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Appels à projets : d’une relation de persuasion à une relation d’adéquation

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Alors qu’un premier bilan officiel « globalement satisfaisant » de la mise en œuvre de la procédure d’autorisation par appels à projets vient d’être dressé (voir ce numéro, page 14), Jean-René Loubat, psychosociologue-consultant, s’intéresse à l’impact sur le secteur social et médico-social de l’inversion de la logique qui prévalait jusqu’alors pour la création de structures.

« Consacrée par la loi HPST, la procédure d’appels à projets vise à mieux maîtriser la relation entre l’offre et la demande, à favoriser la planification publique en reliant les objectifs des schémas (notamment les PRIAC [1]) et les réponses opérationnelles et à raccourcir les délais de réalisation. Il est vrai que l’ancienne instance, le CROSMS (2), commission pléthorique et donc peu efficiente, donnait un avis déconnecté de l’état des ressources et donc de futures autorisations.

Cette procédure d’appels à projets est une révolution car, si elle est familière à d’autres univers d’activité, elle ne s’inscrit pas du tout dans l’histoire et la culture de l’action sociale et médico-sociale. Elle a donc suscité beaucoup de réactions et, disons-le, une certaine défiance. En effet, jusqu’alors c’étaient les acteurs de terrain qui prenaient les initiatives qui leur paraissaient répondre aux besoins qu’ils percevaient et allaient solliciter des soutiens institutionnels pour les réaliser. Certes, cette logique ascendante s’était vu progressivement contrebalancée par une logique descendante via divers schémas de planification et des processus d’autorisation de plus en plus cadrés.

Il est clair que, même si on peut le regretter, et si dans les faits certains ajustements devront nécessairement se mettre en œuvre, nous assistons à un changement quasi inéluctable car inhérent à un processus historique de (re)prise en main par l’Etat dans l’optique de la rationalisation des dépenses publiques. La logique ascendante a incontestablement rempli son rôle au cours d’une période de l’histoire où l’Etat n’était pas en capacité de concevoir des réponses de qualité. Aujourd’hui, par la procédure d’appels à projets, celui-ci veut pleinement (ré)affirmer sa position de commanditaire : il entend définir les priorités en matière de besoins, comparer et choisir.

Il nous apparaît cependant que l’on a tout intérêt à trouver un point d’équilibre entre ces deux logiques, qui possèdent chacune leurs avantages et leurs limites. D’une part, la seule logique ascendante ne garantit pas toujours la remontée des besoins… L’expérience montre que l’on est parfois tenté d’interpréter ces besoins et de n’en retenir que certains ; d’autre part, la logique ascendante est objectivement “inflationniste” car, il faut bien en convenir, elle ne permet pas une rationalisation et une planification efficaces, les acteurs de terrain demandant toujours plus sans se soucier de l’état global des ressources. Quant à la logique descendante, elle peut laisser craindre que le point de vue comptable l’emporte sur toute autre considération et que le coût soit le paramètre privilégié dans les appels à projets. Si tel était le cas, ce serait assurément une aberration car le moins coûtant revient parfois très cher (3)… On peut encore redouter que les préoccupations administratives priment sur les attentes des clients et qu’il existe une certaine fracture entre les décideurs et les opérateurs.

Regroupement et mutualisation des ressources

La procédure d’appels à projets vise également la concentration des opérateurs et leur adhésion à une logique. En effet, le très faible délai de réponse et la mobilisation importante qu’exige le cahier des charges ne peuvent convenir qu’à des opérateurs disposant d’une certaine surface économique, qui sont en mesure d’investir massivement et rapidement (car la réponse à un appel à projet a un coût non négligeable !). Répondre à un appel à projet comme à un appel d’offre, cela signifie concrètement mobiliser plusieurs professionnels de niveau supérieur sur la seule réponse à fournir, donc disposer du staff nécessaire. Bref, seuls les opérateurs disposant d’une cellule de “veille et prospective” vouée notamment à ce domaine pourront répondre de manière plausible aux appels à projets. Nous pouvons imaginer que certaines associations mutualisent des moyens pour se doter d’une telle instance, à condition qu’elles parviennent à s’entendre. Il s’agit, selon nous, d’un autre effet de la procédure : l’incitation au regroupement et à la mutualisation des ressources chaque fois que possible.

Quelles que soient les critiques faites à la procédure d’appels à projets – et même si à l’évidence certaines ne sont pas dénuées de fondement –, cette nouvelle façon de faire va transformer l’optique des projets d’établissements. Les opérateurs devront davantage faire preuve de réactivité que d’imagination, en se montrant à l’affût des appels à projets et en guettant les signes avant-coureurs… Il n’y a aucune raison pour que la procédure d’appels à projets tue pour autant l’innovation ; en revanche, ce qui est certain, c’est que les projets proposés devront se montrer très précis, très réalistes et très opportuns. Plus que jamais, les opérateurs devront faire preuve de méthode dans l’élaboration de leurs propositions.

Si, par le passé, nombre d’initiatives sont effectivement parties du terrain – et souvent de bonnes initiatives –, nombre d’expériences jugées “pilotes” ou “expérimentales” se sont également révélées sans lendemain, voire franchement nuisibles, et ont fini par sombrer lamentablement. L’originalité n’est pas nécessairement innovante, et beaucoup de ces expériences reposaient de fait sur l’impulsion d’un leader d’opinion, d’une figure charismatique, d’un notable local ou d’un courant d’idées du moment. L’absence de réelles exigences, tant en matière de préalables, de fonctionnement que de résultats, valorisait des projets essentiellement philosophiques, pédagogiques ou cliniques, se revendiquant de telle ou telle obédience, et dont les fondements techniques ou scientifiques se révélaient éventuellement des plus volatils.

Capitaliser les expériences

En matière d’innovation, la question essentielle est bien la “reproductibilité” des expériences novatrices, c’est-à-dire la possibilité ou non de transférer les enseignements de l’expérience vers d’autres structures, bref, de répliquer l’expérience inventive et de la généraliser lorsque son intérêt est évident (le fameux benchmarking qu’évoque l’Agence nationale d’appui à la performance). Or, concernant les secteurs qui nous intéressent, nous pouvons constater que cette capitalisation a été durant longtemps quasi inexistante et que nombre d’expériences sont demeurées indéfectiblement attachées localement à leurs promoteurs.

Les structures innovantes d’aujourd’hui ne sont pas les expériences d’utopistes ou de gourous mais celles qui savent conjuguer les meilleures réponses aux attentes de publics à besoins spécifiques, le respect des droits des personnes, une traçabilité en matière de qualité, une transparence des coûts… et par conséquent un bon rapport qualité/prix.

Répondre à des appels d’offres représente un exercice de style rédactionnel dont les délais de réponse, volontairement très courts, sélectionnent d’emblée les acteurs qui ont des idées précises sur la question et sont préparés à cet exercice, voire qui ont déjà un projet “dans leurs cartons”. Par conséquent, cet exercice requiert des compétences particulières qui ne s’improvisent pas et qui vont valoriser les opérateurs qui fonctionnent selon une certaine logique – une logique de service – et qui disposent d’une bonne méthodologie de projet. Que faut-il entendre par là ? Par le passé, nombre de projets autoproclamés mettaient essentiellement l’accent sur les conditions d’émergence d’une structure (les ressources matérielles et humaines nécessaires, les grandes lignes de son fonctionnement ordinaire), mais pas suffisamment sur les besoins qui étaient fréquemment postulés et jugés évidents. Combien de fois a-t-on confondu des désignations sociales ou des diagnostics cliniques avec des besoins ! Combien de projets d’établissements ou de services avons-nous pu lire qui se contentaient d’écrire : “nous nous proposons d’accueillir des enfants avec autisme, des adultes handicapés mentaux, etc.”, sans engagements et sans véritables prestations déclinés, mais qui avaient par contre une idée très précise du nombre de personnels nécessaires…

Plus concrètement, les appels à projets procèdent d’une logique rationnelle, requérant des propositions précises pour répondre à des besoins et demandes de prestations, que ce soit en termes de délais, d’objectifs opérationnels, de modes de délivrance, d’effets mesurables et de coût.

Ils sollicitent également les expériences dont les candidats peuvent se prévaloir en rapport avec l’appel à projet (nature de ces expériences, périodes et résultats), mais encore les réseaux relationnels et les partenariats sur lesquels ils peuvent compter et leurs habitudes de coopération. En résumé, la logique de l’appel à projet vise à introduire une ligne de cohérence entre besoins, prestations, moyens, résultats et coûts dans un environnement identifié et balisé.

La procédure d’appel à projet modifie radicalement la relation entre opérateurs et commanditaires car elle nécessite de passer d’une relation de persuasion à une relation d’adéquation. Jusqu’alors, des opérateurs proposaient des projets en s’efforçant de convaincre leurs interlocuteurs pourvoyeurs de fonds du bien-fondé de leur proposition. Désormais, il s’agit davantage de faire des propositions ad hoc, c’est-à-dire qui peuvent répondre au mieux aux besoins et à la commande. Aux opérateurs de signifier qu’ils ont bien compris le message.

Il est clair que la sélection entre les opérateurs a commencé et qu’elle va redessiner le paysage de l’action sociale et médico-sociale de la décennie à venir. »

Contact : 14, quai Pierre-Scize – 69009 Lyon – Tél. 04 72 60 98 79 – jean-reneloubat@wanadoo.fr – www.jeanreneloubat.fr

Notes

(1) Programmes interdépartementaux d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie.

(2) Comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale.

(3) Citons un exemple parmi une myriade d’autres, celui de ce grand hôpital de l’agglomération lyonnaise qui, une fois quasiment terminé, a dû être totalement détruit et reconstruit en raison de graves défauts de construction. Le projet retenu avait été le moins coûtant… au départ.

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