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L’accompagnement des immigrés âgés : un enjeu de société

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Santé prématurément dégradée, problèmes d’accès aux droits et aux soins, auxquels s’ajoutent fréquemment un grand isolement et de mauvaises conditions de logement : être immigré et âgé, c’est un peu la double peine. Des acteurs de terrain s’emploient à améliorer l’accompagnement de ces seniors venus d’ailleurs.

Majoritairement originaires du Maghreb, les immigrés sont nombreux à ne plus être en âge de travailler. Pourtant, la réalité de leur vieillissement est longtemps restée dans une relative invisibilité. Sans doute parce que, à l’instar des intéressés, les pouvoirs publics n’avaient pas envisagé que ces retraités finiraient leurs jours en France. Or c’est massivement le cas. Par choix ou parce qu’ils ne sont plus tout à fait de là-bas, les vieux immigrés ne repartiront pas. « C’est clair, c’est net, ces gens mourront ici et pas au bled », affirme Houcine El Aouad, responsable du pôle « vieillissement » de l’Union des associations interculturelles de Rennes. « Humainement et cliniquement, la question de l’accompagnement des vieux migrants dans l’avancée en âge et la fin de vie se trouve posée », ajoute-t-il. Une question d’autant plus cruciale que, pour ces seniors venus d’ailleurs, la dernière partie du voyage se révèle souvent très difficile.

La lente réhabilitation des foyers

Les foyers de travailleurs migrants sont évidemment bien placés pour avoir vu vieillir leur public. Initialement conçus pour héberger des actifs dans la force de l’âge, des hommes seuls, exclusivement, ils comptent dans leurs rangs de plus en plus de personnes âgées, voire très âgées. Chez Adoma (ex-Sonacotra), opérateur de l’Etat qui gère 60 % des capacités d’accueil du secteur, près de la moitié des 62 000 résidents est âgée de plus de 55 ans – limite d’âge habituellement retenue pour définir les migrants âgés (voir encadré, page 34). 40 % de la clientèle a dépassé la soixantaine et 16 %, les 70 ans. « Essentiellement d’origine maghrébine, ces immigrés âgés sont très attachés à leur foyer et à la France », souligne Nathalie Chomette, directrice de l’exploitation d’Adoma. Il n’empêche que, dans ces foyers, les Chibanis – ou « cheveux blancs » en arabe dialectal – sont loin de toujours bénéficier de conditions de vie adaptées à leur vieillissement. Même si, depuis 1995, tous les foyers ont vocation à se transformer en résidences sociales, avec des logements individuels autonomes répondant aux normes d’accessibilité, « les opérations de réhabilitation n’avancent pas vite », reconnaît Nathalie Chomette. Au plan national, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées faisait, en 2010, le même constat. Soulignant qu’« on ne peut se satisfaire du rythme actuel de la mutation » des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales, il déplorait que nombre de ces structures comportent des chambres de 7 m2, voire, pour certains, de 4,5 m2, ou encore des dortoirs (1).

Mais si l’adaptation du bâti est une nécessité, elle ne constitue pas le seul impératif pour répondre aux besoins des seniors. Ces derniers doivent aussi pouvoir accéder aux dispositifs sociaux et sanitaires destinés aux personnes âgées. La question est de savoir « comment poursuivre l’accompagnement, au-delà du besoin d’habitat, d’un public qui est resté chez nous 20, 30, voire 40 ans », explique Lydie Alvarez, responsable du service social d’ARELI, association qui accueille 800 personnes dans dix foyers ou résidences sociales du Nord. Cette préoccupation conduit certains gestionnaires à revisiter leur métier, avec plus ou moins de conviction et en fonction des moyens qu’ils se donnent et/ou réussissent à trouver. « Nous qui n’avions pas au départ de mission sociale, nous essayons de monter des programmes d’action pour faire le pont entre l’intérieur des foyers et le territoire extérieur, notamment les services de droit commun », explique Karine Rollot, adjointe au directeur de l’action territoriale de l’ADEF (Association pour le développement des foyers), qui loge 9 000 personnes dans 39 établissements en Ile-de-France.

Pour réussir cette jonction, le plus efficace est d’intégrer des travailleurs sociaux aux équipes. C’est ce qui a été fait à l’association ARELI : un binôme composé d’un responsable de la gestion locative et d’un travailleur social est présent sur chaque site. De plus, au vu de l’importance croissante prise par les problématiques de santé et de dépendance des résidents, certains travailleurs sociaux sont partiellement déchargés de ces questions : dans sept établissements, une infirmière intervient une demi-journée par semaine, non pour des soins, mais pour faire le relais entre les migrants et les professionnels de santé.

L’ADEF, quant à elle, a doté de médiatrices sociales un certain nombre de ses foyers ou résidences. Ces intervenantes jouent un triple rôle. Elles introduisent tout d’abord une dimension sociale dans la culture de travail de l’équipe de gestion en sensibilisant les personnels à exercer une veille pour repérer les personnes en difficulté. Il leur incombe, en outre, de développer un réseau partenarial autour de l’établissement pour l’intégrer dans les politiques socio-sanitaires locales et susciter l’intervention d’acteurs du territoire auprès des personnes accueillies. Enfin, lors de permanences hebdomadaires, les médiatrices proposent un appui individualisé aux résidents afin de faciliter leurs démarches auprès des services administratifs et sociaux et de contribuer à organiser la mise en place des soins et de l’aide à domicile dont ils ont besoin. Mais « encore faut-il convaincre les migrants âgés d’entrer dans ces circuits d’aide à la personne – ce que font nos travailleurs sociaux », note Dominique Giudicelli, représentant d’Aléos, autre gestionnaire associatif qui accueille 1 500 résidents dans 13 établissements du Haut-Rhin. En effet, pour des raisons financières et culturelles, les immigrés sont réticents devant ces formules de soutien, surtout celles qui relèvent de l’aide ménagère, les soins posant moins de problèmes.

Symétriquement, la venue dans les foyers et résidences des professionnels du domicile n’est pas non plus forcément évidente. A certains obstacles matériels – chambres exiguës ou partagées, courte durée des interventions (2) – s’ajoutent des réticences à pénétrer cet univers masculin ghettoïsé. D’où l’intérêt des formations sur le vieillissement et les problématiques des personnes de culture maghrébine et turque, régulièrement organisées par Aléos. Montées avec des sociologues, ethnologues et gérontologues, elles sont proposées aux personnels de différents organismes haut-rhinois en charge de personnes âgées – de l’aide à domicile au gériatre.

Et en milieu ordinaire ?

Cependant, 94 % des immigrés de plus de 55 ans – femmes et hommes – vieillissent en milieu ordinaire. Dans cet habitat diffus, repérer les personnes qui ont besoin d’être aidées, c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. « Ça peut être les voisins, le médecin traitant, la mairie contactée par l’hôtel, le gardien d’immeuble, l’assistante sociale des HLM, qui m’appellent », explique Sophie Martin, coordonnatrice du centre local d’information et de coordination gérontologique (CLIC) Rive de Seine d’Ermont (Val-d’Oise).

Comme ces migrants âgés sont invisibles parce que sans demande, « il nous faut changer notre posture habituelle de travailleurs sociaux et aller vers les plus isolés – sur les marchés, dans les jardins publics, les cafés et les commerces –, en cherchant à instaurer avec eux une relation de confiance pour pouvoir faire émerger leurs difficultés d’accès aux droits et aux soins », explique Martine Bendahan, déléguée territoriale de l’Assfam (Association service social famille migrants) dans la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine.

De fait, les vieux immigrés pâtissent souvent d’une grande ignorance de leurs droits, éventuellement doublée d’une mauvaise maîtrise de la langue. Sans compter, leur méconnaissance des chausse-trapes liés à la détention de certains titres de séjour et aux allers-retours au pays de naissance qui ponctuent leur existence. « Déjà, pour un Français de souche qui sait lire et écrire, avoir affaire au milieu du vieillissement, c’est très compliqué. Alors, on imagine facilement ce qu’il en est des difficultés des migrants, fait observer Françoise Le Blanc, coordinatrice du Point Paris Emeraude et du CLIC du XIIIe arrondissement de Paris. Quand ce sont des gens qui ont eu des enfants en France, ces derniers seront éventuellement à même de les aider. Cependant, les vieilles personnes immigrées connaissent souvent une solitude encore renforcée par rapport à celle des personnes âgées nées en France. »

C’est pourquoi les cafés sociaux qui se sont multipliés sur le territoire, à l’image de celui de Belleville, dans le XXe arrondissement (voir page 35), ont un rôle essentiel. Ce sont à la fois des lieux de convi­vialité où les migrants de même origine peuvent venir discuter, jouer aux dominos et partager un thé et des espaces où ils rencontrent des travailleurs sociaux. Les activités proposées aux seniors par les centres d’action sociale de la capitale pourraient, elles aussi, se diversifier en lien avec ces retraités venus d’ailleurs, estime Françoise Le Blanc. Tout comme « la nourriture des restaurants Paris Emeraude [gérés par le centre d’action sociale de la ville de Paris] qui n’attire pas nos migrants asiatiques, souvent très isolés », souligne-t-elle.

Dans les foyers ou résidences sociales, « il y a tout un réseau d’entraide. Il vaut ce qu’il vaut, mais au moins a-t-il le mérite d’exister, alors que dans l’habitat diffus, l’isolement est souvent plus important », ajoute Yatera Samba, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), qui intervient auprès des populations d’origine subsaharienne et organise des formations pour les travailleurs sociaux. « L’essentiel est de sensibiliser les professionnels à ne pas confondre ce qui est de l’ordre du vieillissement standard et ce qui relève de questions culturelles, estime Françoise Le Blanc. Il s’agit de parvenir à surmonter les préjugés que nous-mêmes pouvons avoir et ceux des migrants âgés qui, par exemple, ont du mal à passer d’une aide familiale gratuite à une aide professionnelle payante, assurée, qui plus est, par une personne d’une origine différente de la leur. »

Accompagner le plus efficacement possible les migrants qui vieillissent loin de leurs racines, tel est l’enjeu. Il im­plique la mobilisation d’in­tervenants bien ancrés dans leur territoire. A cet égard, les agents de développement local d’intégration (ADLI) spécifiquement chargés de s’occuper des immigrés âgés, qui sont employés par des associations sur des postes aidés par l’Etat ou des fonds européens, constituent une ressource précieuse (3). Le patient travail fait à Nantes par Khedidja Benelhadj, in­terprète et agent de développement local d’intégration à l’Association santé mi­grants de Loire-Atlantique (Asamla), en témoigne. Pour sensibiliser à l’accueil de ce public les professionnels du quartier de Bellevue (où vit le plus grand nombre de migrants âgés isolés), Khedidja Benelhadj a quadrillé le secteur. Pendant quatre ans, elle s’est rendue au-devant des acteurs locaux, institution après institution. Par ail­leurs, depuis la convention passée fin 2009 par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Pays-de-la-Loire (Carsat, ex-CRAM) avec l’Asamla, elle a organisé des séances d’information collective dans les différents quartiers de Nantes pour apporter aux intéressés et à leur famille des renseignements sur mesure. « A la suite de ces réunions où les migrants sont venus nombreux, nous avons connu un afflux important de demandes à l’Asamla et la permanence mensuelle prévue à la Carsat ne suffisait plus », explique Khedidja Benelhadj. Cet accueil est donc désormais proposé plusieurs fois par mois.

« Nous comptons beaucoup sur le tissu associatif pour mener des actions en direction des personnes âgées immigrées vivant en habitat diffus, qui sont très difficiles à repérer », commente Fatima Mezzouj, chargée de mission sur la thématique des personnes âgées immigrées au ministère de l’Intérieur. Les conseils généraux, aussi, tablent sur les associations intervenant dans le domaine de l’intégration pour les aider à répondre aux besoins de ce public. Du moins, ceux qui ont la volonté de se saisir de la question et ne sont pas les plus nombreux (4).

L’Isère fait partie des collectivités mobili­sées. « Construire des réponses adaptées aux personnes immigrées vieillissantes » est l’un des objectifs de son schéma gérontologique 2011-2015, comme cela avait déjà été le cas du précédent. « Non pas que nous ayons plus de problèmes qu’ailleurs, mais parce que nous avons identifié qu’il s’agissait d’un sujet à accompagner », explique Eric Rumeau, directeur de la santé et de l’autonomie au conseil général, qui salue à cet égard l’efficacité du travail social de terrain. « Nous nous situons fondamentalement dans l’anticipation », poursuit-il. Pour l’instant, en effet, le vieillissement des personnes immigrées lui semble encore un sujet émergent. Mais, dans cinq à dix ans, « ces immigrés arrivés dans les années 1950 vont eux aussi être des papy-boomers, avec les problématiques qui sont les leurs, c’est-à-dire une grande précarité, une situation d’isolement, des revenus très faibles et, peut-être, également, une dégradation plus rapide de leur santé en pathologies et en dépendance ». Aussi, la sensibilisation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à l’accueil des migrants vieillissants est une préoccupation du conseil général isérois.

Il y a fort à faire dans ce domaine. Si les institutions gérontologiques ont évolué sur le plan de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie, on ne peut pas en dire autant pour l’accueil des mi­grants âgés, estime Nadège Bartkowiak, directrice de l’EHPAD de Bourdeilles, en Dordogne. Pourtant, une plus large ouverture des établissements à la diversification des publics ne lui semble pas insurmontable. Il s’agit d’ailleurs plus d’ouverture d’esprit – et donc de formation des équipes – que de révolution des pratiques. « L’essentiel est que nous nous adaptions, nous, aux besoins des personnes accueillies et non pas elles à ce que nous savons faire », affirme cette spécialiste (5). Quel que soit le profil de l’usager, il convient de l’accueillir dans ce qu’il a d’unique. « En concevant un “prendre soin autrement”, on peut s’adapter à toute différence : origine culturelle, handicap mental ou exclusion sociale », défend Nadège Bartkowiak, qui appelle les acteurs de la gérontologie et ceux de l’immigration à combattre leurs représentations mutuellement négatives pour établir des passerelles.

Freins culturels

De fait, si les immigrés vieillissants sont peu présents dans les institutions pour personnes âgées, ce n’est pas seulement en raison d’obstacles financiers, mais aussi d’appréhensions d’ordre culturel. « Dans les pays d’origine, les maisons de retraite sont des mouroirs, c’est pourquoi les vieux immigrés ne veulent pas y aller », souligne Khedidja Benelhadj. Quant aux enfants de migrants âgés, ils ne sont pas prêts à placer leurs parents en établissement. « Cela se fera peut-être avec les générations suivantes, quand les deux auront fait un pas, les migrants comme les structures d’accueil », avance-t-elle.

Problématiques et questionnements d’ailleurs, ont déjà beaucoup évolué depuis 20-25 ans, fait remarquer Omar Somaoli, directeur de l’Observatoire gérontologique des migrations en France (OGMF). « Nous ne sommes plus à travailler sur les primo-arrivants vieillissants, mais de plus en plus sollicités par des transformations qui se sont opérées à l’intérieur des familles où il y a aujourd’hui des enfants de 50 ans, qui sont nés et ont toujours vécu en France. Ces derniers me demandent de réfléchir avec eux à la manière dont ils vont s’emparer de la vieillesse de leurs parents, explique le gérontologue. Les réalités avancent à leur rythme, en profondeur. Aussi, plutôt que de limiter la réflexion à cette espèce d’anachronisme que constitue la douloureuse question des hommes âgés vivant seuls en foyers, il y a de nouveaux enjeux dont il faut débattre. » Il suggère donc de se demander si les familles immigrées accèdent « de plus en plus simplement et ordinairement » aux dispositifs d’aide aux personnes âgées et comment améliorer les relations d’accompagnement et de soins avec les intéressés. « Il serait injuste de dire que rien ne se fait ou n’a été fait dans le domaine du vieillissement des migrants, mais cela reste de l’ordre d’initiatives dispersées, pas d’une politique publique globale et concertée, estime Omar Somaoli. Au début nous ne savions pas du tout par quel bout il fallait aborder cette thématique : à partir de la condition de travailleur immigré ou de personnes âgée ? Cette espèce d’incertitude a parasité une dynamique porteuse de solutions efficaces. » Or, poursuit-il, « on ne peut pas bâtir de politique à l’adresse de ces citoyens vieillissants en continuant à ne les observer que comme des pièces rapportées, sans légitimité dans l’Hexagone ».

REPÈRES

 Selon la définition du Haut Conseil à l’intégration, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Même les immigrés qui ont acquis la nationalité française durant leur séjour sont considérés comme appartenant à la population immigrée.

 En 2008 (recensement Insee), on comptait 1 676 000 immigrés âgés de 55 ans et plus : 865 000 issus de l’Union européenne et 811 000 de pays tiers. Parmi ces derniers, 61 % viennent du Maghreb : 49 % d’Algérie, 35 % du Maroc, 16 % de Tunisie.

 Environ 6 % des immigrés non communautaires vivent dans des centres de moyen ou long séjour (catégorie qui comprend les foyers de travailleurs migrants et les résidences sociales).

 On compte 110 000 places dans les foyers de travailleurs migrants et les résidences sociales, occupées à 95 % par des hommes isolés. 36 % sont âgés de 60 ans et plus et 30 % ont entre 60 et 70 ans. La moitié des résidents sont d’origine maghrébine, 20 % viennent d’Afrique subsaharienne (Mali, Mauritanie, Sénégal), 5 % d’autres pays (pays de l’Union européenne ou pays tiers), 25 % sont français.

UNE USURE PRÉCOCE

 Pénibilité du travail exercé, précarité des conditions de vie et déracinement concourent à expliquer le vieillissement prématuré des immigrés. En raison de celui-ci, il est convenu de considérer les migrants de 55 ans et plus comme des migrants âgés.

 A cette usure précoce s’ajoute une dépendance également précoce : l’âge moyen de dépendance est de 75,3 ans pour les immigrés maghrébins contre 79,5 ans pour l’ensemble des immigrés (toutes origines confondues) et 82 ans pour les personnes nées en France.

 Dans la tranche d’âge des 60 ans et plus, on compte 1,3 % de personnes nées en France qui sont dépendantes.

Il y en a 2,8 % parmi celles qui sont nées à l’étranger (tous pays confondus) et 4,8 % chez les immigrés d’origine maghrébine.

Les migrantes vieillissantes oubliées

42 % des immigrés de plus de 55 ans non originaires de l’Union européenne sont des femmes. Ces dernières sont majoritaires au-delà de 80 ans. On commence à découvrir l’existence de ces migrantes vieillissantes et à se préoccuper de leurs conditions de vie.

« Il est fascinant de constater que la transformation des immigrations dans l’Hexagone ne s’accompagne pas systématiquement d’un réajustement du regard porté sur elles », fait observer Omar Samaoli, gérontologue et chercheur. On continue ainsi d’oublier de réfléchir à la vieillesse des femmes alors que, depuis 1974, l’immigration se décline à partir du regroupement familial. Une grande proportion de celles qui ont ainsi rejoint leur mari n’étaient autonomes en rien. « Elles devaient être extrêmement redevables à leur “bienfaiteur” d’époux jusque dans leur existence administrative en France et n’avaient rien à solliciter de la société d’accueil », souligne l’expert.

Que sait-on de cette génération sous tutelle, aujourd’hui âgée de 60-70 ans ? « Nous appréhendons une entrée massive de ces femmes dans une vieillesse précaire », déclare Omar Somaoli. Même leurs cadettes, actuellement aux âges de la pré­retraite, sont peu nombreuses à avoir eu des itinéraires professionnels riches ou aboutis. A la différence des hommes, « les femmes immigrées ont eu peu ou pas de rapport avec leur environnement social et administratif, commentent Fatima Mezzouj, chargée de mission sur la thématique des personnes âgées immigrées au ministère de l’Intérieur, et Emmanuel Jovelin, sociologue (6). Leur intégration à la société d’accueil ne s’est pas faite par le travail, mais par l’intermédiaire de leurs enfants. » Aussi se retrouvent-elles très isolées quand leur mari décède et que les enfants s’en vont. Cette situation de retrait, voire d’exclusion, est aussi celle des femmes qui sont seules à la suite d’un divorce (ou d’une répudiation) – dont on note l’augmentation parmi les couples maghrébins vieillissants –, et des femmes âgées venues pour soigner leur mari dans le cadre d’un regroupement familial tardif (7).

Des acteurs de terrain s’emploient à les faire sortir de l’invisibilité. C’est le cas de l’Association service social famille migrants (Assfam), qui constate la prégnance de la problématique des migrantes âgées dans les départements d’Ile-de-France et de Rhône-Alpes où elle intervient. « Pour nous, ces femmes, qui vivent en habitat diffus avec de très petites ressources, constituent vraiment un public qu’il faut faire voir et prendre en compte, souligne Martine Bendahan, déléguée territoriale de l’Assfam dans la Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine. La plupart d’entre elles sont dans un très grand isolement, parfois même avec une méconnaissance du français quand elles n’ont pas travaillé. » D’où l’intérêt des ateliers socio-linguistiques organisés par l’Assfam, qui permettent aux intéressées de rompre leur solitude et de prendre langue avec le monde environnant.

A Paris, c’est au café que se rencontrent un certain nombre de Maghrébines âgées. En effet, dès l’ouverture en 2003 de son premier Café social, dans le XXe arrondissement de la capitale – un bistrot tenu par des travailleurs sociaux (8) –, Moncef Labidi, directeur de l’association Ayyem Zamen (Le bon vieux temps), s’est préoccupé du public féminin : il a prévu des activités susceptibles de le faire venir et revenir (actions de prévention santé, décoration florale et sorties au hammam, par exemple). « Nous avons un noyau dur d’adhérentes assez anciennes qui se retrouvent ici quasi quotidiennement, d’autres viennent pour un accompagnement social, déclare Chloé Leberruyer, assistante sociale. Les hommes fonctionnent en réseau, ils ont des camarades, d’anciens collègues de travail. Les femmes sont sans doute encore plus isolées qu’eux et elles osent peut-être moins se rendre dans les services sociaux. »

En revanche, selon l’assistante sociale, les intéressées viennent en nombre croissant au Café social. Sur une cinquantaine de personnes, il doit y avoir 10 à 15 femmes chaque après-midi à Belleville. Et autant au Café Dejean, ouvert en 2008 par Ayyem Zamen dans le XVIIIe arrondissement. La plus jeune à s’attabler est âgée de 55 ans – seuil à partir duquel le public est accueilli –, la plus âgée a dépassé… 100 ans.

Notes

(1) Voir ASH n° 2671 du 27-08-10, p. 12.

(2) D’où l’intérêt de mutualiser les interventions entre plusieurs résidents, comme cela se pratique dans des résidences sociales Adoma des Bouches-du-Rhône.

(3) Mais il existe seulement neuf agents de développement local d’intégration spécialisés sur la thématique des immigrés âgés.

(4) Selon une enquête faite en 2008 par le Comité national des retraités et des personnes âgées auprès de 45 départements totalisant plus de 60 % de la population immigrée de 65 ans et plus, seuls neuf conseils généraux abordent la question des immigrés vieillissants dans leur schéma gérontologique – Voir ASH n° 2575 du 3-10-08, p. 33.

(5) Auteure notamment d’un ouvrage sur L’accueil des immigrés vieillissants en institution – Presses de l’EHESP – Voir ASH n° 2588 du 26-12-08, p. 35.

(6) Sociologie des immigrés âgés – Ed. du Cygne, 2010.

(7) Voir « Le vieillir-ensemble. Des femmes maghrébines dans la cité » – Ecarts d’identité n° 118, 2011 – Dossier réalisé par l’ADATE (Association dauphinoise pour l’accueil des travailleurs étrangers) en partenariat avec l’Association des retraités marocains de France.

(8) Voir ASH n° 2378 du 22-10-04, p. 21.

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