« Monsieur le président de la République, faisons enfin appliquer la loi DALO ! » A cinq mois de l’élection présidentielle, et alors que la loi sur le droit au logement opposable (DALO) doit franchir sa dernière étape au 1er janvier 2012 (1), le cinquième rapport du comité de suivi de cette loi interpelle fermement le chef de l’Etat sur ses « obligations de résultat ». Les constats, en effet, sont graves : « l’Etat est toujours hors la loi », déplore l’instance présidée par Xavier Emmanuelli, qui présentait son rapport le 30 novembre au cours du quatrième bilan parlementaire organisé par les députés Etienne Pinte (UMP) et Jean-Yves Le Bouillonnec (PS). « Malgré les lacunes de l’information pour 2011 [2], les données disponibles permettent d’affirmer que, globalement, l’application du DALO n’a pas progressé au cours des derniers mois. Au contraire, les relogements ont diminué en Ile-de-France et le droit à l’hébergement est tenu en échec dans de très nombreux départements. »
Durant le premier semestre 2011, le rythme de dépôt des dossiers s’est maintenu à plus de 6 000 par mois, les huit départements franciliens continuant à enregistrer près de deux recours sur trois. Variable d’un département à l’autre, la part des recours « hébergement » a continué sa progression pour atteindre 15 %. Le taux moyen de décisions favorables, tous recours confondus, reste stable : 44,6 %. De fait, la part majoritaire des décisions défavorables interroge toujours le comité « sur l’information et l’assistance dont bénéficient les requérants ».
Entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010, près de 40 000 ménages ont été relogés ou hébergés. La mise en œuvre des décisions de relogement reste très inégale, le comité estimant « le retard total à environ 22 000 ménages à fin juin 2011 ». Si les décisions favorables sur les recours logement sont correctement appliquées dans trois départements sur quatre, en Ile-de-France, le rythme a baissé en 2011 et l’écart entre les prioritaires et les relogés se creuse : fin août 2011, plus de 4 000 ménages reconnus prioritaires en 2008 étaient encore sans solution. « La mobilisation du parc social existant a diminué et les propositions du comité pour mobiliser des logements privés sont restées sans réponse. Le non-respect de la loi atteint au plus choquant quand des préfets, chargés par la commission de médiation de reloger un ménage menacé d’expulsion, ne le relogent pas et font appliquer le jugement d’expulsion par la police. » En province, les difficultés de respect de l’obligation de relogement concernent principalement la Guyane et les départements de l’arc méditerranéen (Var, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône).
Le retard dans les offres d’hébergement est, quant à lui, estimé à plus de 5 500 ménages. Dans un contexte de manque de places et de crise sociale, « l’obligation légale et humanitaire de l’hébergement n’est pas respectée », souligne le rapport. Alors que le délai de mise en œuvre est en la matière de six semaines, 38 départements sur 64 concernés enregistrent un retard. Pis qu’un manque de mobilisation pour appliquer la loi, « on voit certains préfets renvoyer purement et simplement vers le 115 les ménages qui leur ont été désignés comme prioritaires par la commission de médiation ».
Le rythme des condamnations de l’Etat par le tribunal administratif pour non-mise en œuvre des décisions de logement ou d’hébergement est par ailleurs constant : sur les 12 derniers mois connus (du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2011), le nombre de contentieux s’établissait à 5 776. Les jugements ont, dans 80 % des cas, été rendus au bénéfice du requérant. A ce titre, le comité dénonce un détournement de la logique de l’astreinte : leur montant, « que la loi DALO avait affecté aux fonds d’aménagement urbain et donc à la construction de logements, est désormais orienté vers le “Fonds national d’accompagnement vers et dans le logement” ». Si ce dernier remplit une fonction utile, « la logique de son financement, qui suppose le non-respect par l’Etat de décisions de justice, est perverse ».
Tout en rappelant la responsabilité de l’Etat, « garant du droit au logement », le comité met en avant, comme chaque année, une douzaine de « bonnes pratiques » sur cinq sujets liés à la mise en œuvre du droit : la place du demandeur en tant qu’acteur du processus de relogement, la lutte contre l’habitat indigne, la prévention des expulsions, l’accès au parc locatif privé avec la garantie des risques locatifs et la mobilisation des logements vacants. Après avoir examiné les suites données à chacune des 164 propositions formulées dans ses quatre rapports précédents – dont « les plus stratégiques, celles qui conditionnent le respect du droit, n’ont pas été entendues » –, il rappelle surtout les « quatre exigences incontournables de la mise en œuvre du droit au logement », qui ont fait l’objet d’une motion en juin dernier (3).
La première : offrir a minima un hébergement à toute personne en détresse. « La stratégie du logement d’abord ne doit pas faire oublier l’obligation d’apporter une réponse digne, immédiate et inconditionnelle », rappelle l’instance. Elle demande donc une adaptation des capacités d’accueil aux besoins, la fin du « traitement saisonnier de l’hébergement », la poursuite du programme d’humanisation des centres et une sortie facilitée des centres d’hébergement par le développement d’une offre de logements adaptée.
Deuxième exigence : mettre en œuvre un « plan d’urgence » pour reloger les ménages prioritaires dans les zones tendues, ce qui nécessite « 9 000 logements par an pour l’Ile-de-France ». En 2010, le comité de suivi et le Conseil économique, social et environnemental avaient fait des propositions, qui n’ont « fait l’objet d’aucune décision à ce jour ». Un programme annuel d’acquisition de 3 000 logements vacants en secteur diffus, de conventionnement de 3 000 logements, de mobilisation de 3 000 autres appartenant à des bailleurs sociaux, font partie de leurs recommandations.
Le comité insiste une nouvelle fois sur la question de la « gouvernance » de la politique du logement, qui doit, à ses yeux, passer par une organisation institutionnelle permettant de fixer les objectifs quantitatifs et qualitatifs sur chaque bassin d’habitat. Pour l’Ile-de-France, il réitère sa proposition de créer un syndicat du logement.
Enfin, l’instance demande encore de « réorienter les moyens de la solidarité nationale vers les personnes de revenu modeste ». Il s’agit sur ce point de conditionner les aides fiscales à des contreparties sociales, afin de dégager des ressources pour produire des logements sociaux à un loyer abordable, de revaloriser la prise en compte des charges locatives dans les aides personnelles au logement et de doter le dispositif d’hébergement et l’accompagnement social des moyens nécessaires à leurs missions.
Alors que les choix opérés dans le cadre du plan de rigueur renforcent les inquiétudes, « les décisions qu’appellent ces propositions ne portent pas sur de simples ajustements techniques. Elles sont de nature stratégique et ne seront mises en œuvre que si elles sont placées au cœur d’un projet politique », insiste le comité de suivi de la loi DALO. Il rappelle au passage que, depuis 2007, ses rapports « n’ont pas fait l’objet de remise officielle aux plus hautes autorités de l’Etat ». Lors du bilan parlementaire, Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, a plaidé pour un « Grenelle du logement » et s’est prononcé en faveur de la réquisition d’une partie des logements vacants. Le secrétaire d’Etat au logement, Benoist Apparu, a pour sa part réfuté le constat d’un Etat « hors la loi ». « Il nous faudra des années pour rendre effectif ce droit au logement opposable », a-t-il fait valoir.
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(1) A cette date, les personnes reconnues prioritaires au motif du délai anormalement long seront autorisées à exercer un recours devant le tribunal administratif si elles n’ont pas obtenu une offre adaptée dans le délai légal.
(2) En raison d’une utilisation encore disparate de l’application informatique des commissions de médiation, le comité exploite les chiffres de relogement au 31 décembre 2010 pour la mise en œuvre des décisions hors Ile-de-France.