur spécialisé, les plus anciennes et les plus nombreuses (en dehors des assistantes maternelles) au sein du secteur social et médico-social. Nos journalistes ont recueilli dans quatre grandes villes – Paris, Toulouse, Rennes et Strasbourg – les témoignages de 16 jeunes en 3e année de formation ou en début de carrière. Ils ont abordé avec eux plusieurs grands thèmes : leur histoire familiale, leurs valeurs, le rôle de la formation dans leur conception du métier, leur vision de l’avenir et le problème de l’emploi.

Quel engagement ?

Pour mettre leurs témoignages en perspective, nous avons également interrogé deux spécialistes des professions sociales. Le sociologue Alain Vilbrod étudie depuis plus de vingt ans le métier d’éducateur spécialisé. Auteur, entre autres, de Devenir éducateur : une affaire de famille (Ed. L’Harmattan, 1995) et de L’identité incertaine des travailleurs sociaux (Ed. L’Harmattan, 2003), il travaille actuellement à une vaste enquête sur les trajectoires et les motivations des jeunes éducateurs spécialisés, pour laquelle il a questionné 1 500 d’entre eux. L’autre expert, Christine Garcette, fut longtemps présidente de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS). Professionnelle de terrain, formatrice, responsable de service, elle publie avec Brigitte Bouquet Assistante sociale aujourd’hui (Ed. Maloine, 2011, 5e édition mise à jour).

Premier grand constat : on ne choisit pas de devenir travailleur social par hasard. « C’était déjà vrai il y a vingt ans pour les éducateurs, et ça le reste », affirme Alain Vilbrod. Pour bon nombre d’entre eux, en effet, le choix d’une profession sociale s’inscrit dans la continuité d’une histoire familiale et d’un engagement personnel. « Ils sont très peu, environ 2 ou 3 %, à adhérer à un parti politique ou à un syndicat, poursuit le sociologue. En revanche, beaucoup sont engagés dans une association à finalités culturelles, sportives, éducatives, sociales… Dans tous les cas, les valeurs d’engagement sont extrêmement fortes. Ils sont dans le collectif et portent des aspirations à la militance, des attentions à la pauvreté et à la marginalité. De ce point de vue, je ne sens pas de grands écarts avec la génération précédente. » Sans compter tous ceux dont les parents exercent déjà une profession sociale ou déclarent un engagement associatif ou politique fort, parfois les deux. « Plus du quart des mères des élèves éducateurs sont enseignantes ou travailleuses sociales. Le phénomène d’endorecrutement, déjà amorcé il y a vingt ans, se renforce. »

Du côté des assistants de service social, cet enracinement familial et militant est peut-être un peu moins sensible. « Les jeunes AS me semblent moins militants qu’ils ne l’ont été, nuance Christine Garcette. Ils sont sensibilisés aux questions sociales et aux problèmes humanitaires et de solidarité, mais très peu engagés à titre personnel. Auparavant, on trouvait très souvent dans le parcours des candidats un engagement associatif. C’est beaucoup moins vrai et c’est dommage. » Pour l’ancienne présidente de l’ANAS, le choix des études d’assistant social correspond aujourd’hui sans doute moins à des valeurs positives héritées du milieu familial qu’à une sensibilité aux situations de précarité vécues dans leur entourage. « Ce sont les difficultés économiques et sociales de leurs parents qui leur ont ouvert les yeux, et ils ont envie de faire quelque chose », analyse-t-elle. Néanmoins, le travail social est-t-il encore vécu par certains comme une vocation ? « Je n’oserais plus employer ce mot, répond Christine Garcette, on me regarderait avec des yeux ronds. Je rencontre de moins en moins de jeunes AS qui me disent : “C’est ce que j’ai toujours voulu faire.” Pour beaucoup d’entre eux, ce métier est plutôt une réorientation, et non un projet à long terme. Je fais l’hypothèse que les études universitaires ne leur ont pas laissé entrevoir des débouchés professionnels suffisamment sécurisants. C’est une différence par rapport à ce que l’on pouvait observer il y a une dizaine d’années. »

Autre tendance : la forte diminution du nombre de jeunes issus de familles aisées. En effet, leurs parents sont plus fréquemment employés ou ouvriers qu’il y a vingt ans. « Les jeunes AS sont davantage issus de milieux modestes et même précaires. Du coup, je les sens eux-mêmes plus fragiles », observe Christine Garcette. « Il faut toutefois se méfier de la représentation ancienne de l’assistante sociale issue d’une famille bourgeoise et catholique, prévient Alain Vilbrod. Lorsque j’ai étudié des dossiers des professionnelles des années 1950 et 1960, je me suis rendu compte que les promotions étaient déjà beaucoup moins bourgeoises qu’on pouvait le penser. » Quant aux éducateurs, « leur recrutement est quasi identique à celui des AS, précise le chercheur. On continue à puiser dans les milieux modestes avec une surreprésentation des petites villes et du milieu rural. » Les filières d’assistant social et d’éducateur spécialisé demeurent en outre relativement étanches car il persiste de fortes césures dans les représentations entre ces métiers, et seule une minorité tente indifféremment les concours d’entrée aux deux formations.

Pour ces jeunes issus de familles modestes, les formations de niveau III en travail social représentent bien souvent l’occasion d’accéder à un diplôme de l’enseignement supérieur sans pour autant s’engager dans des études longues. « Les parents ont connu une certaine ascension sociale et ont beaucoup misé sur leurs enfants via la scolarité, à la fois pour prolonger cette ascension et pour aller vers des métiers plus protégés », note Alain Vilbrod. A cela s’ajoute une certaine forme de revanche sociale : « Il n’est pas rare que leurs mères occupent des emplois d’aide à la personne ou des fonctions techniques ou administratives dans les organismes sociaux et médico-sociaux ou les établissements scolaires. Elles aspirent à ce que leurs enfants intègrent ces professions qui constituent leur hiérarchie. Il y a là quelque chose de fort. »

Un accès à l’enseignement supérieur

Revers de la médaille : cette pression familiale, une relative méconnaissance des circuits de l’enseignement supérieur et la nécessité de commencer à gagner sa vie sans trop tarder empêchent, sans doute, certains jeunes de se projeter dans des études plus longues. Sans compter ceux pour qui le choix du social constitue une façon de s’engager dans une formation supérieure après une scolarité difficile. Autant de facteurs qui peuvent d’ailleurs expliquer le taux élevé de travailleurs sociaux reprenant ultérieurement des études, parfois à haut niveau.

En réalité, ce qui change le plus par rapport aux générations précédentes, c’est le contexte économique et social difficile que doivent affronter aujourd’hui les néoprofessionnels. Déjà, en tant qu’étudiants, beaucoup d’entre eux se trouvent en situation précaire (2). « Ils sont nombreux à bénéficier de bourses ou d’aides à la formation de la part de Pôle emploi, confirme Christine Garcette, et certains doivent travailler en plus le soir ou le week-end, souvent au détriment de leurs études. » Et une fois diplômés, leur insertion professionnelle apparaît nettement moins aisée qu’il y a quelques années, en raison, notamment, de la réduction générale des subventions et d’une baisse des qualifications à l’embauche, qui pèsent sur les diplômes de niveau III. Sans compter les effets de la réforme des retraites, laquelle devrait retarder mécaniquement la sortie du marché du travail des anciennes générations de travailleurs sociaux. « Devenir AS reste un choix professionnel qui ne sera, à mon avis, jamais motivé par la seule recherche d’une certaine sécurité d’emploi, commente Christine Garcette. Mais cela joue forcément parmi d’autres paramètres, et je suis étonnée de voir que des jeunes diplômés n’arrivent pas à trouver du travail. Pour la première fois, j’entends parler de chômage dans le travail social, même chez les AS. » Selon Alain Vilbrod, les jeunes éducateurs, de leur côté, ne se montrent pas très inquiets : « A tort ou à raison, ils ont le sentiment qu’ils parviendront à s’insérer, même s’ils ont bien compris que cela sera plus difficile que pour leurs aînés. » De quoi décourager les nouveaux venus dans le travail social ? « Dans l’ensemble, ils ne sont pas dans la plainte, précise le sociologue, mais ils ont l’impression qu’on leur demande de gérer des populations en plus grande difficulté qu’autrefois. Ils mentionnent souvent la dureté du travail liée à la montée de la précarité, des troubles mentaux, et aussi l’obligation, du fait de leur diplôme, d’être dans une position d’organisateur et d’animateur de professionnels moins formés. Mais on ne peut pas dire qu’ils expriment une souffrance ou une envie précoce de changer de métier. » Christine Garcette reste, pour sa part, dubitative, voire inquiète, sur le niveau d’engagement des nouvelles générations : « Mon propos est peut-être un peu dur mais, pour certains, après leur diplôme, on ne les sent pas tout feu tout flamme. » Pour quelles raisons ? « Ils ont déjà eu une 3e année difficile avec un diplôme qui n’est pas donné. Et ils ont rencontré des professionnels qui leur ont expliqué que l’essentiel était d’avoir un boulot et de faire ce qu’ils pouvaient. Ce qui ne les incite pas à mettre la barre de l’exigence très haut et à s’engager. Maintenant, il faut peut-être attendre de voir de quelle façon ces jeunes travailleurs sociaux pourront s’inscrire dans des mouvements tels que les Indignés. C’est quelque chose que j’espère, sinon on va droit dans le mur. »

SOMMAIRE

Histoires de famille

Le travail social en héritage

p. 38

Question de valeurs

Motivés et solidaires

p. 40

Le choc de la formation

Retour sur soi

p. 42

Un avenir incertain

Jusqu’ici, tout va bien…

p. 44

Un profil type

Publiés en mars dernier, les chiffres officiels les plus récents sur les étudiants en travail social portent sur les années 2008 et 2009 (3).

A la rentrée 2009, sur un effectif total de 64 983 étudiants en travail social, on comptait 13 635 éducateurs spécialisés (ES) et 8 722 assistants de service social (AS). L’Ile-de-France arrivait largement en tête, avec 3 058 éducateurs et 2 044 assistants sociaux en formation, suivie des régions Rhône-Alpes (1 198 ES et 862 AS), Nord-Pas-de-Calais (1 262 ES et 751 AS) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (844 ES et 749 AS).

En ce qui concerne les nouveaux professionnels, une étude réalisée en 2010 sur la base de l’enquête « Génération » menée par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) en 2004 (4) souligne que leurs débuts sont moins difficiles que dans d’autres secteurs d’activité. Leur insertion professionnelle est en effet plus rapide et plus stable que celle d’autres diplômés de niveau équivalent. Cela semble contradictoire avec la perception d’un certain nombre de personnes interrogées par les ASH (voir p. 44), mais s’explique peut-être par l’ancienneté des chiffres repris dans cette étude. De fait, depuis 2004, la situation économique et sociale s’est nettement détériorée et l’Etat a fortement resserré les cordons de la bourse, entre autres via la révision générale des politiques publiques (RGPP). Ce qui n’est probablement pas sans conséquence sur l’emploi dans les structures sociales et médico-sociales. Toujours est-il qu’il y a sept ans, selon les chiffres du CEREQ, plus de 85 % des nouveaux diplômés des formations sociales de niveau III et IV avaient trouvé un emploi moins de cinq mois après leur sortie. Et pour près de la moitié, la durée d’occupation de ce premier poste dépassait les deux ans (contre un tiers pour les autres diplômés). Autre chiffre : 70 % occupaient un emploi à durée indéterminée trois ans après avoir décroché leur diplôme. A noter que 80 % estimaient alors que l’emploi occupé lors de l’enquête correspondait à leurs compétences mais ils étaient plus nombreux que parmi les autres diplômés (22 % contre 11 %) à avoir envie de changer d’emploi.

Répartition par âgeProfession du parent référent en 2009Situation des nouveaux inscrits l’année précédant l’entrée en formation en 2009Niveau d’études des nouveaux inscrits en 2009Statut des nouveaux inscrits en 2009
Notes

(1) « Les métiers du travail social » – DREES – Etudes et résultats n° 441 – Novembre 2005.

(2) Voir l’enquête « Pauvres étudiants ! », parue dans ASH Magazine n° 25 du 1-02-08.

(3) « La formation aux professions sociales en 2008 et 2009 » – Pascale Grenat et Sandra Nahon – Série statistiques n° 154 – Mars 2011 – Disponible sur le site de la DREES.

(4) « Les débuts de carrière des diplômés des professions sociales » – Etudes et résultats n° 734 – Juillet 2010 – Disponible sur le site de la DREES.

Enquête

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur