Comme beaucoup de jeunes travailleurs sociaux, Sabrina Lemée, Bretonne de 27 ans, a investi ses espoirs d’une vie meilleure dans sa formation d’assistante de service social (AS). Sortie de l’Institut régional du travail social (IRTS) de Rennes en 2009 et embauchée par le conseil général du Morbihan, elle a en effet une histoire familiale difficile derrière elle. « Pour moi, être AS a clairement été un ascenseur social. Je suis sortie du monde ouvrier. Je n’avais pas envie de faire des études longues et, aujourd’hui, je suis très fière d’être diplômée. ». La même motivation s’exprime chez Tifenn Donnart, 29 ans, étudiante en 3e année à l’IRTS de Rennes : « J’ai toujours aimé l’école et je ne me voyais pas m’arrêter au bac. Trois ans d’études, ça permet de se poser et d’en imposer. Pour moi, le métier d’assistante sociale est un moyen d’obtenir une reconnaissance sociale. Celle que mes parents n’ont pas pu avoir par leur travail parce qu’ils n’étaient pas diplômés. »
Pour d’autres, le choix d’une profession sociale apparaît plutôt comme une première étape, dans un parcours professionnel qui permettra, dans certains cas, de renouer avec les attentes de leurs familles. C’est le cas d’André Togba, 26 ans, élève en 3e année d’assistant de service social à l’IRTS d’Ile-de-France, à Paris. Une formation entamée après des études de droit. Le calcul d’André : « Commencer peut-être dans le service social scolaire, pour travailler sur l’insertion des enfants handicapés et l’aide financière aux familles. En parallèle, j’envisage déjà de reprendre des études. Je veux éviter de faire une coupure. » Juliette Simon, l’une de ses camarades de 3e année, entend elle aussi évoluer. A 26 ans, licenciée en histoire de l’art, elle aimerait bien « travailler sur la réinsertion des sortants de prison ou la protection judiciaire de la jeunesse ». Mais, par la suite, il y a l’option de travailler dans une entreprise privée, toujours dans le social : « Cela ne me gênerait pas. On peut travailler avec des ouvriers, et puis j’ai déjà un pied dedans avec EDF, où travaille mon père. »
Quelques-uns, en revanche, ne sont pas loin de regretter le choix d’un métier social qui les met en porte-à-faux avec leur milieu. A l’image de Cécile Clément, 20 ans, assistante sociale diplômée en 2011 à l’ESTES (1) de Strasbourg : « Parmi mes amis, nombreux sont ceux qui ont passé un bac S. Un décalage se crée. Ils font des études plus longues et vont gagner plus d’argent. Je ne m’imagine pas faire assistante sociale toute ma vie. J’ai la sensation que je finirai par changer de métier. Mais pour faire quoi ? Je n’en ai encore aucune idée. »
S’ils restent pour la plupart motivés, les jeunes travailleurs sociaux se montrent néanmoins inquiets de l’évolution de l’emploi dans le secteur social et médico-social, compte tenu des difficultés qu’ils décrivent dans leur recherche d’un poste. En effet, la souplesse tant vantée du marché de l’emploi dans le secteur social et médico-social n’apparaît pas dans les témoignages des jeunes professionnels. Comme celui de Julien Amrhein, Alsacien de 28 ans, éducateur spécialisé (ES) diplômé en 2011 de l’ESTES de Strasbourg, qui confie : « Une fois mon diplôme en poche, j’avais pour projet de travailler dans le secteur du handicap. Mais j’ai été très naïf quant à l’état du marché du travail. J’ai envoyé des dizaines de candidatures spontanées et je n’ai eu que deux réponses positives – un CDD à mi-temps et un travail à horaires éclatés. Je suis finalement en CDD dans le secteur de la précarité, sur un poste qui peut ou non être pérennisé. » Même déception chez Maud Musset, Rennaise de 23 ans, elle-même éducatrice diplômée en 2009 : « En deux ans et demi, j’ai envoyé une centaine de CV et je n’ai jamais eu un seul entretien. » Un problème d’âge, selon elle – « les recruteurs préfèrent ceux qui ont de la bouteille » –, mais aussi un marché du travail comprimé. « J’ai d’abord fait un remplacement d’un jour, puis d’une semaine, puis d’un mois, reprend-elle. Un an et demi après mon diplôme, j’enchaînais les petits contrats et je gagnais 500 € par mois. C’était super dur, je ne m’attendais pas à ça ! J’ai finalement décroché un CDD d’un an et demi dans un CHRS d’accueil et d’insertion de femmes, et je passe en CDI en janvier, mais à 80 %. »
Les salaires ne sont pas non plus à la hauteur de l’investissement humain nécessaire dans le travail social, regrettent de nombreux débutants. « Je suis très satisfaite de travailler selon mes valeurs de vie, mais c’est un boulot éreintant qu’on ne fait pas pour l’argent. A 80 %, je gagnerai seulement 1200 € », souligne Maud Musset. Pour Sabrina Lemée, si le métier d’assistante sociale reste une profession valorisante dont elle ne regrette pas le choix, le salaire la déçoit : « Je ne savais pas que je toucherais si peu ! Entre 1 100 et 1 500 € selon les départements. Avec les responsabilités que l’on a, c’est complètement anormal. Je pensais aussi que j’allais trouver du travail facilement. J’ai vite déchanté. Et je ne m’attendais pas à devoir être aussi mobile. Deux ans après ma sortie d’école, je suis toujours contractuelle. Il faut être motivée. »
Une réalité qui ne décourage cependant pas toutes les vocations, surtout celles de personnes reconverties après une première vie professionnelle. Régine Brillant, 47 ans, ancienne conseillère financière, sera diplômée de l’ESTES en 2012. En devenant assistante sociale, elle divise son salaire par deux. « Je passe d’un CDI avec vingt-cinq ans d’expérience dans la banque à un CDD sans doute, dans un secteur peu valorisé et réputé difficile. » Elle s’entête pourtant : « De toute façon, c’était ça ou rester dans un secteur qui ne me convenait plus. » Concernant les débouchés, Régine vise un secteur précis – la réinsertion des anciens détenus –, mais est prête à élargir sa recherche : « J’imagine que ça ne sera pas simple, surtout que les prochaines coupes claires se feront dans le social. »
Mais c’est surtout la mauvaise image des professions sociales, du moins ce qu’ils perçoivent comme telle, qui pèse sur les jeunes travailleurs sociaux. « La plupart des gens ne comprennent pas vraiment ce que je fais, témoigne Julien Amrhein. Ce travail n’a pas très bonne réputation. Comme nous sommes dans le secteur non marchand, plane l’idée, largement relayée par le gouvernement actuel, que nous coûtons à la société plus que ce que nous rapportons. » Il n’est pas le seul à être amer. Maud Musset se dit également un peu désabusée : « Je n’ai pas choisi ce métier pour la reconnaissance sociale, mais nous nous faisons casser tout le temps car nous encouragerions l’assistanat et nous serions des utopistes. Comme si les gens croyaient que mon métier, c’est d’encourager les profiteurs… »
Une mauvaise opinion qui en révolte plus d’un. Les métiers du social, qui concourent à la tranquillité et à la paix sociale, sont « utiles à l’Etat », rappelle Juliette Simon, surtout lorsque les publics se débattent dans des situations de plus en plus compliquées. « On sent que la misère croît », s’alarme-t-elle. Des inquiétudes qui n’entament cependant pas la combativité de Tifenn Donnart : « Je trouve que c’est un métier valorisé et valorisant par le côté humain, mais on ne le fait pas pour l’argent. Le travail social n’est pas une priorité du gouvernement et ceux des promos précédentes nous disent qu’il est de plus en plus compliqué de trouver un emploi. Cela ne remet pas en cause ma motivation, mais je sais que cela en refroidit beaucoup. »
Certains, plus rares, se montrent moins sensibles à la conjoncture. C’est le cas d’Edouard Hassler, 27 ans, diplômé de l’Ifrass (2) de Toulouse en juin 2011. Educateur de rue en CDD, il est issu d’une famille très à gauche, impliquée dans le secteur social. « Le travail n’est pas un objectif dans ma vie. Ce n’est pas pour la rémunération ou le statut social que j’ai choisi ce métier, mais parce qu’il correspond à mes convictions. D’ailleurs, je ne suis pas en recherche de CDI, j’ai la bougeotte. » Son atout dans un secteur très féminisé : « Je suis sportif et costaud, je trouve donc facilement du travail. Ça me permet de bosser quand j’en ai envie. » Caroline Rénier, 28 ans, en dernière année à l’Ifrass, est, elle, passionnée de cheval et monitrice d’équitation. Elle n’envisage pas le métier d’éducateur spécialisé comme un ascenseur social : « Je sais que ce métier est bouché. Je me suis assez fait rebattre les oreilles par Pôle emploi avec ça. » Il s’agit pour elle d’avoir une corde supplémentaire à son arc. Avec sa double casquette, elle pense pouvoir trouver du travail sans trop de difficulté. Dès l’an prochain – on le lui a promis –, elle devrait intégrer un centre d’accueil pour personnes en difficulté sociale qui utilise le cheval comme outil de médiation.
(1) Ecole supérieure en travail éducatif et social.
(2) Institut de formation, recherche, animation, sanitaire et social.