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Le travail social en héritage

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On ne devient pas travailleur social par hasard. Les jeunes éducateurs spécialisés et les assistants de service social sont bien souvent issus de familles où l’on trouve déjà des travailleurs sociaux, du moins des personnes engagées dans des domaines associatifs ou en politique. Ces influences familiales nourrissent leur choix professionnel.

Le travail social n’est, à l’évidence, pas un métier comme les autres. Malgré sa technicité, il implique un réel engagement ainsi que le souci de l’autre et des capacités d’écoute. Des qualités, ou des valeurs, qui se transmettent d’abord par l’entourage familial et les proches. C’est ce que les entretiens réalisés par les ASH pour les besoins de cette enquête montrent clairement. Une culture familiale qui a manifestement guidé leur choix de carrière.

Educateur de rue dans une association du Mirail, Edouard Hassler, 27 ans, diplômé en juin 2011 de l’Ifrass (1) de Toulouse, est né dans le social. Sa mère est psychologue dans un centre médico-social – « et mes grands-parents paternels, responsables de centres sociaux, ont lancé l’éducation spécialisée en Aquitaine », précise-t-il. Son parcours n’a cependant pas été linéaire : « J’ai grandi dans des quartiers populaires où j’ai fait pas mal de bêtises, avec pour conséquences des renvois scolaires et des démêlés avec les forces de l’ordre. Plus tard, en classe préparatoire de physique-chimie, je n’ai pas apprécié l’élitisme. J’ai voulu faire plus de social et devenir prof d’éducation physique et sportive, mais je suis arrivé à une période de réduction de postes. Comme de toute façon je voulais travailler en zone d’éducation prioritaire avec des jeunes en difficulté, je me suis orienté finalement vers l’éducation spécialisée via mes parents et des amis. » Autre parcours : celui de Maud Musset, éducatrice en CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) après sa sortie de l’Institut régional du travail social (IRTS) de Rennes en 2009, dont la mère est enseignante en ZEP. Enfant, Maud l’a souvent accompagnée lors de mobilisations pour défendre des parents d’élèves sans papiers. D’abord attirée par la profession d’avocat afin de « défendre les délinquants et leur donner une deuxième chance », Maud a découvert et aimé le métier d’assistante sociale en faisant un stage avec une tante. « Mes parents m’ont toujours encouragée et dit qu’ils étaient fiers de moi pour cet engagement », se félicite-t-elle. C’est à son oncle éducateur, « rassurant, qui fait du bien, qui aide », que Véronique Laville, en 3e année à l’IRTS de Rennes, a pour sa part voulu ressembler à l’âge de 15 ans. Après une première carrière dans le design, elle est revenue plus tard à cette passion d’adolescente. « Le fait que je change de voie à 30 ans, alors que j’avais un CDI, a fait peur à mes parents [représentant et agent de recouvrement, ndlr]. Mais ils ont trouvé que cette reconversion correspondait bien à mon caractère ».

Accepter la filiation…

L’encouragement à suivre la voie du social peut aussi être lié à l’engagement militant ou associatif des parents. Ceux de Tifenn Donnart, 29 ans, en 3e année à l’IRTS de Rennes, bien que de milieu modeste (la mère est agent d’entretien, le père technicien), sont ainsi très investis sur les plans associatif, politique et syndical. « Ils allaient beaucoup vers les autres, témoigne-t-elle. Ils m’ont donné envie de suivre leur exemple. » Même chose pour Antoine Caillaud, 25 ans, en 3e année à l’IRTS Parmentier, dont les parents tenaient un gîte accueillant des personnes handicapées durant les vacances. Son père, employé de banque, faisait aussi partie du conseil d’administration d’un foyer de vie pour handicapés mentaux. A cela s’est ajoutée une expérience personnelle qui a achevé de l’orienter vers un métier d’aide : « J’ai eu des difficultés scolaires, se souvient-il. Même si je n’ai pas eu besoin d’un éducateur, mes parents, mes enseignants, mes frères et sœurs m’ont aidé. ça m’a donné envie de soutenir les autres à mon tour. » D’un milieu plus aisé (mère chargée de communication et père ingénieur), Elise Longagne, 25 ans, en 3e année à l’ERASS (2) de Toulouse, a elle aussi été inspirée par l’engagement de ses parents – mère à la Libre pensée (3) et père au PS, premier adjoint de son village. Mais elle a dû les convaincre de la justesse de son choix professionnel. « Mes parents pensaient que j’aurais pu faire mieux (Sciences-Po, ENA). Aujourd’hui, ils voient que je suis épanouie et ils sont fiers de dire que leur fille va être assistante sociale ! » Caroline Rénier, 28 ans, qui termine son cursus d’éducatrice à l’Ifrass, a, elle, grandi dans une cité populaire où sa mère était institutrice : « Elle était très investie dans ses missions », raconte-t-elle. Ses grands-parents paternels, militants très à gauche, s’occupaient d’habitat social dans la Seine-Saint-Denis. « Dans la cité, on se rendait compte que tout le monde ne pouvait pas s’acheter un jean Levi’s et que nous avions de la chance. Notre famille de la classe moyenne [le père est ingénieur, ndlr] nous a cependant toujours permis d’aller au bout de ce qu’on voulait faire, études ou loisirs », souligne-t-elle. Son trajet vers le social n’a cependant pas été direct : c’est sa passion pour le cheval et ses expériences d’accompagnement en tourisme équestre d’enfants handicapés ou en difficulté sociale qui l’ont ramenée vers l’éducation spécialisée.

Parfois, le choix du travail social peut survenir après des détours, voire des échecs dans d’autres voies. Julien Amrhein souhaitait devenir professeur d’histoire. Après avoir échoué à sa licence et au concours de professeur des écoles, il a passé la sélection de l’ESTES (4) de Strasbourg. Une école qu’avaient déjà fréquentée son père, directeur du service social de Schiltigheim, et sa belle-mère, éducatrice spécialisée à la caisse d’allocations familiales… Il a décroché le diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé (DEES) en 2011. Des événements dramatiques ou les difficultés rencontrées par des proches peuvent aussi orienter vers les métiers du travail social. C’est ce qui est arrivé à Julie Milhau, 28 ans, fille d’enseignants, assistante sociale au conseil général de la Haute-Garonne. Sa tante a eu deux enfants handicapés, dont l’une était handicapée moteur. « J’ai toujours été proche de cette cousine, raconte-t-elle. En la promenant, j’ai constaté que rien n’était adapté. Ma tante était en relation avec des assistantes sociales pour obtenir des aides pour rendre son appartement accessible. C’est comme ça que j’ai découvert ce métier. » Quant au choix de la protection de l’enfance, il est peut-être lié au décès de sa mère lorsqu’elle avait 10 ans. « Face à la situation de souffrance que j’ai vécue, j’ai réussi à prendre le dessus et je peux aider les autres », assure-t-elle.

… ou la refuser

A l’inverse, il arrive parfois que le choix du travail social se fasse en opposition aux opinions ou aux attentes familiales. « Mes parents disaient que les AS servent à entretenir les cas sociaux qui piquent le boulot des bons Français », raconte une jeune assistante sociale en poste dans un conseil général, qui, en rupture avec sa famille, avait elle-même bénéficié d’un contrat « Jeune majeur ». Le travail social n’était pas bien vu non plus dans la famille de Cécile Clément, 20 ans, diplômée de l’ESTES de Strasbourg en 2011. Pour son père, employé aux espaces verts, ce n’est pas « un vrai métier ». « La plupart des membres de ma famille travaillent dans le secteur marchand. Moi, je ne voyais pas comment j’aurais pu m’y sentir utile, affirme-t-elle. J’avais envie de faire un métier que j’aime… et peut-être un métier qui montre à mon père que je ne pense pas comme lui ! » Tinhinane Boukhtouche, 31 ans, diplômée en 2009 de l’IRTS Parmentier, assistante sociale en protection de l’enfance, a aussi dû lutter contre les préjugés de ses parents (petit commerçant et femme au foyer) pour imposer son choix. « Après une maîtrise en administration économique et sociale, je me destinais à une carrière dans la banque, explique-t-elle. Mais j’ai réalisé que mes aspirations allaient vers l’altruisme plutôt que vers le commercial. Mes parents n’ont pas compris. Pour moi, c’était un vrai choix de vie. » André Togba, 26 ans, est l’un des rares hommes en 3e année de formation d’assistant social à l’IRTS Ile-de-France. Une réorientation voulue après avoir entrepris des études de droit. « Mon père n’était pas ravi car lui était agrégé de droit. De plus, pour moi, ça bouche la possibilité de rentrer au pays. » Pourquoi devenir travailleur social ? « J’ai toujours aimé le contact, la relation d’aide. Une de mes tantes est AS scolaire et un cousin est éducateur. Même si au départ ça ne m’intéressait pas plus que ça, j’ai occupé deux emplois saisonniers en tant qu’adjoint administratif en polyvalence de secteur. Là j’ai rencontré des assistantes sociales et des éducateurs… Je me suis dit : c’est ça qu’il me faut. Ma mère est responsable des ressources humaines. Elle m’a dit vas-y, fais ta vie. »

Notes

(1) Institut de formation, recherche, animation, sanitaire et social.

(2) Ecole régionale d’assistants de service social.

(3) La Fédération nationale de la libre pensée est un mouvement qui revendique des valeurs laïques et sociales.

(4) Ecole supérieure en travail éducatif et social.

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